En vedette !

dimanche 27 février 2022

Contes et histoires de Pépé J II (23) Enfouissement de l’éclairage

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. S’il est une chose dont nous pouvons être fiers, c’est du merveilleux éclairage nocturne dont disposent la majorité de nos bourgades françaises. Hiver comme été, et même parfois de nuit comme de jour, nos élus se plaisent à nous éclairer de leurs lumières électriques. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de voir, dans de modestes agglomérations, des lieux illuminés a giorno et qui donnent aux édiles locaux l’impression de régner sur des Champs-Élysées quand, aux petites heures, ils déambulent, fiers de ces majestueux candélabres , tels des flambeaux qui accompagneraient ces rois soleils d’opérette.

Pour justifier ces illuminations, on nous explique parfois que l’électricité est est d’un prix moindre la nuit ; mais depuis que toutes les cités se parfument de cette explication, la consommation générale s’en est ressentie et nos centrales électriques n’ont, de ce fait, guère l’occasion de tourner au ralenti...


Autre argument avancé par ces lumenophiles, la sécurité. Ah, sécurité, que ne ferait-on pas en ton nom ! En réalité, dans ce discours, on confond facilement sécurité et sentiment d’insécurité, la peur du noir n’est pas pour les seuls petits enfants…


Ensuite, on vous fait de l’écologie de bazar gros comme le bras, par exemple en changeant les ampoules d’éclairage par des dispositifs dits « basse consommation » ; et, pour faire bonne mesure, il n’est pas rare qu’on diminue la quantité de watts en augmentant le nombre des lumens, tant qu’à faire de dépenser moins, on peut en remettre une petite louche…


Autre pièce de cette écologie, il y a maintenant une usine à gaz réglementaire censée limiter la pollution lumineuse et cela concerne, entre autres, l’éclairage des monuments non habités quoique prétendument remarquables. Ces éclairages devraient être interrompus pendant une partie de la nuit mais bien des municipalités considèrent qu’il est urgent d’attendre…


Toutefois, il faut reconnaître qu’un certain nombre de mairies ont décidé d’interrompre leurs éclairages publics, généralement entre minuit et cinq ou six heures du matin. Et, pour le faire savoir, les responsables placent aux diverses entrées de la commune des panonceaux annonçant « commune étoilée ». Jolie initiative mais il serait tout aussi amusant de voir les agglomérations, qui ont fait le choix inverse, afficher à leurs arrivées : « commune sans étoiles »...


Il serait dommage de terminer sans faire des suggestions qui seraient susceptibles de mettre tout le monde d’accord et je vais donc y aller de ma proposition : en effet, si on fait quelque peu l’historique des réseaux publics, on constate que certains de ces réseaux, pour des raisons de nécessité ou de sécurité, sont enterrés depuis belle lurette. L’eau, dont les conduites en profondeur sont ainsi protégées des variations de températures, et son corollaire, les égouts qui nécessitent de circuler de préférence en suivant une pente naturelle. Ensuite le gaz dont les tuyaux sont ainsi protégés des chocs ou des ruptures éventuelles. Toutefois, les installations électriques et le téléphone ont longtemps résisté à cette tendance fouisseuse et l’on voit maintenant moult installations placées en souterrain, autant par souci esthétique que dans le but de les protéger des tempêtes…


Alors, ma proposition est la suivante : il faut procéder à l’enfouissement de l’éclairage public, supprimons ces disgracieux lampadaires, ces anachroniques réverbères et ces orgueilleux candélabres ! Et éclairons ainsi notre sous-sol à la seule demande des taupes, lombrics et autres animaux fouisseurs. Et gageons que ces derniers se feront économes de ce genre de demande.


On voit par-là qu’il suffit d’un peu de bonne volonté pour que surgisse la lumière.



jeudi 24 février 2022

Dernier tableau (65)

 

– Si tu savais dans quoi j’ai pu rouler, tu rigolerais. Va pour ta voiture de bonne sœur des années 80, au moins on sera à l’abri de la pluie. Je récupère ma veste, dit-il en la cherchant dans le sac. Tu as acheté un journal ?

– C’est le Courrier d’Émeraude d’aujourd’hui, il y a un article sur la cérémonie de dimanche, ton ami journaliste a tenu sa parole, l’article est bien et reste discret : il parle de Jules, garagiste retraité. Pas mal comme surnom, je me demande si je ne pourrais pas t’appeler Jules dans l’intimité.

– Excellente idée : Jules, le spécialiste de la pêche à la morue…

– On ne peut pas plaisanter avec toi, il faut toujours que tu en rajoutes, conclut-elle en souriant.


Ils descendent et Sara démarre son bolide du siècle dernier. Ils passent chez elle et repartent en direction du bord de mer. La voiture garée, ils partent à pied en longeant la plage. Le temps est toujours gris et par moments des embruns venus de l’océan viennent les entourer, ils se sentent grisés par le vent, la brume et la nouveauté de leur rencontre. Ils marchent longuement, par instants la main dans la main, puis reviennent vers la voiture. Ils n’ont pas vu passer le temps, il est plus de quatorze heures. En revenant, ils passent devant un petit restaurant de fruits de mer où on accepte encore de les servir.

Sara reconduit Hervé rue Équoignon. Ils montent chez lui, ils font de nouveau l’amour puis Hervé prépare du café.


– Je ne vois plus ton petit tableau de Leyden, il est toujours à Morlaix chez l’encadreur ?

– Oui, je vais aller le chercher un de ces jours, il devrait être prêt. Je passerai un coup de fil à monsieur Dussieu et si le tableau est prêt, j’irai.

– Si tu ne veux pas y aller un jeudi, on peut y aller ensemble avec ma voiture. Ce serait avec grand plaisir…

– Justement, j’espérais pouvoir y aller demain jeudi. Je vais voir, il ne faut pas surmener ta vaillante pétrolette !

– Oh, arrête avec ma voiture. Et puis, vas-y tout seul si tu veux, je propose et tu disposes…


Hervé se soucie peu d’aller chercher le tableau avec Sara. Il a évité d’en parler, il ne sait pas trop pourquoi. Il ne continuera pourtant pas à planquer le second tableau chaque fois que Sara viendra, il faudra bien en parler un jour.


– Je renouvelle ma demande, c’est sérieux, j’aimerais bien que tu me donnes l’autorisation de copier ton tableau. Je ne sais pas si j’y arriverai, mais j’aimerais que tu m’autorises à travailler à cette copie. En plus, cela me donnerait l’occasion de venir chez toi, tout à fait officiellement…

– D’accord, j’ai eu l’occasion d’y réfléchir et cela peut se faire. Je suppose que nous devrons faire un papier en bonne et due forme, non ?

– Oui, bien sûr. On fera cela quand tu auras récupéré ton tableau.


Sara se lève, l’embrasse et repart chez elle. Hervé a soudain l’impression d’un grand vide. Leyden est entré comme un intrus dans sa vie et maintenant cette Sara qui s’impose, presque, à lui. Il se dit qu’il faut qu’il fasse le point. C’est à ce moment que le téléphone sonne. Il décroche.


– Monsieur Magre ?

– Oui, c’est moi.

– Dussieu de Morlaix, vous savez, l’encadreur…

– Oui, bien sûr, bonsoir monsieur Dussieu. Comment allez-vous ?

– Bien, bien. J’avais promis de vous appeler si je trouvais quelque chose. J’ai retrouvé, dans les carnets de mon père, j’ai retrouvé le client qui a commandé le cadre, ce cadre double…

– Ah. Et qui est-ce ?

– Inconnu au bataillon. Un certain Vermorec. Vous connaissez ?

(à suivre...)

 

dimanche 20 février 2022

Contes et histoires de Pépé J II (22) Sortie de crise

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. De nos jours, il n’est pas simple d’être citoyen dans notre pays : du jour au lendemain, le président peut se permettre de déchoir, en paroles, des gens qu’il traite d’irresponsables. Certes ce n’est qu’en paroles, mais ce sont celles d’un président qui doit assumer aussi ses responsabilités car s’il avait eu le courage de mettre en place une vaccination obligatoire, il aurait eu le droit de parler ainsi. Mais ce courage lui a peut-être fait défaut. Et finalement, on aurait pu croire que tous les défenseurs des minorités opprimées, visibles ou non visibles, seraient montés au créneau pour blâmer ce président exclusif mais il me semble que, cette fois, cette minorité ne faisait pas partie de leur fonds de commerce.


Bientôt, tout cela sera du passé, et on entend dire de plus en plus que l’on s’achemine vers une sortie de crise. Et après cela, que va-t-il se passer ? Eh bien, nos dirigeants diront que c’est grâce à eux et grâce au vaccin que l’épidémie a été vaincue. D’un autre côté, les non vaccinés diront que « tout ça pour ça », il n’y avait pas besoin d’un vaccin puisque l’épidémie aura duré aussi longtemps que

les précédentes. En définitive, tout le monde aura raison et on continuera à faire les mêmes aberrations qu’avant, les avions ont déjà repris leur ronde infernale qui favorise la transmission des saloperies en tous genres et les négociants en santé affûtent leurs prochaines panacées… tant que le fric de la Sécu sera là, ils seront aux petits soins pour les prochains petits virus.

En 1956, une équipe de chercheurs en psychologie sociale a infiltré une secte qui avait annoncé la fin du monde. Celle-ci n’a pas eu lieu comme vous pouvez le supposer et il ressort de ce que ces chercheurs ont pu observer que les individus de la secte ont « rationalisé » ce qui aurait pu apparaître comme un échec en une glorieuse victoire en déclarant : «C’est grâce à notre croyance, notre sacrifice, que le déluge n’a pas eu lieu. Nous sommes des élus, nous sommes légitimés.» C’est ce qui se passera avec les adorateurs du Grand Vaccin. Il y aura toujours un professeur machin pour nous expliquer que c’est grâce à eux que tout est rentré dans l’ordre. Et c’est ce qui se passera aussi avec ses contempteurs. Tout le monde se parfumera d’avoir eu raison et le seul qui aura perdu dans cette affaire, c’est le bon sens, le simple bon sens.

Voilà donc une manière fort élégante de s’en sortir et cela fait penser à cette parole de Cocteau : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur ».

On voit par-là qu’il est plus utile d’écouter les oiseaux chanter.



jeudi 17 février 2022

Dernier tableau (64)

 

Quand même, dit-il la bouche pleine, tu aurais pu me prévenir l’autre soir…

– Et je t’aurais dit quoi ? Que j’ai un Jules qui peut survenir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ? C’est le genre de truc à faire fuir un homme sensé. Je t’en aurais parlé plus tard…

– Et, au fait, ma veste ?

– Là, dans le sac, j’ai réussi à la planquer sans qu’il ne remarque rien. Tu sais, ce type, c’est difficile à expliquer… il est un peu dingue, et jaloux en plus. C’est très difficile pour moi, il y a près de dix ans que je me le coltine. Je l’ai connu juste après mon divorce, quand je voulais partir m’installer en Bretagne. Il m’a beaucoup aidée, il m’a fait connaître du monde, il a pris des contacts avec des galeries, il m’a trouvé cette maison, il m’a souvent aidée financièrement. Mais il se considère chez moi comme chez lui, il me considère comme sa chose à lui. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, mais c’est parfois lourd à porter. Je l’aime bien, il est attachant, mais il ne m’a pas laissé le choix, très vite, dès qu’on s’est connus, il a décidé que je devais coucher avec lui.

– Mais vous vivez ensemble ? demande-t-il.

– Non, il vient de temps en temps ici mais il est sur la région parisienne, je n’ai jamais eu son adresse, je n’ai jamais su non plus de quoi il vit. Parfois, il a du fric plein les poches et parfois, il vient ici et me tape un ou deux billets. Ou il me prend un tableau qu’il essaye de vendre je ne sais où. Je ne peux pas le lui refuser, c’est quand même le plus souvent lui qui me dépanne. La peinture, c’est bien, mais pour en vivre, c’est assez difficile…

– C’est lui qui a une petite voiture de sport rouge ?

– Oui, oh, il a toujours des voitures invraisemblables, un jour une américaine, un autre jour un coupé sport, ou une BM machin chose, il est toujours très fier mais moi je n’y connais rien et ça l’énerve un peu. Je ne sais pas d’où lui viennent toutes ces bagnoles. Mais la petite rouge, à mon avis, c’est bien la sienne, je crois que c’est un peu une voiture de collection.

– C’est un cabriolet Fiat des années soixante ou soixante-dix, en effet, jolie petite voiture, mais c’est du Fiat.

– D’accord. En tout cas, samedi soir, je savais qu’il pourrait venir à un moment ou un autre. Mais il est reparti lundi matin, en me disant qu’il allait sur Paris, je ne pensais pas le revoir de suite. Il est très possessif, je me suis demandé s’il avait des soupçons. Il a une manière de tout regarder quand il est là, de voir ce qui a changé de place, de renifler et de chercher, de poser des questions. Mais je crois qu’il n’a pas remarqué ta veste au porte-manteau. Il a fait un tour aux toilettes et j’ai planqué ta veste dans une armoire, vite fait.

– J’espère que tu as eu une pensée pour l’amoureux transi qui se trainait sous la pluie, le cœur en déroute et la bite sous le bras, comme le chantait Brel !

– Plus qu’une pensée, mon cœur.

– Pendant que tu baisais avec l’autre, dit-il brutalement.

– Doucement, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi… D’abord, on n’a pas baisé, comme tu dis, il n’était peut-être pas venu pour cela et l’envie m’en était passée, crois-moi. Mais je t’avouerai que je n’étais pas fière de t’avoir invité chez moi et de te faire terminer la soirée sous la pluie.

– Bien, bien, bien, dit-il. Et on en est où, maintenant nous deux ?

– Primo, on en est pas nulle part, j’espère que tu as compris que je suis amoureuse de toi. Deuxio, tu viens de te décrire comme un amoureux transi, si je ne m’abuse. Tertio, et cela n’est pas acquis, je veux rompre ma relation avec Renato. Cela fait longtemps que je veux le faire, mais maintenant j’ai une bonne raison… et peut-être quelqu’un qui peut m’aider, me soutenir, moralement s’entend. Tout ce que j’attends de toi, c’est ce soutien, une relation privilégiée, mais que cela reste entre nous.

– Ça marche, dit-il en la prenant par les épaules. Si tu avais été un peu plus habillée, je t’aurais proposé d’aller marcher, juste une petite rando apéritive, mais comme cela…

– On passe chez moi, j’ai ma voiture, je me change et on y va…

– Une voiture, cette espèce de punaise écrasée ? Tu ne veux pas me faire monter là-dedans ? dit-il, riant de son air mortifié.

– Si je comprends bien, monsieur est aussi du style BM machin chose et ne roule qu’en limousine, répond-elle sèchement.

(à suivre...)

dimanche 13 février 2022

Contes et histoires de Pépé J II (21) La rose et le lilas

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. On va encore parler d’un roman dont l’action, même si elle ne se passe pas en Gascogne, se situe dans le Massif Central. C’est un roman de Jean Anglade intitulé « La rose et le lilas », inspiré d’une histoire vraie. C’est le récit très simple de la vie de Rose Malartre, mariée à un cantonnier, un époux ni pire ni meilleur qu’un autre, et dont elle a eu deux enfants.


Lui décéda brutalement pour avoir tenté d’arrêter une charrette dont le cheval s’était emballé. Les passagers furent sauvés mais lui fut écrasé par les roues après avoir été piétiné par le cheval. Veuve du jour au lendemain, Rose dut se trouver une ressource, un travail. Et on lui proposa un emploi de garde-barrière avec le logement correspondant. C’est là qu’elle a planté une branche de lilas qui prit racine et fleurit le jardin.


Elle mena donc une vie rythmée par le passage des trains, à des heures régulières, et par le passage des usagers de la route qui traversaient la voie et qui, bien souvent, s’arrêtaient, discutaient. C’est ainsi qu’elle fit la connaissance d’Hector Pignol, ancien professeur à Clermont qui occupait sa retraite à des recherches historiques et qui publiait des articles extrêmement documentés dans l’Almanach de Brioude. C’est lui qui décèla chez Rose la capacité d’écrire des histoires.


En effet, élève brillante à l’école, n’avait pas pu continuer des études. Pourtant elle avait rêvé de devenir institutrice mais elle dut se mettre au travail de la dentelle, nécessité obligeait. Puis elle s’était mariée et eut deux enfants pour enfin se retrouver dans cet emploi de garde-barrière qui lui laissait, dans les intervalles entre les passages du train, du temps pour son ménage et son jardin mais aussi du temps pour se mettre à écrire. Elle alla donc, d’après les souvenirs que lui avait conté son institutrice, écrire un roman qui, relu et corrigé par Hector, fut publié.


Cette récit simple, généreux et touchant est dédié à Rose Combe, garde-barrière et romancière, auteur du Mile des Garret car, est-il dit, cette histoire aurait pu être la sienne.


Dans le même ouvrage, elle est suivie d’un conte émouvant, celui d’un petit garçon d’origine martiniquaise dont le père est wattman sur la ligne Montferrand-Royat. Il va s’enfuir dans la montagne où il rencontrera Le roi des fougères, un homme qui vit dans cette nature accidentée et qui intronisera Zébédée comme son successeur. Comme toujours, Jean Anglade sait décrire et faire parler ses personnages avec humanité et tact. Et, comme dans la vie, cela se termine sur une fin douce-amère.


Dans le roman, est aussi racontée l’histoire de la bête du Gévaudan, je vous en parlerai plus tard car maintenant mon conte est achevé.




jeudi 10 février 2022

Dernier tableau (63)

 

– Alors je te laisse, je viendrai demain matin. Vers dix heures, avec des croissants ?

– On fait comme cela, viens un peu plus tôt, neuf heures, neuf heures et demie, sinon je vais crever de faim. Le café sera prêt…

– Alors à demain.

– Oui à demain, répond-il en raccrochant.


Il pense qu’il devrait être bien plus désagréable mais il s’en sent bien incapable.

Il retourne donc dans son lit et se rendort, puis se réveille vers dix-huit heures, mange un petit morceau, bricole encore un peu sur son ordinateur et enfin se recouche puis s’endort.


*


Mercredi matin, le temps est toujours gris, il pleut même de temps en temps. Il a toujours son rhume mais se sent bien mieux que la veille. Avant neuf heures, il est levé, rasé, habillé. Il a préparé une table de petit déjeuner et il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton pour le café. Regardant à la fenêtre, il voit une vieille Citroën Visa brun caramel mou se garer. Sara en sort, habillée comme en été, d’une jupe légère et d’un chemisier. Il ne lui manque plus qu’un chapeau de paille, se dit-il in petto.

Il s’apprête à descendre lorsqu’il entend la porte d’entrée s’ouvrir et Sara entrer en grande discussion avec quelqu’un qui ne peut être qu’Édith. Il évite donc de descendre et reste chez lui, laissant la porte du palier ouverte.

Il entend la porte extérieure se fermer et Sara monter l’escalier. Elle frappe légèrement sur la porte ouverte et entre.


– Hervé, mon pauvre chéri, comment vas-tu ce matin ? Tu as assez bonne mine…

– Oui, oui, ça va mieux, répond-il un peu maussade, mécontent de se faire traiter de pauvre chéri.

– Écoute, lui dit-elle après avoir posé un sachet de croissants et un sac sur la table, Édith est partie pour la journée à Rennes. La maison est à nous et moi je suis à toi, ajoute-t-elle en lui tendant les bras.


Il vient vers elle en souriant, elle est trop craquante, il la prend dans ses bras.


– Alors, c’est tout de suite, sinon il va encore se passer quelque chose, dit-il.

– Mais tu es censé crever de faim si tu ne manges pas tout de suite, dit-elle en riant.

– C’est bien pour cela, je veux faire l’amour avec toi avant de mourir, dit-il en l’entraînant vers la chambre. Édith est partie, tu en es certaine ?

– Oui, elle sortait quand j’arrivais. Et puis quoi ? On fait ce qu’on veut, non ?

– Bien sûr, bien sûr, répond-il.


Cette fois, ils se retrouvent de nouveau tous deux, nus sur le même lit. Ils font l’amour puis il lui avoue :


– Tu sais, lundi soir, je m’étais promis que la prochaine fois qu’on serait ensemble, je te sauterais d’abord et qu’on causerait après.

– C’est très bien de tenir ses promesses, surtout celles que l’on se fait à soi-même. Néanmoins, je crois t’avoir un peu aidé, non ?

– Exact. Mais tu avais intérêt à te faire pardonner après m’avoir balancé mes vêtements et mes chaussures sur la tête. Sans compter que j’ai failli me déchirer le slip sur ton grillage…

– Admettons, mais l’essentiel est que le contenu du slip soit intact, dit-elle en vérifiant d’un geste.

– C’est pas tout ça, mais j’ai faim, moi. Déjà qu’en temps ordinaire, j’ai mangé à cette heure, mais en plus on s’est dépensé physiquement…

– Allez, debout, dit-elle en se levant et en se dirigeant vers la salle de bains. Le café est prêt j’espère car j’ai porté les croissants.


Quelques minutes plus tard, ils sont tous deux à table.

(à suivre)

dimanche 6 février 2022

Contes et histoires de Pépé J II (20)La lampe d’Aladin

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Au cas où certains d’entre vous ne seraient pas au courant, je leur fais savoir qu’une élection présidentielle aura lieu les 10 et 24 avril de cette année. Un bon nombre de candidats se sont déjà déclarés et ont commencé la course aux parrainages. Cette quantité n’est certes pas un gage de qualité mais on a bien vu, il y a cinq ans, qu’au second tour la qualité n’était pas plus au rendez-vous.

Pour éclairer votre conscience d’électeurs, je vais vous citer un extrait d’une nouvelle de Guy de Maupassant1, datant d’août 1880, et dans laquelle il fait parler un certain M. Rade :

« - 1er principe. - Le gouvernement d’un seul est une monstruosité.

2ème principe. - Le suffrage restreint est une injustice.

3ème principe.- Le suffrage universel est une stupidité.

En effet, livrer des millions d’hommes, des intelligences d’élite, des savants, des génies même, au caprice, au bon vouloir d’un être qui, dans un moment de gaieté, de folie, d’ivresse ou d’amour, n’hésitera pas à tout sacrifier pour sa fantaisie exaltée, dépensera l’opulence du pays péniblement amassée par tous, fera hacher des milliers d’hommes sur les champs de bataille, etc., etc., me paraît être, à moi, simple raisonneur, une monstrueuse aberration.

Mais en admettant que le pays doive se gouverner lui-même, exclure sous un prétexte discutable une partie des citoyens de l’administration des affaires est une injustice si flagrants, qu’il me semble inutile de la discuter davantage.

Reste le suffrage universel. Vous admettez bien avec moi que les hommes de génie sont rares, n’est-ce pas ? Pour être large, convenons qu’il y en ait cinq en France en ce moment. Ajoutons, toujours pour être large, deux cents hommes de grand talent, mille autres possédant des talents divers, et dix mille hommes supérieurs d’une façon quelconque. Voilà un état-major de onze mille deux cent cinq esprits. Après quoi vous avez l’armée des médiocres, que suit la multitude des imbéciles. Comme les médiocres et les imbéciles forment toujours l’immense majorité, il est inadmissible qu’ils puissent élire un gouvernement intelligent. Pour être juste, j’ajoute que logiquement le suffrage universel me semble le seul principe admissible, mais qu’il est inapplicable, voici pourquoi.


Faire concourir au gouvernement toutes les forces vives d’un pays, représenter tous les intérêts, tenir compte de tous les droits, est un rêve idéal, mais peu pratique, car la seule force que vous puissiez mesurer est justement celle qui devrait être la plus négligée, la force stupide, le nombre. D’après votre méthode, le nombre inintelligent prime le génie, le savoir, toutes les connaissances acquises, la richesse, l’industrie, etc., etc. Quand vous pourrez donner à un membre de l’Institut dix mille voix contre une au chiffonnier, cent voix au grand propriétaire contre dix voix à son fermier, vous aurez équilibré à peu près les forces et obtenu une représentation nationale qui vraiment représentera toutes les puissances de la nation. Mais je vous défie bien de faire ça.

Voici mes conclusions :

Autrefois, quand on ne pouvait exercer aucune profession, on se faisait photographe ; aujourd’hui on se fait député. Un pouvoir ainsi composé sera toujours lamentablement incapable ; mais incapable de faire du mal autant qu’incapable de faire du bien. Un tyran, au contraire, s’il est bête, peut faire beaucoup de mal et, s’il se rencontre intelligent (ce qui est infiniment rare), beaucoup de bien.

Entre ces formes de gouvernement, je ne me prononce pas ; et je me déclare anarchiste, c’est à dire partisan du pouvoir le plus effacé, le plus insensible, le plus libéral au grand sens du mot, et révolutionnaire en même temps, c’est-à-dire l’ennemi éternel de ce même pouvoir, qui ne peut être, de toute façon, qu’absolument défectueux. Voilà. »


On voit par-là qu’il y a une grande différence entre la lampe d’Aladin et une urne : il serait étonnant qu’il en sorte un génie.




1Guy de Maupassant, Les dimanches d’un bourgeois de Paris.


jeudi 3 février 2022

Dernier tableau (62)

Il sort et ferme doucement la porte. Elle fait un claquement en se fermant et il avance rapidement dans la rue. Il se cache dans une entrée de garage et se chausse. Il remarque un petit cabriolet italien de couleur rouge qui n’était pas là quand il est arrivé. Il jette un coup d’œil vers la fenêtre de Sara. La lumière est allumée. Il repart vers le boulevard en se disant que ces jeux là ne sont plus de son âge. Il aurait pu se casser le col du fémur en tombant sur le balcon du voisin. Il aurait eu l’air malin, il aurait fallu appeler les pompiers. Qui sait si le Fred, oui Fred Tucaume, n’aurait pas été mis sur le coup, il se serait retrouvé dans le Courrier d’Émeraude avec sa photo en calbute ! Rien que du bonheur comme disent les télévisuels. Et ça commence à bien faire, deux fois qu’il passe à côté du plaisir. La prochaine fois, se promet-il, je la saute et après, on cause et on mange. Pas question de rejouer les acrobates. Et pour couronner le tout, il n’a même pas la bio de Leyden qui est restée sur la table basse. Et voilà qu’une pluie fine se met à tomber.


Ce soir il pleut sur Knokke-le-Zoute
Ce soir comme tous les soirs
Je me rentre chez moi
Le cœur en déroute
Et la bite sous le bras


Malédiction ! C’est là qu’il se rend compte qu’il a laissé sa veste chez Sara. Non seulement sa veste, mais aussi ses papiers. La soirée qui avait commencé au pont d’Arcole se terminait comme il se doit en Berezina. Il marche sous la pluie, le nez baissé, les yeux sur le bout de ses chaussures.

Enfin, il arrive rue Équoignon, devant sa porte. Il ouvre discrètement, passe sans bruit devant chez madame Lemond et monte chez lui. Il entre, trempé jusqu’aux os. Il se déshabille, flanque ses vêtements dans la douche, sèche rapidement ses cheveux et se glisse au plus vite dans son lit. Il a dans sa tête de quoi passer une nuit blanche. Mais son corps en décide autrement et il s’endort immédiatement.


*


Le lendemain matin, mardi, il se réveille à plus de huit heures avec un bon rhume. Il se lève, regarde par la fenêtre, constate qu’il pleut toujours et envisage de passer la journée dans son appartement. Après un petit déjeuner, il se met devant son ordinateur et passe ainsi son temps jusqu’à midi, heure à laquelle il s’efforce de manger un peu. Ensuite, il se remet au lit, un peu pour se soigner et beaucoup pour ne plus penser à rien, ce qui en fait revient au même se dit-il.


Et c’est évidemment le téléphone qui le sort de son sommeil léthargique et fiévreux, vers les quinze heures trente.


– Hervé ? entend-il, il reconnaît la voix de Sara.

– Oui oui, c’est bien moi.

– C’est Sara, je suis désolée, je te dois des excuses… et des explications… Comment vas-tu ?

– Aussi bien que quelqu’un qui est revenu sans veste chez lui, tchhoummm…, répond-il.

– Tu n’as pas pris froid quand même ?

– Je n’ai pas pris froid, j’ai seulement pris un gros rhume.

– Bon, je sais, c’est de ma faute, laisse-moi te ramener ta veste et je t’expliquerai tout.

– Maintenant que je suis au sec et au chaud, ce n’est plus ma veste qui m’intéresse, mais mes papiers tout de même…

– Je peux venir te voir, je peux faire quelque chose pour t’aider à te soigner ?

– Oui, tu peux me ramener ma veste demain matin, pour aujourd’hui, je préfère souffrir seul…

– Tu souffres à ce point ?

– Mais non, je plaisante, aujourd’hui, je reste bien au chaud, au repos, et demain cela ira mieux.

– Prend une aspirine et mets-toi au lit alors…

– C’est au lit que j’étais quand tu as appelé, mais je suis heureux quand même d’entendre ta voix…

– Tu m’aimes un peu ?

– On y verra plus clair demain matin, pour le moment, je n’aime personne, je veux dormir.

(à suivre...)