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jeudi 30 juin 2022

Dernier tableau (83)

Il est encore un peu plus perplexe. Il n’y a pas forcément de relation entre la disparition des tableaux et la démarche de Vermorec. Il y a semble-t-il une embrouille. Il ne tient pas à questionner Édith, ce serait l’inquiéter inutilement. Il y a un sacré méli-mélo, et au milieu, il y a Sara. Et s’il y a Sara, il peut y avoir Renato. Et s’il y a Renato, il ne peut y avoir qu’embrouille. Cqfd, se dit-il. S’il y a Renato, il faut aller voir chez Sara. Il réfléchit. à pied, il en a pour une demi-heure. Il peut tenter quelque chose. Il prend son carnet, le téléphone et il appelle le portable d’André.


– Allo, à qui ai-je l’honneur ? répond ce dernier sur un ton emphatique.

– André, c’est Hervé. Tu sais, on a suspendu des tableaux ensemble…

– Hervé, aurais-tu besoin de mes services ?

– Exactement. Toi, ta caisse et tout de suite. Est-ce faisable ?

– Je peux venir, ma caisse aussi, mais mon taux d’alcoolémie me sera un handicap en cas de rencontre avec la volaille. Où m’attends-tu ?

– Chez moi, tu te souviens ?

– J’arrive, monseigneur, inutile d’ouvrir une boutanche, je n’ai plus soif. Je suis au centre ville, je suis chez toi dans moins de dix minutes.


Hervé sort sa sacoche de son placard. Il y récupère un levier, des rossignols, des petites pinces et une paire de gants fins. Il enfile une veste et planque son matériel à l’intérieur. Il descend dans la rue et alors qu’il ferme la porte, il entend arriver la citronette décatie. Il ouvre la porte du passager et s’engouffre à l’intérieur.


– André, j’ai besoin de toi parce qu’on m’a chouré mon tableau. J’ai des soupçons, mais pas de véhicule. Je suis prêt à payer le taxi.

– S’il faut parler d’argent, on verra bien. Cause de ton affaire, je suis ton homme. On va le retrouver ton tableau, foi d’André ! Destination ?

– Rue Onfray, tu connais ?

– Elle donne dans le boulevard Laparrat, non ?

– Bien vu, on y va. Mais tu me laisseras sur le boulevard, manière d’arriver par surprise, je dirais.

– On y va.


André fait un demi-tour hennissant dans la rue Équoignon, prend la direction de Comédon puis arrive non loin de la rue Onfray. Il se gare.


– Pour le moment, tu m’attends ici, je vais en reconnaissance, dit Hervé.

– Attends. Tu cherches quoi ?

– Une Fiat cabriolet des années soixante, rouge.

– Ok, je t’attends ici.


Hervé descend, met sa casquette et avance dans la rue Onfray, déserte à sept heures du soir. Il marche le long des façades, pas de petit cabriolet. Il voit de la lumière chez Sara, à l’étage. Il descend la rue. Pas de voiture rouge. Déçu, il remonte vers le boulevard. Il jette un coup d’œil dans une petite impasse, mais toujours rien. Il revient à la fourgonnette.


– Et alors ? demande André.

– Rien, j’espérais qu’il serait là mais j’ai pu me gourer.

– Oui mais, ce mec, s’il pense que tu le cherches, il ne va pas se garer juste en bas de chez lui, il ira un peu plus loin.

– Oui, mais c’est pas chez lui ici, c’est chez sa maîtresse. Qui est aussi la mienne.

– Ok, une histoire de tuyau de poêle. Mais fais un peu les petites rues à côté, on va pas être venus pour rien tout de même.

– Bon, je vais aller voir, dit Hervé en ressortant de la deuche.


Il suit un peu le boulevard et prend la première à droite. Même déception. Il descend la rue, tourne dans une autre, toujours rien. Il revient vers la deuche quand il remarque un coupé jubilé de couleur blanche. Il se penche et, à l’aide d’une petite lampe de poche, regarde à l’intérieur. Sur le siège arrière, il lui semble reconnaître la sacoche qu’il a eu l’honneur d’inventorier. La sacoche aux fafiots et à la fausse monnaie. Il regarde autour de lui. La rue est calme, la voiture est dans un coin sombre. Il va vers le coffre, regarde la serrure. Il sort son jeu de rossignols et les gants.

(à suivre...)


jeudi 23 juin 2022

Dernier tableau (82)

 

De retour chez lui, il se sent écrasé par tout ce qu’il vient d’entendre. Il en sait plus aujourd’hui qu’hier mais il se demande à quoi cela lui sert de savoir, de chercher encore…

Il décide alors de partir en randonnée, il avait déjà préparé un itinéraire de plusieurs jours, passant par le cap Fréhel. Il a besoin de s’en aller, de se changer les idées, de réfléchir à toute cette histoire. Il aimerait bien être seul, mais il ne veut pas non plus partir sans en parler à Sara et sans lui avoir proposé de l’accompagner. Il prend le téléphone, l’appelle et tombe sur le répondeur.


– Bonsoir Sara, c’est Hervé. Je viens de décider de partir quelques jours en randonnée et je te propose de m’accompagner. Il est évident que tu pourrais être de retour jeudi après-midi pour tes cours de peinture. C’est une proposition tous frais à ma charge au cas où tu me ferais le plaisir d’accepter. Alors rappelle-moi avant demain matin huit heures car après je pense être parti. Bisous. à très bientôt.


Il raccroche, pensif. C’est un peu étonnant que Sara se soit absentée mais c’est ainsi. à moins qu’elle ne soit dans son atelier, trop absorbée pour répondre. Auquel cas elle ne tardera pas à appeler. Il se prépare un repas et, après avoir mangé, il se met un moment devant son ordinateur puis prépare son sac. à dix heures, Sara n’a toujours pas appelé, il se couche.


Le lendemain matin, il part à huit heures et demie. Pas de nouvelles de Sara, il randonnera donc seul. Il va jusqu’à la gare routière et prend le bus pour Saint-Lunaire. Il a prévu trois étapes de trente kilomètres par jour jusqu’à Erquy. Le retour aura donc lieu jeudi soir puisque Sara ne l’accompagne pas.


Le mardi, il fait un temps splendide, il marche sur les sentiers comme un somnambule, il ne pense plus à Artur, ni à Achille, il est tout à son plaisir. Le soir, il n’a réservé nulle part mais il trouve à se loger sans difficulté.


Le mercredi, le temps passe à la pluie, le vent s’y met aussi. Le visage mouillé, le capuchon sur les yeux, il avance comme il peut. Mais il trouve une bonne chambre le soir et un bon repas. Le jeudi, le temps est gris mais le vent et la pluie se sont calmés, il se sent bien, n’ayant nul besoin de faire le point sur quoi que ce soit. Les choses sont ce qu’elles sont, elles ont été ce qu’elles ont été, la vie est belle et tout va bien. Il suffit d’avoir la santé.

à Erquy, après avoir mangé, il fait un tour en attendant le bus. à seize heures, il repart pour St Lambaire, content et de belle humeur.


*


De retour dans son appartement, il est aux aguets, il s’est passé quelque chose, il le sent. à peine entré il constate que les deux tableaux ont disparu. Il inspecte les crochets auxquels ils étaient suspendus. Très vite, il réfléchit. Édith, bien sûr, a la clé de son appartement, mais il la croit hors de cause. Reste Sara. Elle possède une clé de la maison et celle de son appartement. Mais Sara ! Pourquoi ?

Il prend son téléphone et consulte son répondeur. Aucun appel de Sara, un seul de Marondeau qui lui demande de le joindre assez rapidement. Il hésite : s’il appelle Marondeau, il en a pour dix minutes probablement. Il a vraiment besoin de réfléchir. Il pose le téléphone et regarde partout pour voir s’il y a un mot, une indication. Rien.

Il se décide alors à appeler Marondeau.


– Allo, Raymond, comment allez-vous ?

– Bien, bien, mon cher Hervé. Vous faites bien de me rappeler, mais je suis occupé. Pourriez-vous passer assez rapidement ? Je ne peux pas vous parler comme cela au téléphone. Et puis, j’ai horreur de ces cornets…

– Oui, je passerai, mais pouvez-vous me dire rapidement de quoi il s’agit ?

– Disons que j’ai quelqu’un qui est très intéressé par votre tableau, quelqu’un qui est venu me voir, j’en ai été fort surpris…

– Et qui est-ce ?

– Écoutez, je préfèrerais en parler de vive voix. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous avons parlé de ce monsieur il y a peu, c’est celui qui, que…, enfin qui avait passé la nuit dans les lieux que vous savez…

– Adrien de Vermorec ?

– Oui, c’est cela. Mais venez me voir. Sachez néanmoins que je ne lui ai rien révélé à votre sujet, il est reparti bredouille. Mais pardonnez-moi, j’ai quelqu’un et je ne voudrais pas le faire attendre…

– Bonsoir Raymond, merci de m’avoir tenu au courant. Je viens vous voir dès que possible, mais pas aujourd’hui. Demain.

à demain, mon cher.

(à suivre...)


jeudi 16 juin 2022

Dernier tableau (81)

 

– C’est vrai, j’y étais moi aussi, mais je n’ai pas osé entrer dans le cimetière. Elle voulait que je l’accompagne au moins jusqu’à l’entrée du cimetière, que je l’attende et que je sois avec elle pour revenir à la maison. Elle avait réussi, à l’insu des vieux, à quitter Le Bussiau avec sa belle robe, elle s’était changée dans les bois avant d’arriver à St- Lambaire et elle s’est rechangée au même endroit, au retour. En arrivant à la ferme, je suis allé en éclaireur pour voir où étaient les vieux. Ils étaient encore dehors et Mady a pu ranger sa robe discrètement. Nous nous sommes fait un peu engueuler parce que nous avions du travail en retard, mais sans plus. Mais Mady, après le cimetière, elle ne m’a plus rien dit, ni ce soir-là ni le lendemain. Le jour d’après, elle était morte au petit matin. Dans ma vie, je n’ai eu qu’une sœur, c’était Mady, je n’ai eu qu’un père, c’était Denis. C’est pour cela que c’était si dur pour moi de reparler d’elle la première fois que vous êtes venu. Depuis, j’ai repris mes marques et de plus le fait de parler d’elle c’est aussi lui redonner un peu de vie. Voilà toute mon histoire, mon histoire du Bussiau. Reste une chose, un homme, monsieur Artur. Je crois que pour Mady, monsieur le baron représentait le désespoir, la douleur, la détresse. Pour Mady comme pour moi, monsieur Artur c’était l’espoir, la joie, l’allégresse. Il nous devait la vie, nous l’avions sorti de l’eau. Et nous lui étions reconnaissants de l’intérêt qu’il nous portait. On a raconté n’importe quoi sur lui, sur Mady aussi. Je n’ai jamais cru à un accident. Vous me direz qu’il avait déjà commis une imprudence en se laissant prendre par la marée. Il aurait pu en commettre une autre. Je ne le crois pas, je ne peux pas le croire. Il était accusé d’avoir mis Mady enceinte : cela n’est pas vrai, ce n’est pas lui, cela ne peut être que ce vieux dégueulasse de baron. Pour le coup, je reconnais que je n’ai rien vu, je n’étais pas derrière la cloison. Mais j’ai entendu ce que le baron disait à la mère Veudenne et j’ai vu les traces de sang sur les draps. Tout cela n’est pas rien. Voilà, je vous ai tout raconté, je préfère en rester là mais cela fait du bien de sortir ce que j’ai sur le cœur depuis si longtemps. Mais cela ne fera pas revivre Mady, ni monsieur Artur. Et le Vermorec, baron de mes deux, lui il a dû crever depuis le temps et dans son lit ce sagouin.

– Il n’est pas mort dans son lit, on l’a trouvé inanimé dans l’entrée de son château, il y a longtemps, dans les années soixante…


Achille regarde Hervé doucement, puis en direction de la fenêtre. Le jour baisse.


– Il est six heures moins le quart, l’infirmière ne va pas tarder à passer, dit-il en voyant Hervé qui se lève.

– Je vais partir, il y a un bus qui passe dans dix minutes, dit Hervé en rassemblant les tasses.

– Laissez tout cela, ne manquez pas votre bus. Revenez me voir si vous voulez mais je n’aurai rien de plus à raconter…

– J’essayerai mais je ne voudrais pas vous déranger.


Il prend la main du vieil Achille entre les siennes et la serre longuement en le regardant dans les yeux. Il part.


*

(à suivre...)

jeudi 9 juin 2022

Dernier tableau (80)

Il s’est tourné vers moi et il a dit en s’excusant qu’il ne tiendrait pas sa parole, qu’il ne pourrait pas faire mon portrait et qu’il espérait que je comprendrais un jour. Puis il est parti, il n’est en effet jamais revenu, il est mort le lendemain. Quand les gendarmes nous ont appris son décès, Mady a éclaté en pleurs. Je crois que pour eux, cette réaction de sa part les a renforcés dans l’idée que monsieur Artur était coupable et qu’il s’était suicidé pour ne pas affronter la justice. Toutefois, par égard pour la famille, la thèse de l’accident a été retenue. Quelques jours après, c’était au tour de Mady, on l’a retrouvée dans la mare à côté de la maison, elle était noyée et c’est aussi la thèse de l’accident qui a été retenue. Pourtant, moi je crois qu’elle s’est bel et bien donné la mort, elle portait la belle robe blanche offerte par monsieur Artur et je crois qu’elle a voulu mourir ainsi. Toute cette histoire m’avait complètement détraqué. Je parlais tout seul, je ne savais plus qui j’étais ni où j’étais, je marchais comme un somnambule, devant moi, sans réfléchir. Un instituteur a réussi à me parler et j’ai pu me confier à lui. Il m’a proposé de rencontrer un gendarme, j’ai accepté, je faisais confiance à cet instituteur. Le gendarme qui m’a interrogé a été tellement compréhensif, tellement humain que j’ai aussi réussi à lui parler de manière à peu près cohérente, enfin je crois. Mais il n’y a jamais eu de suite, ils ne m’ont sans doute pas cru, eux aussi ils ont dû penser que j’étais simplet.

– Ne croyez pas cela, coupe Hervé. Le gendarme a été muté et l’instituteur se souvient toujours de vous. J’ai parlé avec lui il n’y a pas très longtemps.

– Il ne doit plus être très jeune, dites donc.

– En effet, je ne lui ai pas demandé son âge, mais comme vous dites, il m’a paru avoir au moins quatre-vingt ans.

– Ou assez proche des quatre-vingt-dix, il avait au moins vingt-cinq ans à l’époque et c’était il y a près de soixante ans… Cela me fait plaisir, ce que vous dites à son sujet. Mais je ne voudrais pas le revoir, cela ne servirait à rien…

– Je ne lui ai demandé ni son nom, ni son adresse. Il habite certainement à St-Lambaire, mais c’est tout ce que je sais.

– Peu importe, comme je vous l’ai dit, je ne tiens pas à le voir, je ne vois pas ce que nous pourrions nous dire. Enfin, après tout cela, la mère Veudenne s’est mise à dérailler. Elle n’en pouvait plus de toute cette histoire, d’avoir vendu sa fille – je l’ai entendu le dire – puis de l’avoir perdue comme cela. Parce que, je voulais dire tout à l’heure, j’ai pas vu les vieux sortir Mady de la mare, je suis arrivé quand j’ai entendu la vieille qui criait et qui pleurait. Mais à côté du corps, j’ai vu quelque chose, une grosse pierre attachée au bout d’une corde. à peine j’étais arrivé que le vieux m’a envoyé à la maison chercher des linges. Des linges pour quoi faire, je n’en sais rien. Mais quand je suis revenu, il n’y avait plus ni corde ni grosse pierre. La pierre, je l’ai retrouvée après, il l’avait jetée dans un fourré, mais c’était une pierre qui se reconnaissait, une pierre de meule à aiguiser, avec un trou d’axe au milieu. C’est pas n’importe quelle pierre. Et deux jours plus tard, comme un fait exprès, elle n’y était plus et je ne l’ai plus revue. Reconnaissez qu’il y avait de quoi se poser des questions… Après cela, les vieux n’ont plus desserré les dents. Seul entre ces deux parents indignes, le sans-cœur d’un côté et la folle en devenir de l’autre, je sentais une chape de plomb qui commençait à m’écraser. Le vieux était absent le plus souvent possible, aux champs ou dans les bois. La vieille tournait en rond autour de la ferme, regardant sans cesse la mare et houspillant le vieux dès son retour. Lui n’a trouvé d’autre solution que de la cogner. Et pour se donner du cœur, il picolait. Un jour, le baron, encore lui, est venu au Bussiau avec son homme de confiance pour leur signifier leur expulsion. Et c’est à ce moment-là que le baron a aperçu les deux tableaux. Devant les Veudenne pétrifiés, il a eu l’aplomb de dire que ces tableaux compenseraient pour lui une partie des fermages dus. Je n’ai jamais compris pourquoi la mère Veudenne n’a pas déballé toute l’histoire devant l’homme de confiance. Cela n’aurait sans doute servi à rien et puis elle n’était plus en état de se défendre. Ils ont été mis en demeure de quitter au plus vite Le Bussiau, ils ont tout perdu y compris les récoltes à venir. Les services sociaux, alertés par le maire, lui-même prévenu par les instituteurs, sont venus me sortir de là. Pour une fois, je dois reconnaître qu’ils ont fait leur boulot, mais sans plus. Comme je vous l’ai dit, ils ont fait cela d’autorité et je me suis retrouvé dans un centre, la suite vous la connaissez…

– Je voulais vous demander : il paraît que Mady serait allée porter une fleur sur le cercueil d’Artur Leyden, ce qui, soit dit en passant, a fait quelque peu scandale…

(à suivre...)


dimanche 5 juin 2022

Contes et histoires de Pépé J II (37) mourir et laisser vivre

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Si les média nous serinent tant de nouvelles de peu d’intérêt, c’est pour mieux éclipser ce qui, dans la vie de tous les jours, peut prendre une importance considérable. Heureusement, votre dévoué chroniqueur est là pour vous en parler et ne s’en prive pas. Il faut dire que, n’ayant pas de télévision, n’écoutant pas les informations à la radio et n’étant pas abonné aux journaux, il arrive à vivre sainement, écoutant le chant des oiseaux et regardant le spectacle de la nature. Toutefois, il peut arriver qu’il consulte un journal quotidien, principalement celui qui lui est fourni par un aimable voisin afin d’allumer sa cheminée.


Ce matin donc, avant de procéder à l’allumage, mon regard tombe sur une page datant du 21 juin 2019 où il est question, parmi d’autres, de Jérôme Cahuzac en Corse puis de Laeticia Hallyday à Lectoure. Et, en regardant mieux, je vois qu’il est aussi question d’une dame retraitée qui a appris sa mort par téléphone. Je vous expliquerai après pourquoi ce fait divers a particulièrement retenu mon attention.


Cette dame, retraitée de La Poste, avait été surprise de voir que, voulant faire le plein d’essence, sa carte de crédit ne fonctionnait pas. Elle pensait avoir été piratée et, consultant son compte bancaire, elle constata que sa retraite n’était plus versée… depuis le 1er avril ! Elle appelle son agence bancaire pour se faire dire qu’elle avait été déclarée morte par un notaire. En outre, une succession avait été ouverte à son nom. Ensuite, elle se retrouve avec une personne qui, au téléphone, lui demande de prouver qu’elle est bien vivante. Puis, elle a réussi à démêler cet imbroglio en arrivant à avoir des informations quant aux funérailles de son homonyme. Les pompes funèbres lui ont fait passer l’acte de décès accompagné d’un post-it où il lui était souhaité bonne chance. Ensuite, la caisse de retraite de l’État lui a fait savoir que les informations demandées seraient téléchargeables à l’automne. L’État, on le voit, s’y connaît en feuilles mortes…

Pour terminer, la direction des impôts s’est engagée à régulariser la situation pour fin juin, plus de trois mois avaient passé. Et durant ce temps-là, la banque avait fait courir les agios. Mais, sur la photo du quotidien, notre retraitée garde le sourire.


Bien sûr, vous me direz que ce sont là des mésaventures rares et qui n’arrivent qu’aux autres. Détrompez-vous car cela m’est arrivé il y a plus de quinze ans de cela. Je reçois un jour au courrier mon avis d’impôt sur le revenu. Comme beaucoup d’entre nous, je me reporte aussitôt à la dernière ligne de la dernière page pour constater que le montant exigé dépassait le montant de mon revenu brut annuel. C’était à n’y rien comprendre. Je regarde encore l’en-tête de la feuille : elle était bien libellée à mon nom. Enfin, pas vraiment car si mon nom figurait, c’était en tant que « Succession Pépé J » et, moi vous me connaissez, je réfléchis vite mais il me faut du temps : en lisant bien ma feuille d’impôt, on constate, au milieu de la deuxième page, une sorte de hiatus comme si le fonctionnaire qui avait commencé à la remplir avait tout à coup constaté que l’heure de la sortie avait sonné et avait repris la feuille le lendemain et y avait mis les éléments d’une autre personne, fortunée quoique décédée. C’était bien gros et je me propulsai dès le lendemain matin au centre des impôts d’Agen avec ma feuille. La personne au guichet, outre qu’elle était fort aimable, ne manquait pas d’humour puisqu’elle m’a dit, avec un sourire entendu, qu’elle ne me demandait pas de prouver que j’étais encore en vie. La rapidité de mon intervention a permis de régulariser dans les meilleurs délais cette affaire et ma résurrection m’avait donné du baume au cœur. J’eus toutefois une pensée émue pour le contribuable décédé qui était venu interférer chez moi : le pauvre homme était mort bien riche, laissant ses héritiers se débrouiller avec le fisc.


On voit par-là que demain ne meurt jamais.




jeudi 2 juin 2022

Dernier tableau (79)

 

Il a dit à la patronne : « la prochaine fois, c’est ta fille que je veux, tu partiras aux champs avec Veudenne et tu me laisseras ta fille ». La patronne a crié « non » ! Je n’oublierai jamais ce cri, je crois qu’elle aimait sa fille. Elle a refusé mais lui, calmement, lui a dit qu’elle avait toujours une dette, que les coups tirés ne payaient que les intérêts et qu’il ferait expulser toute la famille. Par contre, s’il avait la fille, il envisagerait d’annuler la dette, de la doter peut-être… Je ne comprenais pas tout, mais ce que je savais c’est que ce qu’il voulait était terrible. Je le savais sans connaitre exactement le pourquoi, mais je le savais. Je ne sais pas comment cela s’est discuté entre les vieux mais un jour, nous sommes partis, les vieux et moi, en laissant Mady à la maison. La mère avait dû faire la leçon à Mady, je ne sais pas comment, mais les derniers jours, elle avait un air sombre et inquiet, elle ne me parlait pas, même au retour de l’école. Quand on est revenu des champs, Mady n’était pas dans la cuisine. Le vieux a bu un coup, puis il est sorti en disant à la vieille d’aller voir la petite. Il m’a envoyé sortir du fumier, comme toujours. Le soir, Mady n’est pas venue à table. On m’a dit d’aller me coucher. J’avais une petite chambre dans les combles. à travers le plancher, j’ai entendu Mady qui pleurait. Puis le vieux est monté, il est entré dans la chambre de Mady, il avait une voix qui portait et je l’ai entendu dire qu’elle devait arrêter de pleurer, qu’elle était grande maintenant et qu’elle avait à obéir sans pleurnicher. Puis, il a rejoint sa femme dans leur chambre à coucher. Des combles, je pouvais me laisser glisser dans le fenil et voir dans la chambre. J’ai vu qu’il y avait du sang sur les draps que la vieille était en train de changer. Elle pleurait elle aussi. Veudenne lui a dit d’arrêter et elle lui a répondu de lui fiche la paix. Il a voulu la prendre dans ses bras, elle l’a repoussé et il lui a flanqué une paire de baffes à lui tordre la tête. Elle est tombée par terre, il l’a relevée et lui a dit de se dépêcher de refaire le lit. Elle a fait le lit, il s’est couché et elle est sortie de la chambre. Je crois que cette nuit-là, elle a dormi au coin du feu, dans la cuisine. Et chaque soir après ce jour là, le vieux allait coucher seul dans sa chambre et elle allait dormir dans le foin. Le baron est revenu une autre fois, nous étions tous trois aux champs et Mady seule à la maison. Mady trainait un air triste, un jour, elle était assise sur un tronc à côté de moi, elle m’a pris dans ses bras et m’a caressé doucement la joue de sa main douce en me disant : « pauvre petit Achille, si tu savais, si tu savais… ». Mady, je vous l’ai dit, c’était ma grande sœur, je l’aimais comme une sœur, elle était ma seule famille. C’est deux jours après que nous avons sorti monsieur Artur de la marée montante. Avec monsieur Artur, elle revivait, Mady. Nous l’avions sauvé et il était si gentil, si reconnaissant. Et il aimait beaucoup Mady, il lui a offert cette si belle robe, vous auriez vu, une robe blanche…

– Je sais, murmure Hervé.

– Vous savez ? Comment pouvez-vous savoir ?

– J’ai vu le portrait que monsieur Artur a fait de Mady, elle est dans une robe d’organdi. Rappelez-vous, je vous en ai parlé la première fois que je suis venu vous voir, dit doucement Hervé.

– C’est possible. Mais oui, vous avez raison, je n’y pensais plus. Monsieur Artur est arrivé comme si nous faisions un rêve, comme un grand frère qui aurait disparu et qui serait revenu. Un homme capable de peindre ce qu’il voit, nous étions émerveillés. Puis, il y a eu cette longue absence, son retour de Paris, il a commencé à faire le portrait de Mady. Mais Mady n’était plus Mady, je l’ai compris plus tard. Le baron, ce vieux saligaud, l’avait mise enceinte. On ne le voyait plus les derniers temps d’ailleurs. Les Veudenne étaient inquiets. Quand monsieur Artur a parlé de faire voir Mady par un docteur, ils ont eu la trouille, il n’était pas question que cela se sache. Oui, mais le sort en a décidé autrement. Enfin, le sort, la vie quoi… Mady est tombée évanouie à l’école et elle a été amenée chez un médecin. Il y avait un docteur à l’époque à La Brémarde. Il n’a pas hésité longtemps, il a certainement vu qu’elle était enceinte, il est allé voir les parents, à l’époque il craignait, je pense, que ce soit un inceste. Il est allé voir le maire qui a contacté la gendarmerie. Les gendarmes ont débarqué au Bussiau, je vous dis pas le pataquès. Ils ont commencé à interroger les vieux, puis Mady. Moi, j’avais tellement la trouille que j’étais incapable de leur répondre autre chose que « vindiou de vindiou de vindiou… ». Ils ont conclu que j’étais un débile et ils m’ont foutu la paix. Quand ils sont repartis, c’est le baron qui est arrivé. Les deux enfants, Mady et moi, on a été envoyés à l’étable. On n’a pas su ce qui s’est dit, mais le lendemain les flics sont revenus et c’est là que les vieux ont commencé à dégoiser sur monsieur Artur, comme quoi il se serait intéressé de près à la gamine etc. Je peux vous le dire, ils ont parlé devant moi. Et c’est à partir de là que l’enquête s’est tournée vers monsieur Artur. Mais les gendarmes n’avaient que des soupçons, ils ne pouvaient pas formellement l’accuser. Cela, je le dis, mais je ne l’ai compris qu’après, bien sûr. Un jour, monsieur Artur est arrivé au Bussiau avec un paquet. Il était pâle, il a regardé les vieux et il leur a dit qu’il venait déposer le portrait de Mady, que c’était pour elle et qu’il ne reviendrait plus. 

(à suivre...)