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jeudi 31 mars 2022

Dernier tableau (70)

Toujours est-il que le père d’Adrien était fou, fou à lier. Mais qui aurait pu le dire ? Un personnage si honorable, directeur local d’une si puissante banque ! Il a été mis sur la touche par la banque, d’abord placé sur une voie de garage puis mis à la retraite alors qu’il n’avait pas cinquante ans. Ce type était un authentique paranoïaque, il n’était plus invité nulle part car on le savait capable des pires esclandres. Il a fini sa vie seul, dans son petit château. Quant à ses fils, juste deux mots : Adrien, l’ainé, celui qui était à l’internat à St-Servais en même temps que moi, c’est un obsédé sexuel. Je ne plaisante pas. Il a vécu presque toute sa vie reclus chez son parrain, un frère de sa mère. Il ne sortait qu’accompagné car il était capable d’agresser sexuellement des femmes, même dans la rue. Il était dangereux car il ne pouvait pas contrôler ses pulsions. Mais on ne met pas comme cela un baron de Vermorec en hôpital psychiatrique. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, je suppose qu’il vit toujours, je ne l’ai pas revu depuis que j’ai acheté le tableau et les meubles.

– Et l’autre frère ?

– Sur lui, pas de commentaire spécial, si je puis dire. Il a été inscrit dans une pension, ailleurs, je ne sais pas où. Il s’est murmuré qu’il n’était pas le fils du baron et que c’est pour cela que le père l’avait envoyé dans un collège lointain. Ce n’était pas un garçon très brillant, je ne crois pas qu’il ait poursuivi des études mais il n’a jamais fait parler de lui. Son prénom me revient, il se prénommait Thierry. Voilà ce que je sais des Vermorec.

– Et ce sale quart d’heure ?

– Oh, ce n’était pas bien grave. Mais Adrien, qui était déjà obsédé par les femmes, nous interpellait en nous appelant « les filles ». Quand je dis nous, je veux dire moi et un grand ami, nous étions des inséparables. En tout bien, tout honneur néanmoins. Nous traiter de filles une fois ou l’autre, cela serait passé, mais il insistait lourdement. Un jour, nous l’avons coincé à la fin de la récré du soir et nous l’avons enfermé dans un chiotte, un chiotte bouché en plus. Nous avons coincé la porte avec une chaise mise en travers de l’étroit couloir. Il a passé la nuit dans ce lieu sordide et a été délivré au petit matin par les premiers élèves qui sont passés par là. Il leur a dit de la boucler et à dater de ce jour, il nous a laissés en paix. Comme je vous l’ai dit, il semble ne pas m’en avoir gardé rancune. Maintenant, vous en savez autant que moi sur les Vermorec.

– Oui et tout cela me laisse rêveur. Ce petit tableau était comme une pelote de laine, j’ai commencé à tirer sur le fil et plus moyen de l’arrêter. Il se fait tard, pardonnez-moi de vous avoir tenu si longtemps.

– Du tout, mon cher Hervé. Et pour fêter nos retrouvailles, allons donc manger une galette bretonne à côté. C’est un endroit pour touristes, mais j’y suis bien connu et nous serons royalement servis.


Depuis son arrivée à St-Lambaire, Hervé n’a pas encore mangé une seule galette, c’est un manque à combler en terre bretonne. Ils se rendent donc dans la crêperie voisine et s’y régalent de galettes et de cidre.


*


L’hiver passe ainsi, doucement, tranquillement. Il continue ses courtes balades, matin et après-midi. Une fois ou l’autre, lorsque le temps est un peu favorable, il fait une randonnée plus longue. Sara l’accompagne parfois. Elle vient le voir régulièrement chez lui, elle a commencé à faire une copie de la petite chaumière. Ils se sont octroyés une nuit entière chez elle et même ensuite une autre, quand elle est sûre et certaine que Renato ne viendra pas. Ce dernier a d’ailleurs espacé ses allées et venues, on pourrait croire qu’il sent que sa présence est bien peu souhaitée.

Tucaume appelle un jour, il n’a rien de neuf, mais il assure qu’il n’oublie pas. Il veut qu’Hervé vienne lui rendre visite, il verra son épouse et ils feront un tour au Bussiau. Hervé tergiverse, il n’est plus guère motivé par toute cette histoire. Il fait la connaissance de Madame Brazeau, la Chef-bibliothécaire de St-Lambert, en se recommandant de Marondeau. Cette dame est conviviale et intéressante. Il se lance dans la lecture, comme prévu il commence par L’itinéraire de Paris à Jérusalem.

Il se rend à Becherel –le village du livre- non loin de Dol et de Combourg avec Sara, pour une manifestation littéraire et artistique. Ils s’y trouvent nez-à-nez avec Frédéric Tucaume en personne, impossible de lui échapper. Il les invite tous deux chez lui le dimanche suivant, pour le déjeuner. Et ils iront au Bussiau ensemble.

(à suivre...)

dimanche 27 mars 2022

Contes et histoires de Pépé J II (27) L’âne et les bœufs

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Aujourd’hui, je vous fais cadeau d’une fable, à la manière des fabulistes du temps passé mais qui s’inscrit bien dans notre temps présent : 

Bien loin dans la campagne, une petite étable,

Propriété de maître Célestin :

Une petite ferme, un bon toit habitable,

Un champ pour produire le picotin,

L’autre semé en blé, une grasse pâture,

Un potager enclos, un joli poulailler.

Aussi deux rudes bœufs de solide nature

Et pour porter le bât, un âne bien taillé,

Splendide bourricot de race belle et bonne.

Le vrai baudet rustique au poil brillant gris-roux,

Qui dresse noblement son oreille friponne,

Et des yeux si brillants qu’on dirait des bijoux.

Cet aliboron est le porteur le plus rude

Que l’on peut espérer, avançant à son pas,

Une patte après l’autre avec exactitude,

Toujours sûr d’arriver, qu’on soit à l’heure ou pas.

 

Un jour voulant livrer son grain en meunerie,

Le paysan, toujours impatient,

Sur l’âne met le bât, sans nulle flatterie,

Grison le trouve bien insouciant.

 

Pour hâter le transport, le maître lui balance

De durs coups de bâton, à hue et à dia.

Le baudet prend son pas, grave et sans violence,

Dédaignant toute insulte et tout charabia.

Le paysan s’énerve, il veut aller plus vite,

Le meunier n’attend pas, l’orage peut venir.

Mais rien n’y fait, ni coup, ni juron, ni invite,

Cadichon a son rythme et compte s’y tenir.

Le maître au désespoir achète une carotte

Et, passant devant l’âne il lui tend cet appât.

Placide, l’animal fait tomber une crotte

Et garde son allure en marchant pas à pas.

La livraison se fait sans que baudet ne trotte

Puis jusques au logis retour au même train.

Le fermier mécontent donne aux bœufs la carotte :

Ils se gaussent de lui, croquant avec entrain.

« Pour un si faible effort, vois-tu la récompense

Cela ne vaut-il mieux qu’obéir au gourdin ? »

Le vieux sage Grison, sans souci de sa panse,

Réserve sa réponse et déclare soudain :

Vous pensez raisonner mais n’y entendez guère

Je ne veux nul bienfait car c’est la même main

Qui propose la paix mais qui me fait la guerre

Qui cajole aujourd’hui et frappera demain.


Le baudet en cela, mieux avisé que l’homme,

ne serait nullement prêt à voter

pour qui hier frappait, qui aujourd’hui l’assomme

Et promet demain de le dorloter.


jeudi 24 mars 2022

Dernier tableau (69)

 

Nous y viendrons, c’est comme vous le dites un brave homme. Mais je dégustais tranquillement des cacahuètes et du whisky lorsque je fus questionné par un monsieur d’au moins soixante-dix ans accompagné de sa femme. Il n’avait pas assisté à la cérémonie, il sortait de la messe. Il avait été instituteur à La Brémarde…

– Instit’ dans l’école laïque devenu cul-bénit à la retraite si je comprends bien, ricana Raymond.

– Mauvaise langue, réplique Hervé.

– Tous ne me l’ont pas dit, mais continuez, nous sommes sur une mauvaise pente…

– Ne m’interrompez pas avec vos insanités, Raymond. Donc cet instit’, comme vous dites, était en poste quand le petit Achille allait à l’école de La Brémarde. Et il a recueilli le témoignage du gamin à l’époque de la mort de Leyden et de la petite Veudenne.


Il raconte la conversation avec l’instituteur. Ensuite, il fait un rapide compte-rendu de la discussion avec Tucaume.


– Mon cher, tout cela est impressionnant, on peut tout supposer. Avez-vous quelque espoir que cet Achille vous recontacte ?

– Bien peu, je le reconnais. De plus, je n’ai pas été assez avisé pour demander les coordonnées de l’instituteur. Il ne reste qu’une seule possibilité : que Tucaume trouve quelque chose.

– Oh ! Ce scribouillard, que voulez-vous qu’il fasse ?

– Je ne veux rien affirmer, mais je lui fais confiance. Son article était parfait, il a respecté mon anonymat, je pense que c’est un honnête homme.

– Je ne sais pas ce qu’est devenu ce journal, le Courrier d’Émeraude. Mais Vergoat, celui qui l’a fondé, était un peu un sale type, un politicien populiste prêt à toutes les compromissions qu’il dénonçait chez les autres. Mais paix à ses cendres, il n’est plus depuis bien longtemps.

– J’ai eu l’occasion de le lire, ne serait-ce que pour voir comment était relatée mon interview. Pour ce qui est de la politique locale, je ne comprends pas trop, je ne connais pas suffisamment le pays et les notables, mais c’est un petit quotidien sans prétention.

– Bien, mon cher Hervé il faut que je vous fasse connaitre quelqu’un. Un homme très intéressant. Non seulement il a une culture générale considérable mais encore c’est un féru d’histoire et de régionalisme. Il s’agit de Monsieur Diliolis, un excellent ami, ancien juge au tribunal de Saint-Lambaire. Il n’est plus tout jeune mais il a une mémoire étonnante, je suis persuadé qu’il vous apprendrait bien des choses sur ce qui s’est passé au moment de la mort de Leyden. Je vais vous le faire rencontrer dès que possible.

– Doucement, Raymond, doucement. Je ne suis pas un enquêteur. Les choses sont venues à moi sans que j’aille les chercher, je viens de passer quelque temps sans qu’il ne se passe rien, je ne vais pas me mettre à remuer ciel et terre pour savoir ce qu’il est advenu il y a plus de cinquante ans. Cela n’intéresse plus personne !

– Bien sûr. Il y a néanmoins une personne que cela intéresse encore, c’est le fameux Achille. Vous lui avez donné la possibilité de raconter son histoire, de soulager son esprit. S’il ne s’en saisit pas, c’est que tout cela est trop lourd pour lui. Mais vous avez cité un nom, permettez que je revienne dessus. Ce nom de Vermorec m’est connu, cela remonte à ma folle jeunesse.

– Vous connaissiez le propriétaire du Bussiau ?

– Pas en tant que propriétaire du Bussiau. Mais vous allez voir, c’est très intéressant. Je crois vous avoir raconté où j’avais acheté ce tableau qui allait devenir votre tableau.

– Je ne me souviens plus très bien, avoue Hervé.

– Je ne pense pas l’avoir précisé, mais j’ai dû vous dire que j’avais acquis ce tableau dans un lot de meubles et de bibelots, à l’occasion d’une succession. Si j’avais été appelé, c’est parce que j’avais connu un des deux héritiers quand j’étais encore au collège. Cet homme n’était pas rancunier car, avec un copain, nous lui avions fait passer un sale quart d’heure, enfermé dans les toilettes puantes de l’internat. Bref, il s’agissait d’Adrien de Vermorec, le fils du baron de Vermorec, gros propriétaire terrien de la région et directeur du Crédit Forestier. Je vous passe les détails, ce qu’il faut retenir, c’est que le tableau était en possession du baron. Vous saviez déjà que c’était lui qui l’avait fait encadrer et je vous confirme que ce tableau était toujours en sa possession au moment de sa mort. Une drôle de famille ces Vermorec. Ils se sont toujours fait donner du monsieur le baron, mais leurs aïeux se sont enrichis fin du dix-huitième, début dix-neuvième. En ces temps troublés, ils se sont attribué une particule, un titre et ce nom de Vermorec qui n’était pas le leur. Avec de l’argent, on trouve toujours des solutions.

(à suivre...)

dimanche 20 mars 2022

Histoire spéciale "stultitia stultitiam prolificat"

Suite à un incident technique, voici un court texte parodique pour remplacer la chronique habituelle.


Il y a des lieux où les âmes sont tombées en somnolence, des lieux oubliés des dieux, désertés par la pensée, la créativité et l’amour, lieux qui auraient pu être élus pour rayonner mais où ne souffle plus qu’une bise rude et sans grâce. Simples endroits sans mystère, d’où est bannie toute émotion, ils ne sont que mornes étendues dont les rivières ne sont plus qu’égouts et où les montagnes sont à genoux, où l’herbe n’est plus sauvage et où les fleurs sont domestiques. Seuls, les êtres humains qui y persistent paraissent encore en vie, ils s’agitent, piaillent et avalent des nourritures molles mais leurs âmes sont en léthargie, liées par de chétives entraves qu’ils ne peuvent ou ne veulent briser et la seule présence de ces êtres que l’on peine à qualifier d’humains a transformé le paysage et les éléments en un environnement d’une mélancolie poisseuse d’où plus rien ne peut s’envoler et où le soleil ne luit plus que d’une lumière sombre.
Tout l’être est profondément saisi aux tripes d’angoisse et de mélancolie. C’est la tristesse qui nous envahit et altère notre esprit en annihilant toute velléité de réagir.
D’où vient que ces lieux baignent dans cette torpeur ? Est-ce une atmosphère gazeuse qui intoxiquerait les poumons, sont-ce les eaux turbides de fleuves et rivières dont les vapeurs brumeuses envelopperaient les êtres et les choses ? Sont-ce des ondes nocives et insidieuses traversant les cellules et les cerveaux ? C’est encore plus incompréhensible car ces lieux ne sont nullement voués de toute éternité à cette angoisse délétère et il suffirait de peu pour que change leur destin, pour que s’établisse un nouvel équilibre, pour que la joie vienne et demeure…
Mais alors, mais alors, Dimitri ? Silence ! Si les dieux sont partis, si les âmes sont en déshérence, si la bise mord les visages, si le mystère a déserté ces lieux, que s’est-il donc passé ? Quel est donc le flot qui, insidieusement, a noyé de ses effluves et effluents des contrées entières et les a ainsi rendues impropres à la pensée, à la créativité et à l’amour ? Il semble que des êtres soient chargés d’une mission spéciale, obscure et ténébreuse, avec pour seul impératif de répandre la sottise en des territoires voués par leur seule présence à l’affliction, à la douleur et à une vague nostalgie de ce qui aurait été, de ce qui aurait pu être. Et ils remplissent avec ténacité, obstination et efficacité leur douteuses obligations car là où ils s’installent ne subsiste que leur immarcescible stupidité : les terres s’en trouvent transformées, les airs en deviennent pollués et la lumière même en devient obscurcie. Ces êtres s’accrochent, sûrs d’eux-mêmes, et ils s’adoubent entre eux, stultitia stultitiam prolificat…
Il y a des lieux où les âmes sont tombées en somnolence.

 

jeudi 17 mars 2022

Dernier tableau (68)

 

Et je veux que vous me parliez de ce tableau. Où en êtes-vous ? L’avez-vous fait ré encadrer ? Attendez avant de me répondre, je prépare le thé et nous parlerons tranquillement.

– Si vous souhaitez que je vous raconte tout, n’espérez pas que nous fassions un scrabble…

– Si vous avez des histoires passionnantes à me raconter, je me passerai volontiers de scrabble. Je vous écoute, mon cher Hervé, répond Marondeau en apportant le plateau du thé.


Hervé raconte son déplacement à Morlaix, la découverte du second tableau par Dussieu, l’inauguration de la plaque et la rencontre avec Antonia.


– Vous avez eu la Viquerosse en face de vous et vous êtes toujours vivant ? Mais vous êtes Saint Georges terrassant le dragon !

– Si peu, si peu, voyons Raymond, cette dame s’est bien assagie et elle reconnaît elle-même avoir remué ciel et terre…

– Le ciel, la terre, mais aussi la tête et les tripes de Marondeau. J’en tremble encore, mon cher !

– Mais elle était peut-être – chi lo sa ? – amoureuse de vous, glisse-t-il sournoisement.

à Dieu ne plaise ! Amoureuse de moi ! Il n’aurait plus manqué que cela. Allons, allons, continuez mon cher, je suis persuadé que vous n’en avez pas fini…

– En effet, et la suite n’est pas moins intéressante. Vous permettez que je reprenne une tasse de votre excellent thé ?


Il se ressert et reprend son récit. Cette fois, il raconte son expédition dans la ria, le Bussiau, Zézé, Gégé, Dédé et tutti quanti, puis sa visite à Achille.


– Mon cher, vous êtes gonflé, si j’ose dire. à votre âge, faire le pingouin dans l’eau de l’océan ! Sans compter le voyage en tracteur, la moto et le bus !

– Ces trois derniers sont de moindres maux, mais je reconnais avoir été imprudent. Mais n’ai-je pas été poussé par vous et attiré par le Bussiau ?

– Voyez, voyez mon cher, ce n’est pas moi qui vous pousse, rappelez-vous l’histoire de ce tableau. Enfin, une partie de son histoire puisque vous avez levé le voile, avec l’aide de Dussieu, sur une autre partie de son histoire. Ce tableau a un je-ne-sais-quoi, un magnétisme particulier qui provoque autour de lui des choses étranges : la mort d’un commis-voyageur – on dirait le titre d’un film, n’est-ce pas ? – et la disparition d’un yachtman. Et vous, vous vous en sortez assez miraculeusement, sans l’aide que Leyden avait reçue des deux enfants, alors que vous auriez pu y rester aussi. Vous partez innocemment – enfin je le suppose- vous promener le long de la côte et vous vous retrouvez exactement au même endroit que Leyden, près de cinquante ans plus tôt. C’est impensable, il faut qu’une force invisible, ce je-ne-sais-quoi, vous y ait poussé…

– Admettons, mais gardons les pieds sur terre quand même. J’ai été imprudent, je le reconnais. La chance a été au rendez-vous…

– La chance ? Vous voulez dire la Providence, mon cher Hervé !

– L’une ou l’autre, comme vous voudrez. Toujours est-il que je suis là, en chair et en os en face de vous et c’est bien ce qui compte. Et je n’en ai pas terminé, permettez que je revienne un peu en arrière au sujet d’Achille Trouvé.

– Il vous a appelé au téléphone ?

– Non, je suis sans nouvelles de lui et j’ai décidé de ne pas le relancer, le pauvre homme. Je crains bien l’avoir déstabilisé. Mais rappelez-vous l’inauguration de la plaque, rue Camériau…

– C’est à deux pas d’ici en quelque sorte, intervient Marondeau.

à cette inauguration il y avait, comme je vous l’ai dit, les officiels, madame Secondat et quelques badauds. J’ai même été interviewé par un journaliste du Courrier d’Émeraude !

– Cette feuille de chou ! Il n’y a pas grande gloire à figurer dans ses pages. Et qu’avez-vous pu lui dire à ce brave homme ?

(à suivre...)

dimanche 13 mars 2022

Histoire spéciale de Pépé J 25 Sur l'ile de Guacamole

 

Les vieilles amitiés s’improvisent, disait Georges Courteline. Et c’est bien ce qui nous arriva.

Tombé avec une échelle en posant une citrouille sur son toit, Iannis Psittakis ne dut son salut qu’à mon intervention efficace. On lui avait bien dit : si tu montes sur une échelle, tiens-toi bien ! Il se tenait donc à son échelle mais c’est celle-ci qui négligea de se bien tenir et ils tombèrent ensemble sur le sol. Dans la chute, le malheureux Iannis se prit la tête entre deux barreaux et il ne put s’en dégager une fois arrivé au sol, quelque peu contusionné. Il eut beau appeler à l’aide, nul ne l’entendit. Moi-même, je déambulais au guidon de ma cyclomotorette sur la côte Est de l’île de Guacamole lorsque mon moteur s’arrêta sans crier gare. Et c’est à ce moment-là que je perçus les cris de Iannis qui avait réussi à se servir d’un barreau de son échelle en guise de porte-voix (les échelles en aluminium ont des barreaux creux qui portent fort bien le son). Je me précipitai donc au secours de celui avec qui j’allais improviser une vieille amitié de ô combien d’années à venir. Tel le grand Zampano1 brisant la chaîne de sa poitrine, j’écartai, à biceps-que-veux-tu, deux barreaux de l’échelle, libérant ainsi notre homme. Ce dernier me remercia chaudement, ce qui me permit de remettre en place les deux barreaux tordus. Iannis me raconta alors qu’il était à la recherche d’une voie professionnelle car le métier de poseur-de-citrouille-sur-son toit n’est guère rémunérateur et, comme on l’a vu, il est dangereux.

C’est là que notre rencontre fut déterminante pour lui car je fis observer qu’il avait une voie qui était sa voix de ténor du barreau (d’échelle, certes…). Vous avez bien reconnu en cela mon esprit d’à-propos, lui aussi d’ailleurs car malgré qu’il marchât en travers il se tourna sans hésiter vers des études de droit. Après quoi il s’inscrivit comme avocat au barreau de Guacamole dont il est même à ce jour le bâtonnier, ayant succédé au regretté avocat Mayonez.

Après cette aventure, je rejoignis le continent à marée basse car, comme vous le savez, Guacamole est une île à marée haute et une presqu’île à marée basse : on peut donc la rejoindre en cyclomotorette à pneu sec pour peu qu’on prenne le temps d’attendre le reflux.



1 Dans « La strada » de Fellini, bien sûr !

jeudi 10 mars 2022

Dernier tableau (67)

– Et je vous règle ce que je vous dois, dit-il en sortant son carnet de chèques. Que vous dois-je ?

– 125 euros, comme convenu, dit Dussieu tout en emballant le tableau. Vous savez, continua-t-il, j’ai eu un peu de mal à trouver pour qui ce cadre assez spécial avait été fait. Vous m’aviez parlé de 52, 53 et le cadre a été fait en 55 seulement. Le nom du client ne me disait rien jusqu’à hier. Après mon coup de fil, un vieil ami est passé ici et, comme par intuition, je lui ai demandé si ce nom lui disait quelque chose. Et en effet, il y avait un monsieur de Vermorec, un gros propriétaire terrien d’une ancienne famille de la région de St-Lambaire. Un type bizarre, il vivait seul dans un château. Son épouse était décédée, il avait des fils avec lesquels il ne s’entendait pas, je ne sais pas s’il les avait mis dehors ou si c’était eux qui étaient partis, mais toujours est-il qu’il vivait seul et qu’on l’a retrouvé mort dans son château. Voilà, je n’en sais pas plus, je me rappelle qu’il s’en était parlé à l’époque. Mais j’ignorais qu’il fut un client de mon père. Alors, dit-il en tendant un carnet à couverture noire, voici ce que mon père a écrit à la date du 20 mai 1955 :

    • 20/05 : Vermorec, deux peintures de Leyden pour un cadre (cadre noir, assez sévère pour un paysage et derrière un portrait) Le client demande la discrétion. Esp. 200 F (réglé). Viendra le retirer le 10/06


– Il s’agit bien de nos tableaux, dit-il. Évidemment, nous n’en saurons pas plus sur les raisons qui ont poussé ce Monsieur de Vermorec à vouloir dissimuler un tableau derrière l’autre.

– Voilà, vous saurez en tout cas que cela a coûté 200 francs à l’époque et vous connaissez le propriétaire des tableaux. Vous saviez en quelles mains ce tableau était passé ?

– Nullement et j’en ai fait l’acquisition dernièrement par le truchement de monsieur Marondeau. Il faudra que je lui pose la question, je verrai.


Après avoir récupéré son paquet et remercié Dussieu, Hervé s’en va et repart pour St-Lambaire.

Arrivé chez lui, il remet son tableau en place et se plait à l’admirer. Dussieu l’a vraiment bien conseillé, ce cadre beige met bien en valeur cette belle toile.

Il mange, lit un peu et puis se couche.


*













6. Hiver






Le jour suivant, le froid s’installe, on approche de Noël.

Il traine son rhume et l’hiver s’enracine en lui. Il n’aime guère les festivités contraintes, leurs traditions et leurs commerces. Par chance, Sara est occupée par la visite de sa fille et il peut donc tranquillement passer un Noël aux tartines.

Il n’échappe cependant pas à un réveillon de nouvel-an chez Édith, avec Sara et Sylviane, sa fille, Valentine et Antonin, les enfants d’Édith. La fête est agréable et les convives de bon aloi. Valentine et Antonin sont un peu ternes, sans grande conversation, heureux de revoir leur mère et de se retrouver, l’un est à Paris et l’autre à Châteauroux. Sylviane est un personnage plus envahissant. Titulaire d’un BTS commercial elle peut soutenir à elle seule une conversation. Elle est capable de parler de la culture des olives en Haute-Provence, de l’extraction de la houille à Oulan-Bator, de la forclusion-du-nom-du-père chez Lacan ou du fonctionnement du moteur à eau. Si qui que ce soit aborde un sujet quel qu’il soit, elle lui laisse un court temps de latence puis intervient. Sa voix n’est pas forte mais elle adopte un débit qui ne laisse nulle place à son interlocuteur. Ose-t-il tenter de placer un mot, elle continue sur un ton monocorde, agrémenté d’une gestuelle ad hoc qui décourage les plus audacieux. Ses yeux noirs fixent son interlocuteur puis balayent rapidement l’assistance. Par moments, les pupilles en haut des orbites, elle baisse les paupières en secouant brusquement la tête.

Quoi qu’il en soit, l’année commence donc sous des auspices favorables.

C’est une véritable trêve qui s’installe et il sait l’apprécier. Il continue néanmoins à se promener, généralement vers le bord de mer, mais pour de courtes balades, tantôt le matin, tantôt l’après-midi, quelquefois les deux, mais il ne sort guère pendant plus d’une heure chaque fois.

Vers la fin janvier, il décide, au retour d’une de ses promenades d’après-midi, de passer chez Marondeau. Il prend cette décision un peu à la légère, ne sachant jusqu’où il ira dans son histoire avec le tableau.

C’est un Raymond bien ragaillardi qui l’accueille, tout occupé à épousseter ses meubles avec un plumeau désuet.

– Hervé, mon cher Hervé, comme je suis heureux de vous revoir ! dit Marondeau. Je craignais de vous avoir blessé avec cette manière si déplaisante que j’ai eue de vous éconduire. Permettez-moi de vous souhaiter une bonne année, nous sommes encore en janvier, que diable !

– Bonne année à vous, Raymond. J’ai été très pris, ce qui explique ma longue absence, mais nullement blessé. J’ai eu le plaisir de rencontrer votre tante avec qui j’ai pris une tasse de thé. Elle m’a bien dit que vous étiez malade…

– Et qui dit Marondeau malade dit Marondeau désagréable, déclara Raymond. Croyez que j’en suis confus, la fièvre me fait délirer. Mais parlons d’autre chose. Et avant tout, puis-je vous offrir une tasse de thé ? Assoyons-nous.

– Ce sera avec plaisir, dit-il en s’installant dans un fauteuil.

(à suivre...)



dimanche 6 mars 2022

Contes et histoires de Pépé J II (24) la fée et la tronçonneuse

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. A la campagne, les paysans profitent de l’hiver pour nettoyer les haies et couper du bois. Bien sûr, il y a maintenant des machines qui font l’entretien des bordures des champs, avec plus ou moins de bonheur, mais il reste encore des travaux à faire avec de l’outillage manuel. Toutefois, l’histoire que je vais vous raconter s’est passée il y a environ un demi-siècle, il y avait déjà des tronçonneuses mais la fourche et le coupesègue étaient encore des outils indispensables. Je tiens cette histoire de Jeannot lui-même qui a tenu à me la dire en me demandant de ne pas la raconter à quiconque avant l’an 2000 ! J’ai donc largement tenu ma parole car j’ai attendu que Jeannot nous quitte pour vous la faire connaître.


Jeannot donc, par une après-midi d’hiver, descendait dans sa combe pour y couper du bois. Il y avait là une haie qui avait beaucoup poussé et il devenait nécessaire de l’éclaircir. Oh, ce n’étaient pas de gros arbres qu’il allait tomber mais quand même les rondins du bas avaient un diamètre d’une cinquantaine de centimètres et les fûts une hauteur de près de dix mètres. Du bon chêne du sud-ouest qui ferait un bois de chauffage de qualité après au moins deux ans de séchage. Il suivait le chemin dans le bois avant d’arriver vers son chantier, la tronçonneuse, tenue par la lame, portée sur l’épaule avec le moteur contre l’épaule à l’arrière.


Quelle ne fut pas sa surprise de voir sur le sentier une jeune fille, vêtue d’une robe claire et légère, se promener et qui venaità sa rencontre. « Bonjour Mademoiselle, lui dit-il un peu intimidé. Vous chercher votre chemin ? » « Pas du tout, répondit-elle, je me balade et je connais suffisamment la région. Je crois que vous allez couper du bois et, si je peux me permettre, je pense que vous feriez mieux de faire très attention. Vous avez là un outil coupant et l’abattage peut être dangereux... » « Mademoiselle, vous avez certainement raison et croyez bien que je suis assez prudent. Mais j’ai du travail et il faut que je profite de chaque journée de cette saison pour le faire. Ce n’est pas en été qu’on coupe le bois ! »


Il avait à peine fini de parler qu’il se rendit compte qu’elle s’était éclipsée. « Ah, quelle péronnelle », se dit-il en lui même. Et il acheva de se rendre à son travail. Il démarra son outil, déblaia un peu le pied d’un arbre et se mit en devoir de faire une entaille dans la direction choisie. L’entaille faite, il fit sauter le joli coin de bois avant de commencer son trait à l’arrière. Il avait fait sa coupe un peu grande mais qu’importe, l’arbre était sur un rampaillot et il ne pouvait que tomber vers le bas, dans le pré. Il relança sa tronçonneuse et attaqua le trait décisif. Il n’en n’était pas à la moitié que l’arbre commença à ployer. Il voulut insister mais il vit à une dizaine de mètres la jeune fille qui semblait l’appeler. « Que se passe-t-il, pourquoi le déranger, est-elle en danger ? » pensa-t-il. Alors, il sortit la lame de la coupe et, toujours avec sa machine, il alla dans la direction de la jeune fille. A ce moment-là, un craquement bruyant se fit entendre derrière lui, l’arbre s’effondra en se fendant au milieu : il s’abattit et, soutenu par la partie non coupée, le tronc se soulèva. Puis, comme un bélier de l’ancien temps, un de ces béliers pour enfoncer les portes des châteaux, le tronc recula avec une brutalité féroce, emportant les buissons qu’il traversa. Médusé, Jeannot s’était tourné pour regarder ce travail : serait-il resté sur place qu’il se faisait descapiter et embrocher comme un petit poulet.


C’était cette jeune fille qui l’avait sauvé de ce terrible sort, il voulut la remercier, l’embrasser… mais où était-elle, elle a disparu !


Tu vois, me dit Jeannot, une fois dans ma vie, j’ai vu une fée, une fàda, une vraie ! Celui qui me prouvera le contraire n’est pas encore né !







jeudi 3 mars 2022

Dernier tableau (66)

Là, Hervé est comme tétanisé, il ne sait plus quoi dire. Dans un premier temps, il a entendu ce nom sans comprendre. Dans un deuxième temps, il s’est rappelé : Monsieur de Vermorec était le propriétaire du Bussiau. Celui qu’on a trouvé mort dans son château, c’est Eugène qui lui en a parlé. Ce n’est donc pas Leyden qui a fait le tour de passe-passe, de cache-cache avec les tableaux, c’est le propriétaire du Bussiau… Bizarre autant qu’étrange !


– Votre père fait-il un commentaire dans ses notes ?

– Oui, ce serait bien que vous veniez, je vous montrerai son carnet et, comme votre tableau est prêt, vous pouvez venir quand vous voulez.

– Demain par exemple ?

– Pas de problème, vous prendrez votre tableau et nous regarderons ensemble ce que mon père a laissé comme notes. Oh, il n’y a rien d’extraordinaire. Donc ce nom de Vermorec, cela ne vous dit rien ?

– Il faut que j’y réfléchisse, cela me dit quelque chose, mais je ne sais plus, on en parlera demain si vous voulez.

– Oui, à demain monsieur Magre.


Une fois qu’il a raccroché, il appelle Sara. Elle est de retour et décroche.


– Sara ? C’est Hervé.

– Je te manque déjà ?

– Oui, bien sûr ma petite chérie, mais je voulais te dire autre chose. Demain, je vais à Morlaix, Dussieu a terminé le cadre.

– Oui, donc tu veux dire par là que tu y vas tout seul, si je comprends bien ?

– Exactement et je ne voudrais pas que tu en prennes ombrage. C’est tout.

– Vas-y, va, je ne te hais point. Pars, surtout ne te retourne pas… et surtout, reviens-moi !

– Bon, je vois que tu es dans de bonnes dispositions, je ne voudrais pas que cela te reste en travers de la gorge…

– Allons, dors sur tes deux oreilles, nous verrons la prochaine fois ce qui peut me rester en travers de la gorge. En attendant, prend soin de toi.

– Bisous ?

– Bisous et à plus, le plus tôt possible…


Il raccroche, se sentant quelque peu niais. Il ira tranquillement demain à Morlaix, l’esprit en paix.


*


Jeudi matin, le temps s’est rétabli mais il se ressent toujours de son rhume. Toutefois, il part en direction de la gare routière et il prend le bus pour Morlaix.

à nouveau, il arrive vers les onze heures et, au lieu d’aller directement chez Dussieu et de s’encombrer de son tableau, il va au musée de Morlaix, à la maison à Pondalez voir les toiles de Penther illustrant « le bossu Bitor » de Corbière.


Mais Bitor se sent riche :
D'argent, comme un bourgeois : d'amour, comme un caniche...


Assez ému, il visite la maison puis se rend à nouveau chez Zulma où il avait fort agréablement déjeuné la première fois. Ensuite, il fait un rapide tour de la ville et se rend chez Dussieu.


– Ah vous voilà, dit celui-ci en l’accueillant. Je vous dirai que j’ai du nouveau depuis hier, je me suis penché un peu plus sérieusement sur ce Vermorec depuis mon coup de fil d’hier.

– Bonjour, monsieur Dussieu, vous savez donc de qui il s’agit ?

– Oui et non, mais voyons d’abord votre petit tableau. Cela vous plait-il ? dit Dussieu en présentant le Leyden nouvellement encadré en beige.

– Oui, vraiment, je suis très content, dit-il en regardant son tableau d’un autre œil.

– Alors, je vous l’emballe et on passe ensuite à nos recherches.

(à suivre...)