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dimanche 27 septembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (3)

Lectrices et lecteurs, bonjour. Le 20 juillet, la canicule était déjà soupçonnée d’avoir tué 700 personnes en France. Dans notre pays, on peut mourir pour de multiples raisons mais il faut le faire de manière statistiquement correcte. Celui qui meurt sans une cause établie par les statisticiens risque d’être classifié parmi les sans opinions, les blancs ou nuls. Par temps chaud, ou bien on meurt de chaud ou bien on meurt de soif mais une responsable est identifiée : la canicule.
Canicule ! Que de bêtises sont proférées en ton nom ! L’autre jour, une dame âgée s’occupait de ses fleurs devant sa porte quand un couple de bourgeois épais, quoique moyens, l’interpelle en lui demandant si elle pensait à boire suffisamment. Ce couple avait vu le journal télévisé où ils avaient regardé, après un reportage sur des noyés à Lampedusa, un autre reportage sur la canicule, les vieux et l’injonction qui leur est faite de boire de l’eau. Et une bonne manière de se donner bonne conscience est d’oublier bien vite les migrants puis de morigéner les vieux qui ne se gavent point d’eau. Mais de quoi se mêlent-ils ces petits moyens épais bourgeois, me demanderez-vous ? Eh bien, répondrais-je, ils se mêlent de ce que les stupides chaînes de télévision leur disent de faire et, stupidement, ils font leur stupide bonne action. C’est ce que l’on appelle de la philanthropie de proximité
Pour nos statisticiens, si le décès d’un vieux par déshydratation est imputable à la canicule, un vieux mort par excès de boisson sera tout autant attribué à la canicule. De même si une personne âgée décède des suites de passages fréquents de lieux climatisés à des lieux à température ambiante, ce sera encore la canicule. Il est déconseillé de mourir de mort naturelle lorsque le thermomètre excède les trente-cinq degrés et on constate que grâce à tous ces décès caniculaires, mathématiquement, les statistiques de décès par cancer baissent de manière non négligeable. Les vieux n’ont plus le droit d’avoir chaud ou froid ou soif ou faim, ils se doivent de mourir pour des raisons clairement identifiées sous peine de voir leur décès remis à une date ultérieure : que diable ! Il y a un Ministère de la Santé qui veille sur eux, sur les revenus des marchands de médicaments et sur ceux des actionnaires des maisons de retraite. La santé, même quand on est vieux, n’est pas une sorte de luxe gratuit que chacun pourrait avoir sur soi. La santé, c’est une activité régulée, tarifée et obligatoire. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, peu importe, chacun doit avoir une santé et être prêt à la présenter à toute réquisition de l’autorité compétente. Tout écart de santé doit être soigné par des méthodes testées, approuvées et taxées. Il est hors de question de cacher une maladie à son médecin, cela entraînerait un manque à gagner pour les spécialistes de la question. Et donc, il est interdit de souffrir en silence. Et il est surtout interdit d’avoir l’air de mourir avant l’heure lorsqu’on passe les quatorze ou quinze lustres.
Ah ! Où est-il le bon vieux temps où l’on était jeune et qu’on ne se vantait pas de s’être blessé ici ou là, de peur de ne pas pouvoir partir avec les copains ; où l’on ne disait pas qu’on avait un rhume de peur de devoir garder le lit ; et où l’on serrait les fesses comme les dents en cas de diarrhée de peur d’être médicalement privé de dessert ? Le temps où l’on se couchait à cinq heures du mat’ et où on se levait à six heures et demie pour aller au boulot sans piper ? Ah, la belle insouciance où on ne se doutait pas que notre santé insolente était surveillée d’un œil protubérant par les statisticiens et les marchands de santé !

On voit par-là qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ». 

jeudi 24 septembre 2015

Le cabot de Fortunio (64)

Il est sept heures et demie lorsque j’arrive chez Léon et j’ai la surprise de voir que l’atelier est ouvert, un gaffet’ en bleu balaie le sol. Il me semble en fait reconnaître Esther, la blondinette Seccotine avec sa queue de cheval. Appuyée sur son balai, elle me toise :
-          Il me semble vous avoir déjà vu, dit-elle avec le sourcil droit en accent circonflexe.
-          Je suis un ami de Léon, c’est moi qui ai laissé un message hier soir…
-          Ah oui, je vois. C’est vous qui avez l’habitude de téléphoner à pas d’heure ?
-          Oui et il m’est arrivé de me faire rembarrer par monsieur Hauler Léon en personne ! Mais je vous rassure, pas plus d’une fois par an…
-          D’après Hauler Léon, c’est déjà beaucoup. Il vous aime bien quand même mais là il va falloir attendre un peu, il a fini un tracteur à trois heures du matin et le propriétaire va venir le chercher. Il faudra attendre un peu que Léon se réveille…
-          Je sais qu’il a le réveil difficile mais j’ai apporté les croissants…
Un gonze, fringué agricole, arrive sur un cycle antique. Il pose le pied par terre et fait la bise à Esther. Ils parlent deux minutes puis le rural cul-terreux fixe sa bécane à l’arrière d’un solide John Deere quatre roues motrices. Il démarre, fait un demi-tour en souplesse devant l’atelier et s’en va en faisant un grand sourire.
-          Ça au moins c’est du tracteur qui braque, m’écrié-je, admiratif.
-          Hors de ma vue, morpion gluant, œil-de-bouillon-gras, radical-socialiste ! éructe une voix venue de la fenêtre de la chambre à coucher.
-          Ah non ! Pas ça ! Tout ce que tu veux mais pas radical-socialiste ! Non mais, j’ai ma fierté tout de même ! réponds-je avec vivacité.
-          Ah ah ah ah ah ! Le bel Albert, sacré Fortunio ! Tu as de la chance que ce soit le tracteur qui m’ait réveillé sinon je te flanquais dans la fosse à merde. T’as porté les croissants, j’espère ?
-          Ah oui ! Sinon je n’aurais pas osé me présenter devant vous, messire Léon !
-          Mes cirent les pompes, oui. Tu connais la maison, va préparer du café et ne drague pas ma chère et tendre. Le temps de passer là où le roi va à pied et j’arrive !
Esther me regarde en riant et me fait signe de la suivre. Je fais sortir Flèche puis nous allons directement dans la cuisine et mettons le petit déjeuner en route. Précédé par un fracas de chasse d’eau, Léon arrive. Il me balance une claque dans le dos à me décoller le péritoine dans un rire haulérique qui fait vibrer les carreaux de la cuisine. Nous nous assoyons autour de la table, je sers le café.
-          Toi, si t’es là c’est pour me demander quelque chose et pas pour me souhaiter mon anniversaire, je suppose…
-          Pourquoi, c’est aujourd’hui ton anniversaire ?
-          Justement non, c’est dans six mois, raison de plus. Allez, raconte !
-          C’est-à-dire que…
-          Je te préviens tout de suite, tu peux parler devant madame, elle peut tout entendre !
-          Oui, bon, je ne sais pas trop par où commencer…

-          Alors, arrête tout de suite, ça sera plus simple. Quoique… maintenant tu as éveillé ma curiosité à force de tergiverser.
(à suivre...)

dimanche 20 septembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (2)

Lectrices et lecteurs, bonjour. Dans l’article 2 de la Constitution Française de 1958, il est écrit : « La devise de la République est Liberté, Égalité, Fraternité. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »
Cela est le principe de la démocratie et, si l’on en croit les historiens, la démocratie fut pratiquée dès la plus haute antiquité : déjà, à Cro-Magnon, le vote avait lieu à gourdin levé. Aujourd’hui les mœurs ont évolué et les matraques sont plus légères. Mais c’est depuis cette époque que l’on parle du casse-tête démocratique. D’après les meilleurs auteurs, c’est à Athènes que naquit vraiment la démocratie. Will Cuppy écrit dans son ouvrage en américain intitulé : « The decline and fall of practically everybody », ce qui veut dire en français : « Grandeur et décadence d’un peu tout le monde », je cite : « Comme démocratie signifie : gouvernement par le peuple, les Athéniens se réunissaient sur la Pnyx et gouvernaient. Périclès prononçait un discours, après quoi les Athéniens poussaient des cris et des acclamations, approuvaient la motion, signaient des traités, déclaraient la guerre, et Périclès ajoutait quelques petites touches qui rendaient la décision un peu plus obligatoire. » Fin de citation. On comprend donc que la démocratie athénienne n’était guère différente de celle que nous pratiquons aujourd’hui. La principale différence consistant dans le fait qu’elle était considérée comme un sport par les Athéniens alors que de nos jours elle se pratique comme un art culinaire.
En effet, on nous sert annuellement environ une ou l’autre élection : en amuse-gueule des municipales ; en premier plat des européennes ; en plat de résistance des départementales ; en dessert des présidentielles et en pousse-café des régionales. Avec, en guise de trou normand, un référendum ou quelque partielle locale. De quoi assouvir les plus insatiables… Tout cela permet de concocter une pesante démocratie dite représentative. En règle générale, lorsque l’on accole un adjectif qualificatif au mot démocratie, ce n’est plus pour qualifier ce mot mais pour le disqualifier : pour rappel les démocraties populaires de l’époque soviétique n’avaient rien ni de démocratique ni de populaire ; sans oublier la social-démocratie de Monsieur Schulz… sans commentaire. Donc, démocratie représentative cela veut dire : «Candidat, je me présente, vote pour moi ; élu, je te représente, ferme-la ». Car tout de même, où irait-on si le peuple se gouvernait lui-même alors que nous ne manquons pas de gens intelligents, compétents et arrogants aptes à gérer notre république. Ainsi, ils sont des milliers qui émargent au budget de l’Etat et jouissent des faveurs et des prébendes de la république.
Car en effet, si la république est l’ensemble des biens, des droits, des prérogatives de la puissance publiques et des services propres à un Etat et si elle est la propriété collective de tous, il ne faut tout de même pas exagérer, si tout le monde s’occupait de tout à la fois, on ne s’y retrouverait plus. Et, de plus, il pourrait malencontreusement se faufiler parmi tous ces gens des personnes trop honnêtes pour bien gérer la chose publique. Rien n’est plus suspect qu’un politicien intègre et d’une moralité irréprochable : cela cache quelque chose !
Mais que l’on se rassure, tout est fait pour que le citoyen ne comprenne plus rien à nos institutions : notre Constitution d’une quarantaine de pages était bien trop accessible à l’électeur moyen et par conséquent on nous a concocté un traité simplifié dit de Lisbonne en guise de constitution pour l’Europe, plus de 350 pages dont le nombre de renvois prouve le côté indigeste.

On voit par-là que la démocratie est le meilleur moyen pour digérer des couleuvres.

jeudi 17 septembre 2015

Le cabot de Fortunio (63)

En début d’aprème, nous retournons à l’hosto. Une fois dans la chambre, François me laisse seul avec Eliane, toujours aussi émouvante dans son lit. Une fois seul, je m’approche au plus près et je lui dis :
-          Eliane, tu es mon amour et il faut que tu tiennes, il le faut, Stalle va trouver la solution, François sera près de toi. Moi, je vais chercher les gars qui t’ont fait cela, ils ne peuvent pas s’en sortir comme ça. Je devrai peut-être retourner au Gondo, je reviendrai te voir dès que je pourrai. Tu tiendras, je le sais. Je t’aime.
J’en ai assez dit, me semble-t-il, je sors de la chambre. Dans le couloir, François parle avec une infirmière qui lui explique que le Pr Stalle et deux spécialistes de neurochirurgie vont se pencher demain matin sur le cas d’Eliane. Je prends congé de François, un peu surpris de me voir partir si vite, et je rejoins ma voiture ainsi que mon chien. Et direction le cabinet de maître Benledek. J’ai un peu de mal en ville mais avec du bol, j’arrive à me garer pas trop loin de la rue Amédée-Potoire où officie le maître en question. Le 15 est un immeuble de bon standing des années soixante, le bonhomme a sa plaque en cuivre. Je sonne. Une voix de femme, un peu rogomme, me déclare tout de go à l’interphone que maître Benledek est absent jusqu’à vendredi et qu’elle ne prend les rendez-vous que par téléphone.
-          Il est à Toulouse ? toutdegoté-je itou.
-          Oui, répond-elle. Mais, vous le connaissez ?
J’abandonne la conversation, je file en rasant les murs, inutile de se montrer au cas où notre mêlécasse espionnerait à la fenêtre. Exit direction Clermont-L’Hérault.
*
A Clermont-L’Hérault, il y a mon copain Léon[1]. Toutefois, pas question d’arriver chez lui sans prévenir. Une fois dans mon véhicule, j’appelle chez lui et, comme d’hab, c’est le répondeur :
-          Bien le bonjour, fait une voix emphatique et grave, vous êtes sur la messagerie vocale de Léon Hauler, mécanique générale, colonelle et agricole. Vous n’êtes pas obligés de me faire chier en me laissant un message mais si vous y tenez absolument, faites-le après le burp sonore.
En effet, ce n’est pas un bip mais bien un burp qui annonce le début de l’enregistrement et je lui laisse consciencieusement un message lui annonçant mon arrivée pour demain matin de bonne heure. Evidemment, j’ai intérêt à porter les croissants car mon pote est habituellement assez long à émerger, les vapeurs de rosé ne se dissipant qu’à partir de onze heures du matin.
Après le viaduc de Millau, je fonce sur Creissels où je connais un restau avec un menu à se taper la cloche, arrosé d’un Lalande de Pomerol comme il faut. Puis je me trouve un coin de causse pour garer la fourgonnette. Le chien et moi faisons un tour hygiénique puis dodo, hôtel du causse, frein serré.
La fourgonnette, c’est pas ce qu’il y a de mieux pour dormir. Le snotenberg est un chien ronfleur, ce genre de musique me berce, nous passons une nuit acceptable.
(à suivre...)



[1] Voir « Le magot de Fortunio », même auteur et même largeur chez TheBook Editions.

dimanche 13 septembre 2015

Chronique de Serres et d'ailleurs (1)

Lectrices et lecteurs, bonjour. Cette chronique s’intitulera de Serres et d’ailleurs - Serres avec un S majuscule - car je suis un ressortissant du Pays de Serres. Mais aussi d’ailleurs car ceux qui iront voir ailleurs si j’y suis auront quelques chances de m’y trouver.
 Le Pays de Serres est une belle région de collines qui résultent de la fragmentation d’un plateau par des vallées parallèles. Il faisait partie de la Guyenne et s’étend sur deux départements, le Lot-et-Garonne et le Tarn-et-Garonne. Pour ma part, je suis sur le territoire de la Communauté de Communes Porte d’Aquitaine en Pays de Serres, qui regroupe une quinzaine de communes dont les principales sont Puymirol et Beauville.
Communauté de Communes Porte d’Aquitaine en Pays de Serres, Voilà un nom bien ronflant dont on peut penser qu’il a été concocté par des officiels soit en manque d’imagination ou au contraire en excès d’inventivité. Et, pour notre plus grand malheur, ces officiels croient bon de nous infliger le navrant acronyme PAPS qui bruisse comme une bouse s’étalant au sol. Mais peut-on leur en vouloir, à ces officiels ? Ils ne font que suivre une mode ambiante qui est d’amalgamer des noms puis de contracter le tout en un sigle disgracieux dont bientôt nul ne saura d’où il provient. Et la mode est aussi à créer des portes fictives où l’on passerait pour entrer et sortir, ça ou là : Porte d’Aquitaine, de Corrèze, d’Alsace, des Landes… disons que même si on ne voit pas la porte, on peut croire avoir vu passer des gonds !
Alors faisons un effort pour donner des idées neuves. Prenons par exemple nos noms de départements : le plus souvent ils ont été créés en leur attribuant le nom des fleuves et rivières qui les arrosent. Le territoire de la Communauté de Communes ne manque pas de rivières aux noms sympathiques : la grande et la petite Séoune, la Gandaille, l’Escorneboeuf.  « Séoune et Escorneboeuf », cela ne sonnerait-il pas républicain ?
Il y a aussi d’autres possibilités comme, encore par exemple, les noms de personnages célèbres ayant marqué le territoire dans les siècles passés. Parmi personnages célèbres de ce terroir, il y a Saint Maurin qui vécut au VIème siècle, fut décapité à Lectoure et porta sa tête jusqu’à la source de la future abbaye de Saint-Maurin où il fut inhumé. Il s’agit tout de même d’un record car peu de saints martyrs ont parcouru une telle distance en portant leur tête sous le bras. Pensez donc : il y a une cinquantaine de kilomètres de Lectoure à Saint-Maurin ! Ce prodige lui valut le titre de céphalophore, ainsi que le fut Saint Denis. La Communauté de Communes du Céphalophore, c’est tout de même plus fort que du Roquefort ! Je crains toutefois de voir à nos trousses la cohorte des laïcisants, indignés par cette référence religieuse. Je propose alors un autre nom qui me paraît particulièrement intéressant, à savoir celui de Guillaume Léonard de Bellecombe dont la carrière militaire le mena du Québec à l’ile Bourbon en passant par La Martinique. En 1780, il fut même nommé maréchal de camp. Ce vaillant militaire, qui avait étudié à Puymirol, était né à Bellecombe, d’où son patronyme. Une Communauté de Communes de Bellecombe, voilà enfin un nom qui claque comme une banderole au vent  car ses habitantes seraient les Bellecombaises : voilà-t-il pas un gentilé bien charmant ? Hélas, j’entends déjà les esprits chafouins maugréer sur le fait que ce militaire était un colonialiste et un serviteur de la monarchie. D’autres ronchonner que Bellecombe est située sur la commune de Perville, en dehors du territoire communautaire… Certes, mais alors il me vient une idée tout à fait appropriée : le pays de Serres, ne se caractérise pas que par ses rivières, ses coteaux et ses célébrités et, quand il y a une serre ou un coteau, automatiquement il y a une vallée entre deux collines. Et cette vallée on l’appelle une combe : je propose donc que l’on donne le nom de communauté de communes des belles combes. Qui dit mieux ? Nous gardons ainsi nos Bellecombaises, laïques et républicaines.

Je conclurai en citant la fable de Jean de La Fontaine  « Le meunier, son fils et l’âne » : « Parbleu, dit le meunier, est bien fou du cerveau / Qui prétend contenter tout le monde et son père. »». 

jeudi 10 septembre 2015

Le cabot de Fortunio (62)

-          Celui-là, j’ai fait quelques recherches, tout de même, il habite en région toulousaine mais il est avocat au barreau de Paris, ajoute François, c’est le seul lien « physique » avec les ravisseurs. C’est un nommé Benledek, j’ai son adresse perso et son adresse professionnelle. Théoriquement, la Sécurité Intérieure enquête mais j’ai comme l’impression qu’ils sont un peu mous. De toute façon, ils m’ont interrogé mais ils ne me tiennent au courant de rien. Je n’ai de contact qu’avec le Quai, pas vraiment avec eux.
-          Le Quai ?
-          D’Orsay, c’est eux qui s’occupent de tout pour Eliane, son hospitalisation etc. Donc, comme tu vois, pas bézef à se mettre sous la dent… et puis, ma principale préoccupation, c’est Eliane…
-          Je comprends mais moi je suis pas chirurgien alors je vais me permettre de fouiner. Première chose : tu vas me les donner ces coordonnées, à ce Benledek…
-          Tu peux fouiner si tu veux mais vas-y mou, je ne veux pas mettre en cause la fondation… En fait, comment te dire… j’ai pas parlé de lui aux enquêteurs, j’ai dit que j’avais seulement eu des contacts par téléphone. De toute façon, je n’ai vu ce Benledek qu’une fois, il s’est pointé sans crier gare. Avec lui, on n’a négocié que pour le montant de la rançon, les ravisseurs ont retéléphoné après pour les instructions, ils ont rappelé encore trois fois et jamais les enquêteurs n’ont pu déterminer l’origine des appels. A Benledek, je lui ai donné ma parole de…
-          Ta parole de qui, de quoi ? A un gars qui accepte de faire l’intermédiaire dans cette affaire ? m’écrié-je.
-          Je suis de la vieille école, je sais, pour moi une parole, c’est une parole. Je vends des bagnoles, je sais, je sais, mais tous ceux qui travaillent avec moi le savent, je n’ai qu’une parole. Ça doit être mon côté pied noir… Bon, quoiqu’il en soit ce mec a débarqué, je ne le connaissais pas, on est allés dans mon bureau. Il est resté un bout de temps et quand il est reparti, un bon client à moi poireautait depuis un quart d’heure. Il a vu sortir cet avocat et il m’a demandé si c’était un client à moi. J’ai répondu que non et que je ne l’avais jamais vu auparavant. Mon client, lui, le connaissait mais il l’a laissé passer sans rien dire et pour cause : ce gars est avocat spécialisé dans les affaires matrimoniales, divorces, garde des enfants, partage des biens, tu vois quoi ! Mais il fait surtout dans la clientèle aisée, il a son cabinet à Paris. La fille de mon client l’avait contacté pour son divorce, précisément. Elle ne voulait pas y aller seule et s’est donc fait accompagner par son père. La tête et les manières de l’avocat ne leur plaisaient pas plus que ça. Le père, qui a des relations, a appris que cet avocat avait échappé plusieurs fois de justesse à des poursuites judiciaires pour détournement de mineure. Sa fille a changé de conseil mais le père n’a pas oublié la bouille du gars. Je lui ai demandé de me refiler son adresse à Paris, ça l’a un peu étonné mais il me l’a donnée et il a ajouté qu’il habitait en fait dans la région. J’ai cherché et découvert qu’il a une baraque du côté de Muret. Je vais te la donner son adresse Mais je te le redis, vas-y mou, il ne faudrait pas mouiller la fondation…
-          T’inquiète, je sais faire dans la dentelle quand y faut. Alors cette adresse ?

Il sort un petit carnet et griffonne deux adresses, une ici à Paris et l’autre du côté de Muret, région toulousaine… pas si loin que ça de Sarignac, pour ceux qui connaissent. Voilà qui me donne une idée mais je me la garde pour moi, François n’a pas besoin de savoir.
(à suivre...)

dimanche 6 septembre 2015

Chronique du temps exigu (12b)

On n’arrête pas le progrès en marche. Pas plus que l’on n’arrête sa course. Il est évident que le progrès va, court et vole de son propre zèle.
Le niveau monte et des scientifiques de toutes farines et de toutes obédiences publient de manière régulière d’étonnantes découvertes. Jusqu’où ira-t-on, peut-on se demander à juste titre ? Mais jusqu’où n’ira-t-on pas aussi ? Qu’est-ce qui fait que ce progrès tant vanté, lancé comme une locomotive, n’entraîne pas à sa suite tous les wagons de l’esprit humain ? Car il faut le dire : si de plus en plus de grands esprits paraissent briller au firmament de la science et de la technique, ces derniers semblent laisser sur le bord de la route tant et plus de pauvres cervelles démunies et ignorantes de l’expansion du progrès…et c’est ici que je dois arrêter mon élan.
En effet, je comptais livrer une chronique sur la médiocrité, qu’elle soit intellectuelle ou non. J’avais écrit plusieurs lignes et en me relisant, je constate que la médiocrité est contagieuse. Je relis ces quelques lignes (supprimées depuis) et suis frappé par la médiocrité de mon texte. Ne peut-on fustiger la médiocrité que médiocrement, avec des phrases et des pensées banales et mesquines ? La médiocrité se défend-elle en contaminant celui qui voudrait la fuir ?
La médiocrité intellectuelle est-elle inéluctable ? On peut le craindre, il n’y a pas de places pour tous dans les fourgons du progrès. Et on en arriverait même à penser que le progrès, en tirant la médiocrité vers le haut la rend ainsi encore plus minable (tel qui pensait devenir un haut personnage le matin en se rasant se montre bien trivial en nous barbant le soir) et l’on peut voir que des découvertes géniales peuvent se transmuter en applications insignifiantes dans les mains d’individus sans qualités.

On voit par là qu’il faut taire ce dont on ne peut parler.

jeudi 3 septembre 2015

Le cabot de Fortunio (61)

Je retourne à ma voiture et fais sortir Flèche. Je dois la mettre à la laisse, ce chien n’a pas l’habitude de la ville. Nous partons donc vers le Luxembourg. Nous nous y promenons tranquillement, je comprends bien qu’il y a une réglementation canine mais je m’égare un peu, toutes ces statues me fascinent dans ce décor onirique et je finis par arriver sous la statue de Jeanne d’Albret, ce qui me plonge dans un abîme de réflexion, je pense à cette femme volontaire et intelligente (enfin, il paraît…), je pense à son fils, Henri IV, monté comme moi[1] à Paris…
Mordiou, brabès gascouns, m’écrié-je, il ne sera pas dit que les salopards qui lui ont fait cela s’en tireront sans coup férir. Ils vont entendre parler de Fortunio, coquididiou !
Une vieille dame vient gentiment me signaler que ce ‘est pas un endroit autorisé pour mon chien… Ah, Madame, pardonnez-moi, je m’en vais de ce pas… Elle me regarde gentiment. Elle doit croire que je suis un peu allumé et elle a bien raison. D’un pas martial, je me dirige vers le Boulevard où je tombe face à François.
-          Oh ! Fortunio, ça va ? Tu parles tout seul maintenant ?
-          C’est rien, c’est rien, je parlais avec Jeanne d’Albret…
-          Tu ne me ferais pas une petite hypoglycémie, toi ? Allez, viens, on va trouver un endroit où tu pourras entrer avec ton chien. Tu sais qu’il a une bonne tête ce clébard ? Il me plaît bien. Ça fait longtemps que tu l’as ?
-          Ne m’en parle pas, allons manger, je te raconterai, ça va me détendre.
Nous trouvons un restau où nous nous installons en terrasse. Nous commandons des rognons sauce madère (il paraît que c’est le jour) avec un Juliénas de derrière les fagots et une gamelle de flotte pour la Flèche. Une fois prêts à attaquer, je raconte l’histoire fléchesque, manière de détendre l’atmosphère, la mienne en tout cas.
-          Il t’en arrive des choses à toi, mon pote, on dirait que tu ne peux pas mettre le pied dehors sans que tout se mette à remuer autour de toi ! déclare François.
-          T’as pas tort. Mais en même temps, j’ai l’impression que je porte la poisse…
-          Excuse-moi de te parler ainsi mais je t’interdis de dire ça ! Tu sais très bien que ce n’est pas vrai mais ça porte la poisse de le dire.
-          Une fois de plus, t’as pas tort. Bon, mais c’est pas tout ça, sers-moi un verre de pif que je te pose des questions.
-          Un Juliénas 2009, du pif ! Eh ben mon cochon ! déclare-t-il en remplissant mon verre.
Je commence à le cuisiner sur le déroulement des opérations, depuis le jour où il a appris l’enlèvement d’Eliane jusqu’à aujourd’hui. Les appels téléphoniques, comment il a été contacté, par qui, les relations avec le ministère, la fondation CL, l’arrivée d’Eliane à Paris et le toutim. De mon côté, je n’ai plus grand-chose à lui apprendre, Gheusy lui a déjà fait un rapport détaillé. C’est ce dernier qui a réglé le retour rapide de Wassabé, il a très vite saisi les limites des chirurgiens locaux.
Pour ce qui est de la demande de rançon, il y a eu un premier contact par téléphone. Mais pas fous, les gars, ils avaient appelé d’un appareil non identifiable. Ils ont simplement dit que François serait recontacté, il fallait qu’il attende et qu’il ne parle pas de ce contact avec les autorités, faute de quoi…Ensuite, il y a eu deux autres appels, toujours avec des appareils différents, dont l’un en présence de Gheusy et l’autre où ils ont laissé parler Eliane. Puis l’arrivée inopinée du fameux avocat genre libanais.
(à suivre...)




[1] Et comme un étalon.