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jeudi 30 janvier 2020

Appelez-moi Fortunio (51)


-          Ben oui, je reconnais ! Et sans cauchemars, de plus ! Finalement, je me sens plus léger maintenant que quelqu’un d’autre a vu que je n’invente rien. Tu l’as bien vue, toi aussi ?
-          Oui, oui, d’accord mais j’aimerais bien qu’on m’explique !
-          Moi aussi mais maintenant qu’on est deux à avoir vu, je me sens mieux. Comment dire ?
-          Comment dire ? Moi je vais te dire : y’a un truc et il va falloir que je tire cela au clair…
-          Pourquoi veux-tu qu’il y ait un truc ? Tu n’as jamais entendu parler de la Dame Blanche ? Même en taule, je te dirai, y’a un gars qui m’a parlé de ça, un soir que…
-          Stop ! Je me fous de ce que t’a raconté ce taulard, je vais te raconter ce que j’ai entendu après !
Albert raconte ce qu’il a entendu après cette histoire de prétendue dame blanche. Et il lui explique le rapprochement avec l’histoire de Châteaubriand.
-          Et, ne vas pas me dire maintenant qu’un certain François-René t’a parlé de ça en taule ! Qui, dans cette baraque a pu lire ce livre dans les huit mois qui précèdent ?
-          Fais voir. Oui, c’est bien un livre de la bibliothèque de mon père. Mais il a acheté la maison avec les meubles, les livres, le linge de maison etc.
-          D’accord. Et il y a huit mois, il était encore en vie ?
-          Oui, il est mort il y a six ou sept mois.
-          Et qui s’occupait de lui ? Qui faisait les courses chez l’épicier ?
-          Ben, les jardiniers, tu sais, je t’en ai parlé…
-          Et le vieux, il lui arrivait de lire du Châteaubriand ?
-          Alors là, tu m’en demandes trop car tout l’intéressait mais les derniers temps, il paraît qu’il avait des problèmes de vue. Il est possible que Céleste lui ait fait la lecture, elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour s’attirer ses bonnes grâces…
-          Et elle habite où, cette gonzesse ?
-          Avec son mari, dans un village pas très loin, après Sauméjac.
-          Ils sont donc toujours dans le coin ?
-          Oui, ils habitent une maison que mon père leur a achetée, je pense même qu’elle est tout à fait à leur nom. Mais, eux, ce qu’ils veulent, c’est ici, le château, et le fric !
-          Ils y ont droit ? La succession n’est pas réglée ?
-          Si, théoriquement. Mais ils contestent mon héritage, ils prétendent avoir un testament en leur faveur et ils veulent tout. Mais, déjà, ce n’est pas possible car même si mon père a écrit qu’il me déshéritait, il n’en n’avait pas le droit. Et ensuite, personne n’a jamais vu ce soi-disant testament sauf, paraît-il, un avocat. Ils ont plus ou moins introduit une procédure mais le notaire m’a conseillé d’attendre avant d’aller voir un avocat car il pense que c’est purement et simplement de l’intimidation…
-          En tout cas, voilà un élément intéressant. Quoiqu’il en soit, si cette histoire de dame blanche est un coup monté, je dois dire que j’y ai cru un moment…
-          Et tu n’y crois plus ?
-          Plus comme phénomène… disons… paranormal car l’histoire de la jambe de bois, c’est, comme qui dirait, ce que j’appelle le coup de marteau de trop et je commence à croire qu’on cherche à te faire peur et à te faire fuir. Et si Christelle m’a demandé de venir ici, c’est qu’elle subodorait quelque chose, elle aussi. Récapitulons : j’ai vu ce que tu as vu, je ne le nie pas. J’ai entendu ce que tu n’as pas entendu, tant pis ou tant mieux pour toi. Cela dit, il n’est pas question de pousser l’enquête trop loin et de brouiller les pistes. J’ai besoin d’en savoir plus et c’est ce qu’on va faire aujourd’hui. On reste cloîtrés ici et tu vas m’en raconter un peu plus…
(à suivre...)

dimanche 26 janvier 2020

Chronique de Serres et d’ailleurs V (20)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Au cours du mois de janvier, la ville de Nérac fête la truffe de diverses manières, avec un marché aux truffes, des animations autour de la truffe et surtout avec de merveilleuses préparations gastronomiques. La région de Nérac, l’Albret, connait depuis pas mal d’années une renaissance de la trufficulture et c’est toute une tradition avec laquelle les producteurs et les cuisiniers tentent de renouer. Le lycée hôtelier de Nérac est partie prenante en organisant ce qu’ils appellent un diner d’application aux truffes dont le premier très tôt affichait complet.

Je ne m’étendrai pas plus longtemps sur toutes ces animations car mon propos est de vous parler, non de la production ni de la commercialisation ni non plus de la préparation de la truffe mais seulement de la recherche de la truffe. Car ce que d’aucuns surnomment « diamant noir » avec un tantinet d’exagération -peut-être gasconne- n’a en commun avec le vrai diamant que le fait qu’il faut l’extraire du sol. Certes, le tuber melanosporum n’est pas un produit minier mais il faut le cueillir dans le sol au pied d’un arbre dit truffier, bien souvent un chêne, qu’il soit à feuilles caduques ou chêne vert. Il y a aussi certaines autres espèces d’arbre au pied desquelles pousse la truffe, le noisetier par exemple. On trouve aussi des truffes au pied de certains arbres généalogiques, mais c’est une autre espèce de truffe, non comestible et pour tout dire immangeable.

Donc, si la truffe pousse en terre au pied de certains arbres, il n’est toutefois nullement question de la ramasser comme une vulgaire patate car il faut préserver les qualités du sol autour de cet arbre nourricier et protecteur. Donc, une recherche méthodique avec extraction ponctuelle du champignon s’impose. Cela s’appelle le cavage mais pour pouvoir « caver », à savoir creuser pour extraire la truffe, il faut savoir où creuser et donc détecter l’endroit précis où elle est. Il y a une méthode qui consiste à observer le sol, cela s’appelle travailler à la marque mais cette façon est assez fastidieuse et ne permettrait bien souvent de récolter que des truffes de moindre qualité. Il y a aussi le cavage à la mouche qui consiste à observer une petite mouche qui pond ses œufs sur les truffes. Néanmoins, ce type de recherche doit se faire par un temps favorable et, bien souvent, cette mouche préfère les truffes très ou même trop mures.
Reste donc le cavage avec l’aide d’un animal spécialement dressé pour ce travail et qui possède un odorat adapté. C’est le cas du cochon et du chien. Le cochon détecte très bien les truffes mais c’est un animal qui n’est pas toujours d’un transport aisé, l’éleveur de porcs que je fus peut en attester Reste donc le chien et c’est bien de ce type de cavage que je vais vous parler. Car, le dimanche 12 janvier, s’est déroulé un concours de cavage sur carrés à Nérac, sur le site du parc du Bourdilot. A la suite du concours auquel participaient une cinquantaine de chiens, des démonstrations ont été faites dans l’après-midi. Le concours de cavage a eu lieu dans une belle prairie, par une matinée froide et ensoleillée. Des carrés de 5 mètres par 5 étaient matérialisés au sol par une rubalise au centre de laquelle était fichée une branche symbolisant l’arbre. Dans ces carrés avaient été enterrés la veille six leurres à l’arôme de truffe et les chiens ont dû, chacun dans son carré et successivement, trouver dans le meilleur temps et sans fautes les six « truffes ». Pour ce faire, le chien, accompagné de son maître, doit humer le sol et marquer d’un coup de patte l’endroit précis. Le maître doit alors, très vite, trouver le leurre et le porter aux juges, sans perdre de vue son chien au cas où il trouverait un autre leurre. On le voit, c’est un travail en tandem, la réussite tenant autant à l’efficacité du chien qu’à celle du maître. Le concours de Nérac s’est bien déroulé avec un temps ensoleillé qui a réjoui public et concurrents.

On voit par-là qu’il ne suffit pas de chercher, il faut surtout trouver.

jeudi 23 janvier 2020

Appelez-moi Fortunio (50)


Albert, dans un premier sommeil, perçoit un bruit, il ne sait pas s’il rêve ou s’il est dans la réalité. Toc… toc… toc, chaque impact étant espacé de trois ou quatre secondes.
Cela vient de l’étage, ou du grenier. Il se lève en douceur, embrumé de sommeil mais tant pis, il faut qu’il comprenne. Il va directement à l’escalier du fond et commence à monter en essayant de ne pas faire craquer les marches. Maintenant, il situe l’origine du bruit, c’est au grenier. Il continue, doucement, à monter. Serait-ce une chouette, un grand ou petit duc ? Toc… toc… toc, un miaulement… Il lui semble voir, sous la porte, une légère luminosité, il attend quelques secondes, se ramassant pour ouvrir brutalement. Le bruit cesse, il y a comme un bruit de porte qu’on ferme. Albert ouvre brutalement. Rien, pas âme qui vive, ni homme ni rapace, toutes les lucarnes sont fermées. Il ne veut pas allumer, toujours ne pas attirer l’attention. Il redescend, cela lui rappelle quelque chose, ce toc… toc… toc, le miaulement. Il arrive dans le hall d’entrée et se dirige vers le bureau. Ici les volets sont fermés, on peut s’éclairer avec une lampe de poche. Il regarde les rayonnages de la bibliothèque. C’est plein de livres bizarres, de l’ésotérisme, des philosophes obscurs. Mais il se souvient avoir vu un rayon de grands classiques et romantiques, Hugo, Racine, Boileau… Il trouve ce qu’il cherchait. « Les Mémoires d’Outre-tombe », Châteaubriand ! Est-ce un hasard ? Il trouve tout de suite, au chapitre III le passage, souvenir de ses années au collège : « Les gens étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques, et qu’on l’avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir. » Il n’a pas ouvert le livre au hasard, il y avait un signet à cette page, une note d’épicerie probablement. Il n’est donc pas le premier à s’intéresser à Châteaubriand. Et la note d’épicier date de huit mois plus tôt…
Il se rappelle, gamin, sa visite au château de Combourg, l’atmosphère romantique et le chat momifié dans sa vitrine, la légende de la jambe de bois qui se baladait. Tout cela était bien envoûtant, mais là, il commence à se dire qu’il ne va pas se laisser ensorceler.
Tout d’abord, savoir qui a pu lire Chateaubriand dans cette baraque. Qui a pu le lire dernièrement en tout cas, pour avancer dans cette histoire de toctoctoc. Ensuite, ensuite… la mystérieuse dame blanche… quand même il l’a vue de ses yeux, mille sabords ! Bon, et puis c’est pas tout ça mais il ferait presque sommeil, une petite bière et trois tranches de sauciflard, la fin de la nuit portera bien conseil. Il décide d’abandonner son fauteuil et il va se coucher dans son lit, un bon vrai lit, il n’y a que ça pour se reposer.
*
Il finit calmement sa nuit tant et si bien qu’il est plus de neuf heures quand il se réveille. Il se lève et descend par l’escalier de service. Une odeur de café lui flatte les narines. Daniel est dans la cuisine et a préparé un petit déjeuner pour deux.
-          Asseyez-vous, cher ami, dit ce dernier sur un ton guilleret. Votre pain, vous le voulez grillé ?
-          Vo… volontiers, répond Albert. Tu as l’air bien guilleret pour quelqu’un qui a dormi dans un fauteuil !
-          C’est vrai mais je devrais peut-être dormir plus souvent dans un fauteuil, on n’y dort pas si mal me semble-t-il…
-          Eh bien, pour ma part, je préfère un plumard. Et tu as dormi d’une traite ?
(à suivre...)