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dimanche 28 mars 2021

Contes et histoires de Pépé J (28) La tour de Luzan

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Je vais vous conter aujourd’hui ce que vous appellerez, selon votre goût, l’histoire ou la légende de la tour de Luzan. Cette tour est située au nord du département du Gers, entre Condom et Fourcès, sur la commune de Larroque sur l’Osse. C’est Louis de Brescon qui en parle dans son recueil « Les Veillées de Gascogne ».

Au douzième siècle, à l’époque de la troisième croisade, le seigneur de Luzan accompagna le roi Philippe-Auguste en Terre-Sainte. Il entraînait avec lui plusieurs de ses vassaux, laissant à un vieux serviteur la garde de ses domaines. Il laissait aussi à Luzan sa femme et ses deux enfants et la chargeait de l’informer des évènements qui surviendraient.

Au début du voyage, il reçut fréquemment des missives mais par la suite, à mesure qu’il s’éloignait du pays, les nouvelles se firent plus rares. Il n’y avait, à cette époque, qu’une seule possibilité qui était de confier des messages à des seigneurs obligés de rejoindre leurs fiefs respectifs. Le seigneur de Luzan continua néanmoins la croisade auprès de Philippe Auguste et il s’illustra brillamment à ses côtés. Puis il rentra en France avec lui, non sans un funeste pressentiment car, en l’absence des croisés, de nombreux aventuriers en profitaient pour s’emparer de leurs biens, ceci malgré les menaces d’excommunication.

Il espérait avoir évité ce genre d’infortune lorsqu’en décembre 1191 il se présenta devant le pont-levis de son manoir. Au premier  coup d’œil, voyant le pont-levis dressé, il comprit les changements qui avaient eu lieu en son absence et il se rendit au village où une seule personne osa le renseigner sur le fait que celui qu’ils appelaient le reître bleu avait pris possession de son château et de ses domaines. Sa femme et ses enfants avaient néanmoins réussi à s’enfuir et à se mettre en sécurité dans un couvent de Templiers.

Le seigneur de Luzan ne voulut ni accepter cet état de fait ni négocier. Il provoqua le reître bleu en un duel au pied du château, à la suite de quoi il en informa les seigneurs voisins afin qu’ils viennent assister au duel pour qu’ils soient garants de la loyauté du combat. Ils installèrent le champ de bataille. De nombreux seigneurs et manants étaient venus assister à cette lutte dont l’issue ne pouvait qu’être tragique.

Le reître bleu apparut sur son cheval. Son armure bleue dissimulait totalement sa face et son corps aux regards. Les deux adversaires se heurtèrent dans un choc irrésistible, des lances furent rompues et la victoire restait indécise lorsque, dans un dernier assaut, le cheval du seigneur de Luzan glissa sur la terre détrempée en s’abattant sur son cavalier. Le reître bleu sauta aussitôt à terre et les chevaux détalèrent à toute allure. Ce fut alors un terrible combat à l’épée qui dura plus d’une heure. On vit alors que les forces de Luzan venaient à décliner et, à ce moment-là, le reître, sur de sa supériorité, jeta son glaive et saisit la dague qui pendait à sa ceinture. Seule la providence pouvait éviter au seigneur une issue fatale, la dague du reître étant plus longue et plus effilée que celle de son adversaire.

C’est à ce moment-là que Grimald, l’écuyer de Luzan, fit passer à son maître une courte rapière restée à sa disposition. Un corps à corps fantastique s’ensuivit et le cours du combat vit les rôles s’inverser. A peine la pointe de la rapière avait-elle effleuré l’armure bleue que le reître s’effondra, comme mortellement atteint. Ensuite, lorsque Luzan plongea sa rapière à la jonction du gorgerin et de la cotte de mailles, il ne coula point de sang ni ne s’exhala aucune plainte. Les participants s’approchèrent et purent constater que l’armure était vide et que le corps avait disparu. Quant à l’arme providentielle passée par Grimald, c’était une dague qu’il avait substituée à l’arme ordinaire de Luzan car elle contenait en sa poignée un fragment de la Sainte-Croix que Grimald avait ramené de Palestine.

Ainsi la paix put revenir à Luzan et, bien des années après, il y avait deux pierres qui indiquaient le lieu de la chute fatale. En cet endroit venaient se coucher des gens dans le but de conjurer certains maléfices.

Cric crac, c’est tout et c’est une vraie histoire.

 

jeudi 25 mars 2021

Dernier tableau (21)

 

– C’était avant l’affaire du couteau ? demande Hervé.

– Non, après, mais ce qui est remarquable dans ces deux affaires, c’est que pour l’un comme pour l’autre j’ai un acheteur avant d’avoir fixé le prix et que donc chaque fois j’ai dû donner un prix au débotté, dirais-je. Ce tableau revient se faire accrocher chez moi, je ne doute pas qu’il y ait eu intention de sa part. Il se trouvait bien chez moi et voulait y revenir.

– Bien sûr, bien sûr, dit Landau avec un sourire ironique.

à genoux, mon cher, c’est à genoux que vous me demanderez pardon, tout expert que vous soyez.

– Nous sommes tout ouïe, continuez votre histoire, mon cher Raymond, dit Landau.

– Oui car il y a une suite. Ce tableau que nous appellerons « La chaumière au bord du lac » finit par intéresser un riche industriel qui possédait un yacht amarré dans un port en Méditerranée. Il était venu à Saint-Lambaire pour affaires et s’était arrêté dans mon magasin pour acheter des meubles de bateau pour son yacht. Je n’avais rien à lui proposer, mais la chaumière lui a plu. Il me l’a payée « cash », je lui ai fait un reçu et il m’a demandé de lui expédier le tableau à bord de son yacht, au port d’attache en Méditerranée. Il me laisse donc une adresse où j’envoie quelques jours après le tableau par un transporteur spécialisé. Deux ou trois semaines passent et le tableau me revient par le même transporteur. Ils n’ont pu livrer le tableau, il n’y avait personne à l’adresse indiquée. Il y avait bien eu un bateau, un gros bateau de plaisance, mais qui était parti sans que l’on puisse savoir où. Le tableau est encore de retour et cette fois j’ai été totalement payé, même si j’ai eu quelque frais pour le transport et le retour. Et de mauvaises langues vont encore faire croire que ce tableau n’avait pas l’intention de revenir chez moi…

– Où avez-vous vu de mauvaises langues ? s’esclaffe Landau.

– Des langues de vipère, oui, répond Marondeau, et qui se sent morveux qu’il se mouche !

– Pouvez-vous me donner un kleenex ? Ce ne serait pas pour me moucher mais pour essuyer mes larmes, répond Landau.

– Glissez mortels, n’appuyez pas… Je n’ai pas encore fini, qui sait si je ne devrais pas remettre la fin de l’histoire à un autre jour, il commence à se faire tard…

– Pas de chantage, mon cher, vous savez bien que je ne suis que de passage à Saint-Lambaire et je ne voudrais pas rater la fin de l’histoire !

– Bientôt vous vous mettrez à genoux, voyez cela, mon cher Hervé. Vous au moins, êtes un auditeur compatissant et sans arrière-pensée.

– Mais impatient de connaître la suite, je l’avoue, répond Hervé. J’aimerais bien un peu plus de thé.

– Servez-vous, servez-vous, le temps passe et vous ne savez encore rien, ou si peu. Un peu plus de dix années passèrent et ce tableau était toujours chez moi, dans l’arrière-magasin. Au début, j’avais pensé que son légitime propriétaire se présenterait un jour et le tableau était resté dans son solide emballage. J’avais fini par le déballer et je l’avais accroché sans plus de façons au premier clou qui se présentait. C’est le conservateur du musée de la ville qui l’a sorti de sa léthargie. Il vient un jour chez moi pour, dit-il, me faire une visite de courtoisie entre amateurs de beaux objets. Je lui présente ce que j’ai en magasin, je lui dis que j’ai un local dans lequel j’ai encore quelques pièces intéressantes, nous parlons longuement et l’idée me vient de lui montrer mon petit tableau. Il est tout de suite intéressé et nous le décrochons pour le mettre à un endroit mieux éclairé. Je le vois examiner la signature avec attention, il se redresse et me regarde d’un air interrogateur : « De qui est cette peinture ? » me demande-t-il. Je lui dis que je n’en sais fichtre rien et que j’attends de lui qu’il me renseigne. Et c’est là qu’il m’annonce tout de go : « Pour moi, la signature est de Leyden, à vérifier bien sûr. Ce qui est étrange, c’est que ce serait le seul paysage non marin qu’il aurait peint. Si la ressemblance avec la signature est frappante, la similitude avec les couleurs et surtout les mélanges de couleur de Leyden me parait tout aussi forte. Pour moi, c’est sa patte. J’aimerais revenir examiner cette peinture plus à mon aise, serait-ce possible ? ». J’acceptai volontiers, j’avais l’impression de faire une bonne œuvre en faveur de ce tableau. Néanmoins, je ne souhaitais pas que ce tableau quitte mon magasin. Le conservateur reviendrait autant de fois qu’il le voudrait pour l’examiner mais le tableau resterait chez moi. Il revint donc plusieurs fois et me demanda l’autorisation de venir avec un expert reconnu qui serait bientôt en ville. J’acceptai encore. Et l’expert, après un examen approfondi du tableau, confirma que celui-ci pouvait être attribué à Artur Leyden. Bien sûr, si je savais maintenant qui avait peint ce tableau, cela n’en changeait que peu la valeur. Il y avait eu un engouement pour Leyden dans les années cinquante et soixante, mais nous étions sur la fin des années soixante-dix et sa cote n’était déjà plus aussi florissante. (...)

(à suivre...)

 

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dimanche 21 mars 2021

Contes et histoires de Pépé J (27) Brameloup

 

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Parmi ces livres que je considère comme des trésors, je citerai un roman de Fernande Costes « Brameloup, l’étranger ». Fernande Costes n’est certes pas une auteure oubliée car elle est souvent citée dans les monographies concernant le château de Bonaguil dont elle fut le premier guide. Elle devint officiellement aussi conservateur du château. Fernande Costes a bien connu Bonaguil puisqu’elle vint y habiter à l’âge de 5 ans avec ses parents qui y tenaient une petite épicerie. Elle a écrit un autre récit « Bonaguil ou le château fou » dont j’espère pouvoir vous parler plus tard.

 

Qui donc est cet étranger qui, un jour de 1919, arrive dans le petit village de Bonneroque ? Un homme qui ne dit pas son nom et qui ne parle pas de son passé. L’aubergiste, homme avenant, lui permet de passer une première nuit dans le foin de sa grange car l’homme ne veut pas d’une chambre. Non seulement il craint de ne pouvoir se la payer mais encore il vient de passer quatre années dans les tranchées. Il était berger de haute montagne en Provence et il s’est retrouvé dans la bataille, le sang, les obus, les baïonnettes et la boue. Il sait donc ce que c’est de coucher à la dure. Et surtout, il veut comprendre. Comprendre pourquoi les hommes ne peuvent s’empêcher de faire la guerre et quel besoin ils ont toujours de s’affronter.

 

Il passe donc une nuit près de l’auberge puis le lendemain, il visite les environs. Le village de Bonneroque est surmonté d’un formidable château-fort et l’étranger se pose encore des questions : pourquoi de telles forteresses sinon pour faire la guerre, ici aux confins du Périgord et du Quercy ? Le château occupera peu de place dans l’histoire car l’étranger va chercher à s’intégrer, tant bien que mal, dans la petite communauté rurale composée de paysans propriétaires de leurs fermes dont ils vivent durement. Il rencontre un couple âgé qui lui prêtera une fermette en ruine. Ce couple qui vit de peu fait partie de ces gens qui aiment tout : leur terre, leur vie, les autres. La fermette a pour nom Brameloup et ce sera donc celui qui sera attribué à l’étranger, comme c’est souvent le cas à la campagne.

 

Brameloup se propose chez les uns et les autres pour les travaux des champs ou du bois. Il est robuste et donc apprécié pour cela. De plus, il ne demande pas d’argent, seulement la nourriture ou quelque échange. Il va donc être un peu « accepté » par les habitants, mieux par les uns que par les autres. Car l’étranger, même si on le nomme Brameloup, reste un étranger et d’aucuns le lui font sentir parfois vertement. Ce qui ne compte pas pour rien, c’est que Brameloup est bel homme, les femmes le regardent avec un intérêt plus ou moins dissimulé et bien des hommes avec jalousie, soit qu’ils veillent sur leur épouse soit qu’ils voient un rival possible. Parce qu’en plus, on ne lui connait nulle relation, ce qui est encore plus suspect.

 

Et avec l’étranger, il y a son chien, Verdun. Il est comme son maitre, calme, méfiant mais courtois. Il ne cherche pas la bagarre. Le chien a aussi connu la guerre et il a connu son maitre sous les bombes. Et il finira sa vie victime de cette guerre que les humains ne peuvent s’empêcher de trainer derrière eux. Les humains en général, pas tous…

 

De 19 à 39, vingt années à chercher pourquoi les hommes sont ainsi. Le roman se termine à l’aube crépusculaire de la deuxième guerre mondiale. Sans réponse.

 

Cric crac, c’est tout et c’est une vraie histoire.

 

 

 

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