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dimanche 26 février 2017

Chronique de Serres et d’ailleurs II 24



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Je vous parlerai aujourd’hui d’un livre que j’ai eu l’occasion d’acheter dernièrement au bureau de tabac-librairie d’Astaffort, intitulé « Contes populaires de Gascogne » de Cénac-Moncaut. Ces contes ont été publiés pour la première fois en 1861 et réédités en 1992 puis en 2012 par les éditions Lacour de Nîmes, qui sont une mine de publications régionalistes méconnues mais mises en valeur par ces dignes descendants des colporteurs qui ont sillonné toutes les routes et tous les chemins de France au 17ème et 18ème siècles.
Justin Cénac-Moncaut, né en 1814, fut maire de Saint-Elix (Gers) et élu au Conseil Général pour le canton de Mirande. Il a aussi écrit et publié nombre d’ouvrages historiques et des contes populaires. Il est quelque peu décrié comme historien pour son manque de scientificité et comme conteur pour son style ampoulé et moralisateur. Toutefois, la plupart des contes des campagnes sont souvent ainsi et je préfèrerais parler d’un art d’écriture naïf, accessible à tous, bordiers, journaliers ou châtelains. Et tant pis pour les esprits chagrins, les mandarins dédaigneux qui, de nos jours, sont plus loin du peuple que ne l’étaient peut-être les seigneurs d’antan.
Je vous donnerai donc un résumé du petit conte intitulé « La flûte du berger Meyot ». Les parents de Meyot, après bien des pèlerinages effectués à Garaison, Bétarram et Saint Bertrand de Comminges, eurent enfin un enfant si petit qu’on lui donna le nom de Meyot. Malgré sa taille, il fut aisément placé dans une grande métairie car ce garçon ne manquait ni de finesse ni d’intelligence. Il avait à garder une vingtaine de bêtes à cornes pour le compte d’un bordier et d’une bordière aussi avares que bizarres, qui l’injuriaient et lui mettaient des coups. Sans compter la nourriture, une soupe à l’eau avec du pain sec, sans lard ni graisse. Mais parfois le vent peut tourner et un jour, au bord d’un ruisseau, Meyot fut interpellé par une vieille qui cherchait un gué pour traverser à pied sec. Aussitôt, Meyot accourut et, prenant la vieille sur son dos, il la fit traverser. La vieille, qui était un peu fée, le remercia en lui donnant une petite flûte, merveilleuse au point que nul être vivant qui l’entendra ne pourra s’empêcher de danser. Meyot le malin vit passer le maire avec qui il avait eu maille à partir pour une histoire de vache passée par sa basse-cour. Le maire lui demanda s’il avait vu tomber un ramier qu’il venait de tirer et Meyot lui indiqua un buisson de houx. Une fois le maire dans le buisson, Meyot lui joua un air de flûte qui le fit s’écorcher. Ensuite, voilà notre Meyot qui revient à la borde où il se fait houspiller par ses patrons. Il les fait danser aussi, les faisant renverser la soupe, les écuelles, les berrets, et la bouillie de maïs, les armotes. Après tous ces méfaits, le maire et les bordiers dénoncèrent le garnement au bailli. Meyot fut condamné à être pendu en place publique et, sur l’échafaud, il demanda à ce qu’on lui délie les mains pour faire sa prière. Une fois les mains déliées, il se saisit de sa flûte et joua son terrible air Qu’in t’en ba l’aoueillado t’aouellé. Ce fut un capharnaüm indescriptible : bordiers, maire, bourreau et maréchaussée se mirent à danser le rondeau furibond jusqu’à ce que l’on vit arriver la vieille qui fit savoir que cette flûte ne faisait danser que les mortels affectés d’un vice bien tenace et que s’ils changent leur attitude envers Meyot il ne leur arrivera rien. Et Meyot put ainsi vivre tranquille, de bonne soupe et de bon pain. La morale de l’histoire est donnée au début du conte : « Vous qui êtes grands, n’abusez pas de la faiblesse des petits ; le plus simple des oiseaux a des protecteurs invisibles ; le plus chétif des enfants peut trouver tôt ou tard le moyen de punir ceux qui le font souffrir. »
Pour ceux que cela intéresse, il y avait encore, début janvier, au moins un exemplaire de ce recueil de conte au tabac-journaux-librairie d’Astaffort.

jeudi 23 février 2017

René-la-Science (38)



Les enfoirés ! Et Michel a vu le panneau ?
— Oh oui, c’est même lui qui a été l’enlever. Il l’a brûlé, mais le mal était fait, Michel n’avait pas besoin de cela. Ces trois crétins en avaient toujours voulu à Gaby de s’être renfermé après le coup des résistants, ils lui cherchaient toujours des noises, mais en douce. Quand il a été enterré, ils n’ont pas pu s’empêcher de lui faire une dernière saloperie. Mais Michel, ça l’a marqué, bien sûr.
— Et donc ce Jacques Dugrain venait demander pardon de la part de son père ?
— Un pardon posthume, son père venait de mourir d’un cancer. Ce jour-là, comme Michel n’était pas là, je l’ai fait entrer, on a discuté. Et il m’a raconté la version de son père, le Pepito. D’après son père, Gaby avait simulé la grosse frayeur et le mutisme. Il aurait même salopé son froc exprès.
— Et tu crois cela ? C’est la version du Pepito, ça l’arrange de raconter cela.
— Toujours d’après le Pepito, Gaby aurait bien dénoncé les maquisards. Et il n’y aurait jamais eu de cantines avec de l’or. Ça, c’était pure invention de la part de Gaby. Il aurait toujours été comme cela à inventer des histoires.
— Mais Michel m’a dit que le Marco, lui, ne croyait pas que Gaby avait dénoncé, dis-je.
— Oui, mais Siméon lui aurait dit que cela commençait à bien faire, qu’il fallait qu’il dise comme eux sinon il lui casserait la gueule.
— Bon, c’est panier de crabes et compagnie. Alors, Michel l’a vu ce Jacques Dugrain ?
— Oui, Michel est arrivé finalement, il a écouté ce que le gars avait à lui dire, il lui a dit que si le Pepito était mort, paix à ses cendres. Il n’a pas voulu parler plus et le gars est reparti. Mais je pense que cela lui a fait du bien à Michel.
— Mais ils n’ont pas parlé de cette histoire de souterrain ?
— Non, mais tu sais bien que Michel reste bouche cousue là-dessus. Sauf parfois en dormant, mais ce sont des phrases décousues, ou des mots pas toujours compréhensibles. Mais il parle de tunnel, ça revient souvent.
— Mais il existe ce tunnel, nous y étions cet après-midi.
Et je me mis en devoir de lui raconter comment nous avions pu rouvrir le tunnel, puis que nous avions effectivement trouvé des cantines et Michel qui m’avait braqué avec son flingue à ce moment-là.
— Mais il avait pris son pistolet ?
— Tu savais qu’il en avait un ?
— Oui, il était planqué à côté du lit, mais je n’y ai jamais touché, je n’aime pas cela, me dit-elle.
— Ben, moi non plus, surtout quand on le braque sur moi. C’est là que j’ai vraiment compris qu’il n’était pas bien dans sa tête.
— Et alors, où est-il maintenant, ce flingue ?
(à suivre...)

dimanche 19 février 2017

Chronique de Serres et d’ailleurs II 23



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. S’il est, en France, une administration particulièrement inventive pour ne pas dire imaginative, c’est bien celle de l’équipement. Autrefois, on parlait de la DDE mais aujourd’hui on ne sait plus trop qui s’occupe de la voirie, suivant que celle-ci se trouve être communale, départementale ou nationale. Néanmoins, malgré cette diversité apparente, les fonctionnaires en charge de ces différents étages routiers font preuve d’une remarquable homogénéité de pensée et d’action, tant au niveau technique que conceptuel.
Prenons un exemple intéressant : le trou. En effet, le trou dans la voirie fait l’objet d’une attention soutenue de la part des services de l’équipement. N’est pas trou qui veut, on s’en rend aisément compte. C’est bien pour cela que, quand le moindre cantonnier repère une espérance de trou, il en avise sa hiérarchie qui, dans la mesure de sa disponibilité, prenant en compte les jours ouvrables, les RTT, les congés et les arrêts de maladie, fait diligence pour se rendre au chevet de ce creux potentiel. Aussitôt, une commission est créée, chargée d’établir un ordre du jour et de convoquer les experts en la matière, ou plutôt, dirais-je, les experts en la non-matière puisqu’un trou se distingue particulièrement par son absence de matière et même en quelque sorte par son immatérialité. N’est pas non plus expert en trou qui veut car il faut être capable de parler de l’absence, du manque, du vide, du néant en quelque sorte. Vous me direz qu’il ne manque point de brillants spécialistes en discours creux dans notre pays mais tout de même ! On est ici dans le domaine de la technique du trou, on ne peut pas se fier au premier venu pour l’appréhender. Nul n’a oublié l’histoire de ce camionneur livrant un trou et le vidant en levant sa benne. La benne vide du trou, il recula et tomba dedans. Ce camionneur manquait nettement d’expertise, il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre.
Un trou potentiel dans la voirie se doit, de nos jours, de répondre à des critères sévères de largeur, de longueur et de profondeur. En quelque sorte un trou non normalisé, un simple traoucat dirais-je, ne peut se concevoir dans nos routes. Et c’est ici qu’intervient toute l’expertise de nos judicieux fonctionnaires. Avez-vous déjà aperçu au bord de nos belles routes ce panneau : trou en formation ? Eh bien, ce trou potentiel décelé et diagnostiqué par les spécialistes ad hoc a donc été envoyé en formation pour y apprendre les rudiments de la troulogie, à savoir l’étude des trous qui permet à un léger creux de devenir, une fois diplômé, une cavité homologuée et normalisée. A son retour, on pourra changer la signalisation, mettre des balises, instaurer des circulations alternées et des vitesses limitées. Ensuite, on pourra établir des déviations et lancer un projet de travaux au terme desquels le trou devenu grand pourra émigrer vers d’autres lieux qui seraient tristement affligés de simples bosses sans intérêt. Il pourra aussi participer au repeuplement de nos campagnes en se muant en nid de poule pour chemin vicinaux. Un trou de bonne qualité fait la fierté des fonctionnaires et l’orgueil des élus, il leur permet de faire montre de leur expertise, de leurs capacités d’analyse et de leurs compétences absolues, strictement opposables à tout détracteur de bas étage. Le trou a son culte et les experts en sont les grands prêtres et les thuribulaires.
On voit par-là que François Rabelais avait raison de dire que celui-là qui veut péter plus haut qu'il n'a le cul doit d'abord se faire un trou dans le dos.