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jeudi 31 août 2017

René-la-Science (65)



— Plus rien de valable dans les caisses, il va falloir ouvrir les cantines, dis-je.
— Attends, on va d’abord soupeser, si c’est très lourd, c’est de l’or.
— Exact, dis-je.
J’essayai d’en soulever une par une poignée. Il fallut s’y mettre à deux et une seule cantine était incroyablement lourde.
— Si ce n’est pas de l’or, je veux bien être pendu par les oreilles, me dit René. Il va falloir les porter l’une après l’autre, et à deux. Attrape de l’autre côté, pas la peine de perdre du temps. Nous attrapâmes chacun une poignée et repartîmes aussi vite que possible. Nous remontâmes jusque dans la cuisine du château, puis après avoir ouvert la porte de la cuisine, nous posâmes la première cantine dans le fourgon. René rentra dans la cuisine et je fermai le fourgon à clé après avoir dissimulé la cantine sous des sacs vides. Je rejoignis René et, après avoir refermé la porte de la cuisine à clé, nous redescendîmes dans le souterrain. La deuxième, puis la troisième cantine suivirent le même chemin. A la troisième, René resta à l’arrière du fourgon. Au moment de refermer la porte du réduit, j’eus une idée. J’allai chercher des tournevis et j’échangeai à nouveau les serrures que j’avais interverties. Presque ni vu ni connu…
Je vérifiai de n’avoir rien laissé traîner et, après avoir fermé la porte extérieure de la cuisine, je me mis au volant. Je conduisis le fourgon jusqu’à la grille, je descendis pour ouvrir la grille, avançai le fourgon, refermai la grille. Nous voilà partis. Dans mon fourgon, il y avait une petite fortune, à la grosse louche plus de dix millions de francs, les nouveaux bien sûr, on ne va pas parler en anciens francs. Et nous ne savions même pas ce que nous allons en faire. Je descendis la route vers Clézeau et je partis en direction du Blédard. René passa une tête et me dit :
— Tu vas chez moi ? Ça tombe bien, j’avais une fin de mois difficile.
— Pas de plaisanterie, je vais à la ferme de Valin et arrivé là-bas, on discute.
— En espérant que Valin n’y soit pas, il vient des fois chercher du matos ou autre…
— On avisera, ce truc me tourne la tête, on aurait du décider quelque chose avant, mais je ne vais tout de même pas amener tout ce truc chez Michel tant que je ne sais pas ce que mijote la Matagali-Hari.
— D’accord, mais on est embarqué sur un drôle de truc. Mais il faut que je récupère ma caisse au bois de Montieu, ne l’oublie pas.
— Mince, tu as raison, je n’y pensais plus. Bon, je fais demi-tour.
Et, profitant d’un carrefour, je repartis en Direction du bois de Montieu. La voiture de René était là, attendant paisiblement. René monta au volant et nous partîmes de conserve en direction du bois du Blédard. Nous arrivâmes à la ferme Valin et René monta dans mon fourgon.
(à suivre...)

dimanche 27 août 2017

Six semaines à bord du Jamaïca (8)



8. Altamira et Houston. Du 20 au 25 octobre.
Bien fatigués hier soir, nous avons toutefois eu bien du mal à nous endormir : les grues et leurs projecteurs, les conteneurs et le déchargement pendant toute la nuit du cargo vraquier Nord Trust - deux grues qui plongent une grosse pince à six branches comme des pétales d’une tulipe géante dans le ventre du cargo pour en sortir du minerai de fer – tournent toute la nuit. Une fois pleines, les pinces sont amenées sur une trémie qui dirige le minerai dans la benne d’une semi-remorque. Chaque fois que la pince s’ouvre, c’est un fracas d’éboulement sans compter un nuage roussâtre qui entoure le camion. Deux grues, deux pinces et cela toute la nuit… métallo-caco-phonie en fer majeur ! Le départ du Jamaïca se fait un peu avant huit heures et il sort rapidement du port, rejoignant les calmes flots bleus du golfe
Notre vaisseau arrive au large d’Altamira, le pilote devait venir à 22 heures et nous devions accoster à minuit. J’ai cru un moment que nous allions sauter l’étape mais il n’en est rien : nous voilà réduits à des supputations et, comme le disent les vieux loups de mer : c’est pas parce que tu supputes que t’es sur un banc de maquereaux. Au moment du breakfast, le capitaine est sur place et nous dit que l’accès au port n’est pas possible par gros temps et qu’il appellera le port à huit heures. Quelquefois l’attente peut durer un jour. Nous sommes à l’ancre. La houle est assez forte et le bateau est secoué. La mer à bâbord semble couverte d’une nappe de pétrole. Je n’ose penser à du dégazage mais nous sommes à proximité d’une plateforme pétrolière. Le navire étant à l’arrêt, je parlerai de la décoration intérieure du cargo. Ce n’est pas parce qu’on est dans la marine marchande qu’on se passe de tout ornement pour les cabines et les couloirs. Notre cabine est agrémentée de trois reproductions de tableaux de Claude Monet, bien encadrées. Notre couloir, qui est au niveau G, est décoré de tableaux de Kandinsky. Le couloir du niveau F est orné de trois peintures florales  et le niveau E est l’étage Diego Rivera, peintre mexicain compagnon de Frida Kahlo et ami de Trotsky pendant son exil mexicain. Le D est plus dans le style Warhol avec des images de mystique consumériste. Le niveau C, étage récréatif et sportif, possède trois reproductions de pastiches : La Joconde avec la tête de Donald Duck, une peinture académique où Picsou trône en majesté et une affiche de l’Ange Bleu où Daisy Duck remplace Marlène Dietrich. Le niveau A, celui de la restauration, ne jouit pas de décoration dans le couloir mais dans le mess des officiers, il y a deux natures mortes alimentaires et deux autres moins comestibles. Pour ce que j’ai pu voir du mess de l’équipage, on est un peu plus dans la peinture naïve.
Vers 19.30 heures, enfin, le cargo repart en direction du port d’Altamira. Fausse joie, un nouvel arrêt à 20 heures.
Le bateau lèvera l’ancre à 8.45 heures pour entrer à Altamira. Nous avons atteint le point le plus à l’ouest de notre périple, Veracruz était notre point extrême sud. Nous avons la possibilité d’assister à l’arrivée des pilotes et de faire une vidéo assez réussie de leur montée à bord. Le port d’Altamira est une vaste zone portuaire loin de toute ville et nous décidons d’aller jusqu’à Tampico, la ville la plus importante de l’Etat du Tamaulipas. Le taxi recommandé par l’agent portuaire nous coûte une fortune mais l’argent est fait pour circuler, gringos… Notre chauffeur nous dépose sur la Plaza de Armas, juste en face d’un kiosque d’information touristique où une dame nous dit qu’un bus touristique fera une tournée à 15.30 heures. Nous avons bien le temps d’aller manger et elle nous conduit jusqu’à un restaurant bien local où nous mangeons d’excellentes enchiladas garnies avec des morceaux de viande grillée et de sauces à la crème ou à l’houmous ou pimentées. Il faut se méfier des sauces pimentées car ici, ce qui est piquant ne fait pas semblant de l’être. Le tout arrosé d’une boisson citronnée qui donne envie de boire. Donc un très bon repas avant de prendre l’autocar touristique. Ce bus, un ancien bus avec des banquettes en bois et des mains courantes en cuivre, nous emmène avec fracas dans la circulation intense, brouillonne et bon enfant de la ville. Nous suivons des rues où l’habitat est hétéroclite, les maisons en état alternent avec des maisons inhabitées et lézardées ; certaines maisons paraissent à l’abandon mais y en regardant bien on constate que des constructions nouvelles viennent se greffer dessus ; les trottoirs sont souvent défoncés, certaines rues plus encore et on voit qu’un orage les a détrempées. Le bus s’arrête en face d’une halle en béton récente où il y a un marché. Nous y faisons un tour mais la plupart des échoppes sont fermées et les autres manquent un peu de vitalité. Nous retournons au bus qui maintenant longe la lagune de Tampico. Il s’arrête en bordure d’une mangrove où nous pouvons voir évoluer des iguanes puis un peu plus loin des tortues amphibies. De temps en temps une hôtesse donne des explications dans le micro et, en alternance, elle nous sert une musique assez bruyante. On nous redépose sur la Plaza de Armas et, en ce samedi après-midi, il y a du monde. Nous faisons un tour en ville à la recherche d’un marché aux fruits et légumes. Mais ici les marchés ici n’ont pas l’ambiance et la qualité de ce que nous avions trouvé à Veracruz. La Plaza de la Libertad est une grande place avec un kiosque où des musiciens sont à l’œuvre. De retour sur la Plaza de Armas, nous entrons dans la cathédrale de Tampico. Un mariage a lieu, nous ne nous y éternisons pas. Cette cathédrale a été bâtie entre 1841 et 1872 dans un style néoclassique et postcolonial. La décoration picturale est très belle, dans une grande variété de couleurs vives. Sur la place, devant un kiosque rose en forme de poulpe, des jeunes ont installé un grand tapis sur lequel ils font un petit spectacle de danse hip-hop.
Le bateau quitte le port à 3 heures et nous arrivons au matin à Houston, on peut voir des bateaux presque à tous les points de l’horizon. Ce sont des tankers près des plateformes pétrolières. L’arrivée jusqu’au port est très longue, nous en repartons dans la nuit.
Le lendemain, nous allons sur l’avant du bateau voir les poissons volants, avec l’espoir de voir des dauphins. Le troisième officier nous a dit en avoir vu hier au moment de l’entrée dans le port. Je n’en verrai pas malgré une scrutation attentive mais le plaisir est aussi de prendre l’air - le vent même - à la proue du navire tant que le soleil n’est pas encore trop ardent. Nous sommes accompagnés par des oiseaux pêcheurs qui attrapent les poissons volants en plongeant brutalement dans l’eau. Il y a dans les coursives un endroit, peut-être le seul sur tout le bateau, où l’on n’entend que le chant des vagues. J’essayerai d’y faire un enregistrement. Car, que ce soit dans les cabines, au mess, sur les ponts ou partout ailleurs, il y a toujours du bruit : le bruit du moteur, le bruit des compresseurs des conteneurs frigorifiques, les vibrations, le bruit du vent et la soufflerie de la climatisation.

jeudi 24 août 2017

René-la-Science (64)



Notre premier soin fut de terminer mon chantier, René me donna un coup de main et nous brossâmes rapidement les joints. Puis, une fois le chantier nettoyé et les gravats évacués jusqu’au trou indiqué par Roger, nous fûmes prêts à descendre dans le souterrain. Nous descendîmes dans la cave, munis de lampes. Je sortis ma clé et ouvris  la porte du réduit aux termites. Le bahut disloqué et la vaisselle encombraient toujours le sol de la pièce. Nous franchîmes la porte et descendîmes sur le premier palier.
— C’est ici le macchabée ? Demanda doucement René, qui ne put s’empêcher de jeter un oeil.
— Oui, ça te plaît le spectacle ? Lui répondis-je.
— Attends, regarde un peu. Tu vois ces deux balles par terre ? Ce type a été descendu ici, il y a longtemps, les chairs ont disparu mais les balles sont restées. Il y en a même une troisième, le coup de grâce je suppose, dans la nuque.
— Ecoute, René, on n’est pas à l’institut médico-légal, ce type est mort depuis belle lurette, on ne fait pas une enquête.
— Belle lurette toi-même, j’aimerais savoir ce qui s’est passé ici, mais tant pis, allons voir en bas.
Et nous redescendîmes jusqu’à la salle d’où démarrait  l’autre boyau. En passant par-là, je vérifiai si le flingue était toujours à sa place. Il était toujours dans son trou et je le montre à René.
— Tu sais s’il est chargé ? Me demanda René.
— Alors là, j’y connais rien, regarde toi-même, lui dis-je en lui tendant le flingot par le canon.
— Tu as confiance, dit-il en rigolant. C’est beau de ta part après ce qui t’est arrivé.
— Le premier qui m’a braqué a failli prendre la toiture sur la tête et il s’est pissé dessus. A toi de voir…
— C’est un browning, il n’est pas armé mais il est chargé, dit René en sortant puis en remettant le chargeur.
— On le laisse là ou on le garde ?
— Pour le moment on le garde, même si c’est un risque. Mais le risque est plus grand de le laisser à la disposition de celui qui a récupéré la clé.
— On peut le planquer comme il faut et récupérer les balles…
— Je le garde, tu peux avoir confiance. Je sais m’en servir, et surtout ne m’en servir qu’en cas de nécessité, dit-il en glissant l’arme dans sa poche.
— C’est toi qui vois, dis-je en reprenant le couloir en direction de l’endroit où se trouvaient les cantines.
Elles y étaient toujours, les caisses en bois aussi. Les cantines étaient rouillées, mais solidement fermées et nous regardâmes le contenu des trois caisses. Etant en bois, les caisses avaient été bouffées par l’humidité et les termites. René souleva le couvercle de la première, ce qui eut pour effet de répandre son contenu, des pistolets mitrailleurs, complètement rouillés. La deuxième contenait des grenades dans le même état La troisième, la plus petite, semblait avoir contenu des papiers, mais il n’en restait plus que des bribes, presque des confettis, tellement les termites les avaient dévorés. A bien regarder, il semblait qu’il y ait eu des billets de banque, les termites avaient du bien s’engraisser avec cela.
(à suivre...)