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jeudi 29 juin 2017

René-la-Science (56)



Et nous descendîmes l’escalier, j’accompagnai Sylvie qui, après un dernier patin, sauta dans le 4X4 et s’en alla Je revins vers la maison, quelque peu rêveur. Cela faisait au moins un siècle que je n’avais pas eu de femme et voilà qu’en moins de vingt-quatre heures, il m’en tombait deux dans les bras. Etais-je un Don juan ou bien l’air du pays rendait-il les femmes amoureuses, je ne pouvais répondre mais la bonne fortune me souriait. Abondance de biens ne nuit pas, me dis-je, quoique… Et puis je pensai aux princes du bâtiment et de l’espace vert. Que craignaient-ils de voir les pieds nickelés marcher un peu sur leurs plates-bandes ? Rien du tout, à mon avis. Sauf si… Là je me dis que j’aurais du demander à Sylvie de m’en dire un peu plus. Je me rappelai que j’avais son numéro de portable, je l’appellerai demain matin, me dis-je. Il y avait un lien entre Michel et Roger, mis à part les coups de quéquettes que Michel avait donnés à Sylvie. Et ce lien, c’était le souterrain. Et cette haine qui les unissait. Roger savait-il que le souterrain aboutissait au château ?
Tout cela était bien compliqué et je décidai d’aller me coucher. Mon sommeil aura souvent été perturbé au Blédard.
Le lendemain, je me levai et fonçai à mon fourgon. J’avais promis les croissants à la famille de Michel. Je passai à la boulangerie de Clézeau et je regardai avec attention la boulangère. Elle était un peu boulotte. Je me demandai si elle aussi était énervée du cul. Cela devenait une obsession chez moi. Je pris une armée de croissants et de chocolatines, puis partis vers chez Michel. Là-bas, tout le monde était levé, on se préparait pour le petit déjeuner et j’arrivai juste à temps. Nous nous mîmes à table et j’appris qu’ils n’avaient pas plus de nouvelles qu’hier au soir. Ils avaient décidé d’aller à quatre à Toulouse, la famille prendra Magali dans son auto et la ramènera ensuite. Cela me convenait parfaitement, je pus donc m’organiser avec René.
Magali trouva le moyen de me prendre à part et de me rouler une gentille petite galoche et je lui promis d’être sage et prudent. Prudent surtout, pensé-je à part moi. Je restai jusqu’à ce que tout le monde fut parti, puis je montai dans mon fourgon et partis en direction de Villeneuve, pour acheter du sable, de la chaux et du ciment. Après avoir fait mes achats, j’allai au château. Je rentrai dans le parc et me garai près de la porte. Je préparai du mortier et me mis à rejointoyer la cheminée. A onze heures, j’avais rebouché tous les trous et joints. Il était nécessaire d’attendre le début d’après-midi pour les regratter et finir le travail. Je nettoyai mes outils et en sortant pour les mettre dans mon fourgon, je vis qu’il y avait un petit camion benne dans le parc, deux gars qui élaguaient un arbre et un troisième qui venait vers moi. Je supposai qu’il s’agissait de Roger Fauchet, sur le camion il y avait une plaque indiquant « Fauchet – Espaces Verts ». Tiens, tiens, je vais avoir de la compagnie, me semble-t-il.
— Bonjour, c’est vous le maçon ? Me dit le gars en s’approchant.
— Oui, je suis maçon, je travaille à l’intérieur, dans la cuisine. C’est vous qui faites l’entretien du parc ?
— Oui, Fauchet, Roger Fauchet. Et vous ?
— Albert Forelle, artisan. Maçonnerie et béton armé, dis-je pompeusement.
— T’es pas de la région, toi, dit-il en passant au tutoiement et en me tendant la main.
(à suivre...)

dimanche 25 juin 2017

Chronique de Serres et d’ailleurs II 41



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « En quittant son vaisseau, aux voiles fatiguées dans les mers, Ulysse revint riche d’espace et de temps » (Ossip Mandelstam).
De retour à Ithaque, Ulysse a certainement ramené bien des motifs de satisfaction à Pénélope pour agrémenter son interminable tapisserie : il a rencontré la nymphe Calypso, la princesse Nausicaa, la magicienne Circé, il a affronté le chant des sirènes et le Cyclope. Grâce à son intelligence rusée, sa métis, il s’est sorti des situations les plus difficiles et les plus scabreuses. Il en a vu des choses et si ses voiles sont fatiguées sa ruse est toujours en éveil.
De nos jours, il faudrait être Ulysse pour arpenter nos routes, qu’elles soient vicinales, communales, départementales ou nationales car de mystérieux quoique subtils hiéroglyphes apparaissent au sol, auxquels le commun des mortels n’y entrave que pouic : des cercles, des carrés, des flèches, des cercles fléchés, des cercles yin et yang ou avec des croix, des ovales, des ankhs, j’en passe car les mots me manquent. Le plus étonnant est de pouvoir, parfois, admirer les hiératiques scribes fluogiletés qui pratiquent cette cabalistique routière : les avez-vous vus, l’air important, sanglés dans leurs gilets, la bombe BTP au bout des doigts ? Dans les meilleures occasions, ils sont surmontés d’un casque dit de chantier, de couleur rien moins que discrète. Ils vont souvent par deux, par trois, flanqués de chefs de toutes sortes. D’abord il y a le chef, le vrai, le seul, le pur mais il est rare qu’il participe à ce genre de réjouissances. Ensuite, la chefferie se décline suivant nombre de possibilités : il y a les sous-chefs, les chefs-adjoints et les cadres intermédiaires. On les remarque au fait qu’ils ont toujours un peu de recul sur le groupe afin de pouvoir garder le geste ample et la parole altière. Ensuite, il y a les entre-chefs qui sont à la chefferie ce que le jambon est au sandouiche. Puis les contre-chefs qui sont à la maîtrise ce que le contre-ténor est à la musique, une voix flûtée sous les nuages. Et tous ces cadors, l’air grave et l’œil vers le bitume, discourent entre eux jusqu’à ce que, soudain, celui qui est équipé de la bombe fluotante tende un bras impérieux et scriptural afin de délivrer son abscons message sur le goudron qui n’en peut mais.
Alors, pour nous qui ne sommes en rien des Champollion et qui ne savons rien de ces savants idéogrammes, il ne nous reste plus qu’à mélancoliquement supputer sur ces mystérieux signifiants. Car ces inscriptions ne sont pas forcément suivies d’effets visibles, de travaux routiers ou de pose de mobilier urbain. En fait, tout se passe comme si des bureaux d’études venaient réaliser ces graffiti techniques afin d’annoncer des réalisations possibles, probables mais putatives. Cela fait plaisir aux élus, cela rassure et intrigue la population et surtout cela rassérène le commentateur qui voit par-là que l’argent public n’est pas dépensé en vain.

jeudi 22 juin 2017

René-la-Science (55)



— Oh, rien tout de suite. Mais si tu t’incrustes, tu peux t’attendre à des emmerdements, lesquels je ne sais pas, mais ils trouvent toujours.
— Bien, merci en tout cas de m’avoir prévenu. Est-ce qu’il y a un des deux qui a une clé pour entrer dans le château ?
— Roger, oui. Il fait l’entretien du parc, il a la clé de la grille et aussi du château je pense.
— Bon, bon, donc maintenant je suis sur mes gardes. Mais je ne pense pas m’éterniser, j’en ai pour un jour ou deux. Pour ce qui est de l’appel d’offres, cela risquait de toute façon d’être un trop gros morceau pour moi. Mais en tout cas, merci de m’avoir prévenu.
Tout en parlant, Sylvie s’était approchée de moi en s’allongeant sur le lit.
— C’est que je tiendrais un peu à toi, me dit-elle en souriant, je ne voudrais pas qu’ils te fassent du mal.
L’invitation était trop forte pour que j’y résiste, je me penchai sur elle et posai mes lèvres sur les siennes. Nous roulâmes sur le lit en nous embrassant. Je commençai à ouvrir son chemisier quand elle me précisa :
— Je suis venue avec la voiture de Roger, je l’ai conduit hier soir à la gare, tu ne risques rien, il ne revient que demain matin. Mais on ne sait jamais, si quelqu’un venait, il vaudrait mieux éteindre la lumière.
Nous éclatâmes de rire, j’éteignis et je continuai à la déshabiller à la seule lumière d’un rayon de lune. Nous fîmes l’amour sans nous presser et au bout d’un moment, Sylvie me demanda d’allumer. J’allumai puis m’assis sur le lit.
— Tu dois penser de drôles de choses à mon sujet, me dit Sylvie.
— Je pense que tu viens de m’offrir un moment extraordinaire, répondis-je.
— Oui, mais tu sais que je couchais avec Michel et maintenant, je couche avec toi. Et ce n’est pas toi qui es venu me chercher. Tu dois penser que je suis une putain.
— Une pute, non. Que tu aies le feu au cul, oui. Mais je ne vais pas m’en plaindre, je viens d’en profiter avec bonheur et plaisir. Et gratuitement, je suppose.
Nous éclatâmes de rire et je me recouchai sur elle, nous nous roulâmes sur le lit en riant aux éclats. Puis, Sylvie se dégagea, s’assit et me dit :
— Je resterais bien ici toute la nuit, mais il faut que je rentre à la maison.
— Je te garderais bien ici toute la nuit, mais tu risquerais d’y prendre goût.
— Mais c’est que c’est déjà le cas. Ne t’avise pas de me demander de divorcer car je pourrais accepter.
— Cela fait deux fois que tu me préviens d’un danger ce soir, je reconnais que tu es précieuse.
Nous rîmes et Sylvie continua de se rhabiller. Je fis de même et Sylvie me demanda si je comptais ressortir.
— Je compte vous accompagner jusqu’à votre carrosse, ma belle. Prenez garde qu’il ne se transforme en citrouille.
— Et vous zen crapaud, mon beau prince.
(à suivre...)