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dimanche 29 mars 2020

Chronique de Serres et d’ailleurs V (29)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. La pandémie qui frappe en ce moment a des effets inattendus et parfois même croquignolets.

En effet, si on peut comprendre que d’aucuns aient souhaité avoir à la maison du désinfectant pour les mains et, pour sortir dans les lieux publics, des masques dits respiratoires, d’autres précautions et provisions sont toutefois moins en rapport apparent avec la maladie et son virus. Un certain nombre de gens ont souhaité faire des provisions de riz, sucre, pâtes et autres nourritures stockables. Cela reste compréhensible et ces denrées seront utilisables quoiqu’il en soit, à échéance plus ou moins rapprochée.

Ce que je comprends moins toutefois et il semblerait que je ne sois pas le seul, c’est que le papier toilette soit en rupture de stock dans de nombreux magasins car c’est un article sur lequel se jettent bon nombre d’acheteurs dans les supermarchés et autres. En Australie, la police a dû intervenir dans un magasin pour mettre fin à un combat de harpies s’arrachant les rouleaux avec une férocité digne des combats les plus homériques. Tant et si bien que la police a appelé la population au calme et que les directeurs de magasin ont contingenté les achats de rouleaux. Ce qui n’empêche que ce papier se vende maintenant au marché noir pour des sommes surprenantes. Si cela continue, on paiera bientôt le feuillet plus cher qu’une entrée pour une finale de coupe du monde au stade de France.

Donc, il m’est apparu que je me devais de vous informer des solutions alternatives à l’usage du papier crêpé et c’est ce qui va suivre. La première de ces solutions et la plus agréable, c’est d’acheter un ou plusieurs exemplaires des romans que j’ai écrits. Vous en lisez quelques pages puis vous arrachez le nombre nécessaire que vous froissez délicatement avant d’en faire un usage récurant. C’est ce que l’on peut appeler résister à l’épidémie et faire preuve d’hygiène tout en se cultivant. Je rappelle que mes œuvres sont en vente chez l’auteur, elles sont imprimées sur un papier adéquat et l’encre en est d’une douceur à nulle autre égale.

La deuxième solution qui, pour ma part sera à la fois agricole et la seconde, remonte, sinon à la plus haute antiquité, tout au moins à l’époque où les compléments alimentaires pour le bétail étaient vendus dans une sacherie papier. Ces sacs d’aliments étaient faits de plusieurs couches de papier fort et ils étaient très prisés des éleveurs qui, une fois que la sacherie avait rempli son usage de départ, utilisaient ces diverses couches pour se torcher après avoir posé culotte. Je me souviens même d’un de ces paysans qui, une fois que le plombier leur avait installé leur première cuvette avec fosse septique, avait demandé si, avec cela, on devait acheter « le papier esprès ou si on peut continuer avé le sac ? »

Bien sûr, il reste toujours la solution d’utiliser l’annuaire du téléphone mais il est de nos jours devenu électronique ce qui est d’un moindre secours.

On voit par-là que, dans ce cas, je peux conseiller des solutions. En cas de pénurie autre, de préservatifs par exemple, adressez-vous plutôt au pharmacien de garde.

jeudi 26 mars 2020

Appelez-moi Fortunio (59)


-          Bonne question, car côté fric il n’avait pas de problèmes. Mais il a fallu qu’il tombe sur ces saloperies de couple infernal de merde qui lui auraient pompé tout son fric s’il n’y avait pas eu l’intervention de l’assistante sociale, un peu titillée par le docteur Setier…
-          Oui mais enfin, ils ne pouvaient tout de même pas tout lui piquer !
-          Que tu crois ! Ils avaient déjà pas mal magouillé, ils avaient le maire dans leur poche, les gendarmes et le toutim. Evidemment, tout ce beau monde a vite retourné sa veste en voyant arriver la cavalerie. Donc, maintenant, ils sont dans leur coin, tout en essayant toujours de faire croire qu’ils ont un testament en leur faveur.
-          D’accord. Dis-moi, ils faisaient quoi tes diaboliques avant de bosser pour ton père ?
-          Elle faisait des ménages et lui était aux PTT. Elle bossait ici et là, cahincaha, quand il s’est fait virer pour avoir piqué du fric dans une maison ù il était allé faire une installation. De là, il s’est mis à faire le jardinier, il n’avait même pas une pelle et une brouette. Mais mon père s’est fait entortiller et tu vois la suite…
-          Bien bien, c’est lui qui faisait les installations aux PTT ?
-          Oui, je te l’ai dit. Ce con-là, il avait même une formation de technicien, une fois aux PTT, il ne pouvait qu’espérer une bonne place et il a fallu qu’il gâche cela ! Bien fait pour sa gueule…
-          Je vois, répond Albert, rêveur.
Ils finissent de manger, Daniel va voir la télévision et Albert fait la vaisselle avant de retourner derrière son paravent avec son livre. Le programme lui paraissant dénué d’intérêt, il se plonge dans son Jules Verne. Il en oublie ce qui l’entoure tant il se passionne pour cette lecture, Daniel peut changer de chaîne à sa guise, il n’en a cure. Tant et si bien qu’à un moment :
-          Aaaaaargh ! le re re , il elle, il est là là, je te dis !
Albert ne pensait plus à cette histoire de dame blanche mais, d’un coup d’œil, il voit se profiler cette étrange silhouette, comme la veille. Sauf que, cette fois, Daniel se précipite vers la porte. Albert croit comprendre qu’il va se précipiter sur sa mobylette pour foncer devant lui en espérant trouver l’hosto. Mais de cela, pas question pour Albert et il lui saute dessus dans le couloir, le plaquant au sol. Il s’ensuit un bref combat qui se termine très vite, Daniel pique une crise de nerfs en se tortillant au sol. Albert ne connait qu’une seule thérapeutique et il lui applique une bonne paire de baffes qui stoppent net la crise. Daniel se met à pleurnicher.
-          Mééé, pourquoi tu me frappes comme ça, t’as pas le droit…
-          T’as raison, je n’ai pas le droit de te foutre des baffes, je le fais par devoir envers toi et c’est pour ça que tu me paies. Donc, mon pote, je suis à ta disposition…
Etonnamment, la réponse fait éclater de rire Daniel, pris ensuite d’un inextinguible rire nerveux.
-          Allons, maintenant, tu vas suivre le même traitement qu’hier soir : cachets et dodo. Tu choisis quoi ? Ton plume ou encore le fauteuil ?
-          Oh, le fauteuil, je supporterais pas de dormir dans ma chambre. Mais je veux téléphoner à l’hôpital, qu’ils viennent me chercher cette nuit, ou demain matin au plus tard…
Albert réagit aussitôt :
-          Ça serait pas bête, ça. Je peux pas te laisser partir sur ta chignole mais si c’est l’hosto, pourquoi pas ?
-          C’est vrai, tu es d’accord pour que je leur téléphone ?
Je ne suis pas sûr qu’ils accepteront de venir de suite, mais pourquoi pas essayer ?
(à suivre...)

dimanche 22 mars 2020

Chronique de Serres et d’ailleurs V (28)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. A l’heure où j’écris cette chronique, nul ne sait qui de vous ou de moi aura survécu à cette épidémie qu’on nous annonce ravageuse. Donc, comme le disait fort bien un autre Pierre, le Desprosges, vivons heureux en attendant la mort.

C’est pour cela que je me décide enfin à vous parler d’un livre que je vous avais promis d’évoquer dans mes chroniques, le roman intitulé « Mon ami Pierre » de Georges Boué. Ce livre aurait obtenu le prix de l’Académie des sciences, arts et lettres d’Agen et ne se trouve plus que chez les bouquinistes ou marchands de livres d’occasion. C’est ce que j’appelle un beau livre, ou un livre rare, car il se compose d’une grande partie de textes mais aussi de chansons dont les paroles sont en occitan de Gascogne traduites en français avec la partition en regard. Il a été publié par l’auteur en 1994. Il l’intitule roman historique car l’auteur part d’une histoire vraie qu’il raconte sous forme romancée. D’aucuns pensent qu’il a pris bien des libertés avec la réalité historique, je n’en jugerai pas ici car le récit est beau.

L’action du roman se situe à Goulens, dans la commune de Layrac (47) et plus précisément dans le vallon du ruisseau d’Amans où coule la Gὁvia, source sacrée dont les eaux viennent sans faiblir des Pyrénées. Plus bas sont les méandres du Gers et cette vallée où, depuis l’Antiquité les hommes se sont ancrés avec labeur et foi.

Je ne vais, bien sûr, pas vous raconter tout le roman car ce livre est un petit bijou que l’on ne pourrait résumer. Au centre du récit, le personnage de Pierre, enfant malingre mais subtil dont le principal handicap est d’avoir un cœur dont l’amour déborde comme la source, cette Gὁvia.

Fils d’un père brutal et violent, il passera bien du temps dans une grotte sous l’église d’Amans, il y trouvera le corps momifié de l’ancien curé de la petite paroisse, prêtre réfractaire sous la révolution qui mourut là pour échapper à ceux qui le pourchassaient. Mais, s’il doit se défendre, il doit aussi protéger sa mère et il devra donc quitter son abri pour se rapprocher d’elle.

Toujours prêt à servir, il se retrouvera à aider les résistants, encore au péril de sa vie.

Mais inlassablement, Pierre compose et chante ses propres chansons, celles-là mêmes que l’auteur nous restitue avec tant de soin. Je ne vous en chanterai pas mais ne résiste pas à vous en réciter une, dans le texte français livré par l’auteur : « Là-bas à la rivière / Lerié dondaine / Il y a un pré à faucher / Lerié dondon / Il y a trois jeunes faucheurs / Qui l’ont pris à faucher / Il y a trois belles filles / Elles l’ont pris à faner / La plus belle de toutes / Va chercher le dîner / Elle ne fut pas partie / Qu’on la voit s’en retourner / Venez dîner, faucheurs / Vous l’avez bien gagné / De trois, deux y allèrent / L’autre n’y alla pas / Belle qu’avez-vous fait à l’autre / Qu’il ne vienne pas dîner ? / C’est votre amour, belle / Lerié dondaine / Qui l’empêche de dîner / Lerié dondon. »

Sans fin, Pierre chante des chansons simples comme les choses de la vie paysanne, toujours il console les autres par cette grâce poétique. Son destin était de marquer à jamais ce coin de terre et soyons reconnaissants à Georges Boué d’avoir sauvé sa mémoire.


jeudi 19 mars 2020

Appelez-moi Fortunio (58)


Bingo ! Et qu’y a-t’ il dans le tiroir ? Un flingue. Albert n’y connaît rien en armes mais il sait quand même reconnaître un flingue. Quant à savoir s’il est chargé ou s’il est armé, niet ! Il y a aussi trois boîtes de cartouches, et du matériel d’entretien.
Albert ferme le tiroir à clé et met la clé dans sa poche. Il remet la planche-tiroir en place et se lève, doucement, il est intrigué par la poupée piquée d’aiguilles, une question à poser à Daniel. Dans la bibliothèque, il regarde s’il ne trouverait pas une lecture pour la soirée au cas où Daniel mettrait un programme sans intérêt. De la philosophie, de l’ésotérisme, il ne se sent pas trop inspiré par cela. Tiens, un Jules Vernes qu’il ne connaît absolument pas, « Le Château des Carpathes » ! Pourquoi pas se dit Albert et il le sort du rayonnage.
D’un coup, il se rend compte du fait que le soir est là, il est presque vingt heures et il a faim. Dans le salon, la télévision crache toujours son lot de publicités et d’âneries, il entrebâille la porte et constate que Daniel est toujours dans son fauteuil, l’œil glauque et la lèvre inférieure avachie. Laissons-le dans son rêve, pense Albert, allons voir ce qui peut se manger ce soir.
Pour changer de la pizza, il repère un sac de jolies pommes de terre, il fouille dans le frigo et sort deux grandes tranches de bavette. En cherchant un peu plus, il trouve quelques échalotes et il reste encore de la salade. Cette maison est pleine de ressources, pense-t-il. Il y a aussi une friteuse électrique, la graisse semble parfaitement acceptable. C’est parti pour une bavette à l’échalote-frites-salade ! Il va annoncer le menu à Daniel qui sort de sa torpeur médiatique et acquiesce nonchalamment. Pendant la première cuisson des frites, il descend rapidement à la cave où il avait repéré une caisse avec des bières en 75 cl et il en remonte deux, histoire de bien démarrer. Une fois que la cuisine est bien sur les rails, il appelle Daniel qui arrive pesamment.
-          Méé, méé, on dirait qu’on va se régaler, dit-il.
-          Tu ne vas pas regretter ta pizza aromatisée au coca ?
-          Non, non, il faut changer un peu, tu as raison mais je ne sais pas cuisiner, moi. Même si en taule j’ai travaillé à la cuisine, je faisais seulement la vaisselle. Pour ça, je suis champion, mais pour le reste, tintin !
-          Dommage, tu aurais dû en profiter pour te faire une formation de cuistot…
-          Tu parles, les cuistots, là-bas, c’étaient des mecs qui te tenaient à distance, pas question de mettre son nez dans la tambouille. C’était l’essuie et ferme ta gueule ! Mais bon, on n’y était pas si mal à la cuisine, faut dire.
-          Allez, madame est servie ! Assieds-toi et sers toi de viande, les frites arrivent.
-          En tout cas, les entrecôtes sont mastars…
-          C’est pas des entrecôtes, patate, c’est de la bavette. Et tu as raison, ce sont des beaux morceaux. Alors, avec ça, monsieur voudra-t-il une larme de bière ?
-          Ah, de la bière ! T’as trouvé ça où ?
-          A la cave, il y en a deux caisses.
-          C’était la bière préférée de mon père, la Henlein ça s’appelle, non ?
-          Presque, c’est une bière du Nord ou du Pas de Calais, j’aime bien moi aussi.
-          Alors, si tu sais remplir un verre avec une larme, remplis-le moi ! Et à la santé de mon père, le pauvre !
-          Et à propos, pourquoi « le pauvre » ?
(à suivre...)