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jeudi 29 avril 2021

Dernier tableau (26)

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Hervé, un peu surpris du ton peu amène, prend le plateau, lave rapidement les tasses et range le tout. Il revient dans le magasin.

 

– Je vais vous laisser, je dois encore traverser le déluge ambiant pour retrouver mon appartement. Au revoir Raymond.

– Faites, faites, je ne vous retiens pas et repassez quand le soleil sera revenu, vous ne sentirez plus le chien mouillé…

 

Il remet ses vêtements de pluie et s’échappe, un peu étonné de la fraîcheur avec laquelle Raymond l’a accueilli. Il se hâte le long des bassins et rejoint la rue Équoignon. Il arrive à la maison de Madame Lemond et s’arrête dans l’entrée pour se défaire de sa tenue. à ce moment-là, Madame Lemond ouvre la porte de son salon.

– Mon pauvre Monsieur Magre, vous n’avez pas trop froid ? Vous êtes bien intrépide de vous promener ainsi sous cette pluie. Entrez donc deux minutes, venez boire quelque chose de chaud pour vous remonter. Nous prenions justement un café avec Sara et je parlais de vous il y a à peine deux minutes. Je serais enchantée de vous présenter Sara, c’est une très grande amie à moi…

– Je ne suis pas très présentable, je préfèrerais…

– Mais non, mais non, vous êtes si souvent absent, maintenant que je vous tiens, je ne vous lâche pas. Sara, dit-elle en se retournant vers son amie qui s’est approchée, je te présente Monsieur Magre, Hervé Magre, mon nouveau locataire. Monsieur Magre, je vous présente Sara Weill-Lucet, elle est bien plus qu’une amie pour moi. Asseyons-nous, je vais tout vous expliquer, monsieur Magre. Café, thé ou chocolat pour vous ?

– Café, comme vous, avec plaisir alors, répond-il.

 

Il regarde Sara. C’est une femme élancée, au teint pâle et aux cheveux très noirs dont les boucles tombent en cascades sur une robe bariolée dont Hervé pense qu’elle l’a taillée dans le tissu de ses rideaux. Aux pieds, elle arbore une paire de Doc’ Martins qui complètent le charme désuet de cette femme d’une quarantaine d’années.

 

– Sara est peintre et elle est ma prof’ de peinture, je vais une fois par semaine dans son atelier prendre des cours de dessin et de peinture.

– Vous peignez depuis longtemps, Madame Lemond ? demande Hervé.

– Depuis six ans, depuis que je connais Sara. Je l’ai rencontrée en visitant une exposition qu’elle avait faite ici, à Saint-Lambaire.

– Vous exposez encore ? demande Hervé à Sara.

– Non, je n’ai pas exposé depuis, mais j’ai quelques toiles dans une galerie à Morlaix. Et je présente aussi mes peintures dans mon atelier.

– Et vous êtes originaire de Saint-Lambaire ?

– Pas du tout, je suis née et j’ai toujours vécu en région parisienne mais j’ai décidé il y a dix ans de tourner une page dans ma vie et de m’installer près de la côte.

– Vous peignez des marines ? questionne soudain Hervé.

– Cela m’arrive, mais j’ai bien d’autres sources d’inspiration. Venez visiter mon atelier et vous verrez…

– Je ne voudrais pas vous déranger, je ne connais rien ni la peinture ni à l’art en général. Je regarde et je vois ce qui me plait, mais je suis bien incapable de dire pourquoi et comment…

– Au moins, cela vous évite de dire des bêtises, on en entend tellement dans le monde de l’art ! dit Sara.

– Ah ! Peut-être, mais ce n’est pas spécifique au monde de l’art, dit en souriant Hervé.

 

Madame Lemond se tortille depuis un moment sur sa chaise, attendant le moment de placer un mot. Elle se décide :

 

– Monsieur Magre, je voudrais vous dire quelque chose, mais je ne sais pas trop comment vous le dire… enfin… vous vous intéressez quand même un peu à la peinture ?

(à suivre...)

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dimanche 25 avril 2021

Contes et histoires de Pépé J (32) Le dahu

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. La protection des espèces en voie de disparition et le maintien de la diversité naturelle font partie des préoccupations majeures de notre temps et je viens d’apprendre par des milieux généralement bien informés une bonne nouvelle que je m’empresse de vous faire connaître. En effet, dans le cadre de la réintroduction des espèces en voie de disparition dans les coteaux de Guyenne et Gascogne, un plan de réintroduction du dahu a été mis en place. Vous n’êtes pas sans savoir à moins que vous ne soyez pas sans ignorer que le dahu a disparu de nos coteaux. Non pas que la chasse au dahu l’ait décimé, celle-ci se faisant de manière non-létale, le dahu étant de surcroît non-comestible bien que sa chair soit, à ce qu’il paraît, végétarienne. Mais allez donc emmener un végétarien à la chasse au dahu !

 

Donc, je disais que le dahu a disparu de nos coteaux et cela est bien regrettable. Disons quelques mots sur la morphologie du dahu. Ce dernier a pour caractéristique d’avoir, d’un côté, deux pattes plus courtes, ce qui lui permet de courir en montagne ou dans les coteaux en étant toujours de bon niveau. Bien, me direz-vous, mais de quel côté sont ces pattes plus courtes ? Je pourrais répondre que les pattes les plus courtes sont du côté opposé aux pattes les plus longues mais cela ne nous avancerait guère, même si c’est scientifiquement prouvé. En effet, il est important de savoir qu’il y a des dahus dextrogyres et des dahus lévogyres (ou sénestrogyres). Les uns parcourent la montagne ou la colline dans un sens et les autres dans l’autre sens. Certains penseraient que cela n’a pas de sens et pourtant si ! En effet, le dahu est un animal sexué du début à la fin de sa vie. Ou genré si vous préférez… Or, on a constaté que les femelles sont dextrogyres et les males lévogyres. Ce qui fait qu’ils peuvent s’accoupler au moment où ils se croisent sur les flancs de la colline. L’accouplement se fait par les nuits de pleine lune, les deux individus faisant le poirier, ce qui facilite la descente du liquide séminal. Cela dit, le dahu est d’une hétérosexualité à toute épreuve, ce qui n’est pas pour plaire à d’aucuns et d’aucunes. Mais peut-on plaire à tout le monde ?

 

Pourquoi le dahu a-t-il disparu de nos coteaux ? Nul ne le sait mais c’est un fait attesté. Il fallait donc trouver des dahus dans des pays où il existe encore en quantité suffisante pour en prélever quelques couples aptes au repeuplement. Là était la difficulté car en effet le dahu disparait lentement mais inexorablement des collines et des montagnes, attiré qu’il est par les plaines avec leurs zones commerciales et leurs supermarchés. Il suffisait donc de capturer des dahus dans les plaines de Flandre, des Pays-Bas ou de l’Ukraine où ils sont nombreux. Mais cela n’est pas si simple car ces animaux, amollis par la civilisation urbaine, ont du mal à se remettre à la marche en terrain pentu, même s’ils ont généralement gardé cette inégalité de leurs pattes qui leur permet de faire usage des parkings réservés. Ce n’est qu’au terme d’une longue rééducation, pour ainsi dire une révolution culturelle, que l’on a pu réintroduire quelques couples dans nos beaux coteaux guyennais et gascons. Certains pensent même qu’on arrivera à en ré acclimater en montagne. On voit par-là qu’il ne faut jamais désespérer. Alors, si vous vous promenez par une belle nuit de pleine lune et que vous voyez quatre petits pieds s’agiter en l’air, surtout passez doucement votre chemin car c’est la promesse de futures naissances.

 

Cric crac, c’est tout et c’est une vraie histoire.

 

 

jeudi 22 avril 2021

Dernier tableau (25)

2. Deux pour le prix d’un

 

 

 

 

 

Le jour suivant, il pleut sur la région comme s’il avait plu de toute éternité et comme si cela devait continuer ainsi pour la nuit des temps. Toute la Bretagne se met à goutter d’une pluie fine, incessante. Il reste chez lui le matin, il commence à maîtriser son nouvel ordinateur et y reste installé jusqu’à treize heures. Il prend ensuite un léger repas et décide de sortir tout de même, il a ce qu’il faut pour braver les intempéries : un bon ciré et un pantalon étanche. Il part donc faire le tour des remparts de la ville, il aime ce temps humide au travers duquel il faut deviner les flots, imaginer le ciel. Il se promène ainsi jusqu’à plus de seize heures et rentre chez lui sans passer par la ville. Il ne peut tout de même pas se présenter ainsi chez Marondeau, dégoulinant dans sa tenue jaune canari.

La pluie s’installe durablement avec l’approche de l’hiver. Plusieurs jours passent, toujours aussi gris. Une après-midi, il décide, au retour de sa promenade, de s’arrêter chez Marondeau. Il entre dans la boutique et tente de se débarrasser discrètement de sa tenue si peu seyante, mais du fond du magasin, Raymond l’interpelle :

 

– Vous faites de l’intérim pour la DDE maintenant ou vous venez me goudronner le parquet ? lance-t-il d’un ton mi-figue, mi-raisin.

– Ah, je suis désolé de me présenter ainsi mais il pleut tous les jours…

– Et vous n’avez ni gabardine ni parapluie, enfin rien de civilisé, mon cher Hervé ? Mais débarrassez-vous si vous le pouvez et venez me voir. Si vous voulez un thé, débrouillez-vous pour le préparer, je ne suis bon à rien aujourd’hui, dit-il en restant enfoncé dans son fauteuil.

 

Hervé salue Raymond et passe dans l’arrière-boutique où il prépare le thé. Il revient avec le plateau, la théière et deux tasses, pose le tout sur la table et attend.

 

– Ne restez pas planté là, mon cher, vous allez prendre racine et vous me feriez une ombre funeste, dit Raymond en souriant faiblement. Allons, le thé est suffisamment infusé, servez-nous et assoyez-vous. Quoi de neuf à part la pluie, mon cher Hervé ?

– Je voulais vous demander conseil au sujet du tableau…

– Vous avez eu ce que vous vouliez, que voulez-vous savoir de plus ? Je vous ai déjà tout dit, il me semble !

– Je crois que je pourrais le faire encadrer de manière à le mettre plus en valeur, on dirait que la peinture est enserrée dans son cadre, ces quatre barreaux noirs me font une triste impression…

– Faites-le ré-encadrer si vous avez de l’argent à gaspiller, mon cher, tout cela est bien pusillanime, cela me fatigue de parler de cela. Si vous cherchez un encadreur, vous en avez un ici à Saint-Lambaire. Un goujat, un escroc et, pire encore, un homme de peu de goût. Allez ailleurs, à Paris, à Rennes, à Dinan ou à Morlaix, oui à Morlaix par exemple, chez Dussieu, un honnête homme, mais pas ici, pas à Saint-Lambaire. Cela dit, vous préparez le thé comme un garagiste, mon cher, il a un arrière-goût de vidange et une odeur de Ferodo. Si vous êtes venu pour faire un scrabble ou un mah-jong, vous en serez pour vos frais, vous m’avez dérangé pour me faire avaler une tisane délétère et me poser des questions oiseuses. Vous m’obligeriez en rangeant toute cette vaisselle dans mon arrière magasin.

(à suivre...)

 

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dimanche 18 avril 2021

Contes et histoires de Pépé J (31) Bulles

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Cette semaine, je vous parle d’un livre que vous trouverez sans difficulté dans les librairies du Lot-et-Garonne. Le titre en est « 47 chroniques du Lot-et-Garonne – L’histoire revisitée » et l’auteur est Jean-Michel Delmas qui a déjà publié plusieurs ouvrages, particulièrement sur le pruneau d’Agen. Il faut ajouter qu’il est lui-même pruniculteur et syndicaliste agricole. Il a été président de la Chambre d’Agriculture de Lot-et-Garonne. Il est aussi chroniqueur sur Radio-Bulle, son émission s’appelle « Bulle d’histoire ». Le livre dont je vous parle a été publié aux Editions La Geste en 2020.

Ce joli livre raconte 47 histoires qui se sont passées en Lot-et-Garonne et il relate des anecdotes piquantes comme celle où Henry IV, par un soir d’orage, frappa à la porte d’une jolie veuve qu’il courtisait et qui habitait un château du côté d’Allons. Il eut beau frapper du heurtoir tant qu’il put, il se fit tremper comme une soupe avant que sa conquête l’entendit dans le bruit du tonnerre, du vent et de la pluie. Aussi il demanda à un forgeron de lui faire un heurtoir lourd, solide et évocateur. Il voulut « un heurtoir qui ne le laisse pas attendre dehors, qui toque bien mais sans heurter aucune délicatesse, (…) sésame universel (…) qui ne laisse pas trop attendre le galant dehors. Ce heurtoir devait avoir un priapisme de bon aloi, bien viril, bien noué, bien forgé, bien arqué pour une bonne prise en main, avec une paire de boules frappant bien fort sur le chêne du bois de la porte. »

Ce livre fait la part belle aux inondations qui, dans le passé, ont frappé le département, avec une chronique sur la terrible crue de 1875 qui commença, à Agen, le 24 juin. La veille on avait commencé d’installer la foire de juin au Gravier. En moins d’une demi-heure l’eau montera de manière foudroyante, elle atteindra 3 mètres dans la cathédrale et inondera la gare. Cette montée des eaux était due à des pluies torrentielles qui s’étaient abattues pendant 60 heures sans discontinuer sur l’Ariège. Le Maréchal Président Mac-Mahon, venu sur place, écrira à son épouse : « Les champs de bataille de Sébastopol, d’Italie, de Sedan, ne sont rien comparés à la désolation que je vois, aux misères qui m’environnent et qu’il faudra soulager tout de suite ».

L’auteur consacre une autre chronique aux Aigats, les grandes inondations de Garonne. Il cite, entre autres, celle de l’an 592 après laquelle «  la misère était telle qu’on faisait du pain avec des racines de fougères ». Il cite aussi celles qui ont porté un nom : « Lou Gran Aigat de San-Bernabé en juin 1712 ; l’Aigat des Rameaux en 1770 et l’Aigat de la Paours (l’Aigat de la Peur) en 1793. ». Il en cite bien d’autres et on constate que ces crues brutales ont toujours existé et resteront possibles tant que coulera Garonne.

 

Je ne citerai pas toutes ces histoires qui m’ont toutes bien plu mais il y a une chose que je ne peux pas passer sous silence, c’est la qualité déplorable de l’ouvrage en tant que livre… à lire. En effet, il est farci de fautes d’orthographe, d’approximations syntaxiques et par moments la typographie est étrange. J’ai aussi relevé une grossière erreur historique de l’auteur qui place la bataille de Waterloo en 1816 ! Je n’ai nullement la prétention de toujours présenter des textes exempts de fautes et j’apprécie lorsque quelqu’une de mes lectrices m’en signale une ou l’autre. Et, pour cette raison, je me suis permis d’écrire à l’éditeur de cet ouvrage. Ce dernier, en réponse, m’a demandé si je pouvais lui faire la liste des erreurs et j’ai voulu m’y atteler. Toutefois, arrivé à la page 11 et en ayant déjà relevé 10, j’ai préféré abandonner et le signaler derechef à l’éditeur. Il y a des correcteurs pour cela et c’est un vrai métier.

Ce qui me surprend, c’est que les journaux de la presse régionale quotidienne et le journal du Conseil Départemental ont fait l’éloge de ce livre. Je me suis demandé s’ils l’avaient lu.

L’auteur lui-même, dans une interview, se demande : « Pourquoi n’apprend-on pas aux enfants leur histoire locale à l’école ? ». Je dirais que c’est une bonne question mais encore faut-il qu’on leur donne des ouvrages exempts de telles fautes.

Cric crac, c’est tout et c’est une vraie histoire.