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dimanche 29 novembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (11)

Lectrices et lecteurs, bonjour. « Bien des fois, les rêves du passé m’ont consolé des tristesses du présent. Moi, je suis bon témoin. J’écoute et je redis les vieilles chansons, les légendes d’autrefois ». Ainsi, en 1885, Jean-François Bladé terminait-il la préface de ses contes populaires de Gascogne qu’il avait mis près de trente années à collecter. Il avait longuement écouté et transcrit tous ces contes et il écrit encore : « A mesure qu’ils parlaient, j’écrivais vite, vite, dans le dialecte natal, sauf à collationner ensuite, en attendant de traduire, avec un parti pris de fidélité brutale. »
Pour chaque conte, Bladé cite sa ou ses sources qu’il présente dans sa préface. Ce sont autant des jeunes que des anciens, qu’ils soient de Lectoure, de Panassac, de Campan, du Passage d’Agen ou de Cauzac. Ce sont des conteurs, bien souvent illettrés, mais riches d’une mémoire vivante et d’une langue forte. C’est tout le cœur de la Gascogne qui bat dans ce livre et c’est bien à lui que je dois d’avoir connu le drac, ce petit être si typique de notre région et que l’on rencontre encore de nos jours dans les vallées boisées de Guyenne et de Gascogne.
Bladé est néanmoins pris dans un double paradoxe puisqu’il met par écrit ce qui provient d’une tradition orale d’une part et que d’autre part il traduit en français ce qui, en réalité, lui est conté dans la langue locale qu’il appelle le dialecte gascon. Ce faisant, il prend acte autant de la perte de cette transmission orale que de la domination linguistique du français. Mais il ne faut pas bouder notre plaisir, certains de ces contes sont de véritables poèmes, j’aurais aimé vous en lire un en entier mais il me faudrait plus de temps que celui qui est imparti à cette chronique. Je vais donc vous relater celui qui m’a le plus plu. Il lui a été conté par Catherine Sustrac de Sainte-Eulalie, commune de Cauzac, et cette histoire s’appelle : « Le cœur mangé ».
Un soir de Carnaval, un galant dit à sa belle : « Belle, quand m’aimerez-vous ? » « Je t’aimerai quand tu m’auras donné la fleur dorée, la fleur qui chante au soleil levant », répond la belle. Il lui ramène la fleur mais la belle le voit tout pâle et c’est parce que cent loups noirs qui gardaient la fleur l’ont tant et tant mordu. La belle lui dit qu’elle l’aime mais qu’ils ne se fianceront que lorsqu’il lui aura ramené l’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et qui raisonne comme un chrétien. Le soir de la Saint-Roch, le galant revient avec l’Oiseau Bleu et demande quand ils s’épouseront. La belle lui dit lors qu’ils s’épouseront quand il lui aura ramené le Roi des Aigles qui est prisonnier dans une cage de fer. Mais, avant de le laisser partir, elle lui demande pourquoi il a l’air si triste. « Triste, j’ai bien raison d’être triste, répond-il. L’Oiseau Bleu, l’oiseau qui parle et qui raisonne comme un chrétien, dit que vous ne m’aimez pas » « Oiseau Bleu, dit-elle, tu en as menti. Tout à l’heure je te plumerai, je te ferai cuire tout vif » « Adieu, Belle, dit-il en s’en allant, attendez-moi le soir de la Saint-Luc, sur le seuil de votre maison ». Le soir de la Saint-Luc, pas de galant sur le pas de la porte de la belle qui attend, attend puis va se coucher. Mais à minuit, elle se leva doucement, bien doucement et attendit sur le seuil de sa maison. « Bonsoir, belle. Le Roi des Aigles est plus fort que moi. Cherchez qui vous le donne, prisonnier dans une cage de fer ». « Galant, quel est ce trou rouge à ta poitrine ? » dit alors la belle. « Belle, c’est la place de mon cœur. Le Roi des Aigles l’a mangé. Nous n’épouserons jamais, jamais. » Et le galant s’en alla dans la nuit noire. Le lendemain la belle se rendit religieuse dans un couvent de Carmélites, et porta le voile noir jusqu’à la mort.
« Cric crac / Moun counte es acabat. / Per un ardit, / Digo-n’en un mai poulit »

« Cric crac / Mon conte est achevé / Pour un liard, / Dis-en un plus joli. »

jeudi 26 novembre 2015

Le cabot de Fortunio (73)

-          Tu vas pas partir comme ça tout seul derrière ces tueurs. Note, je comprends et si je pouvais, je viendrais avec toi. Mais, dis-donc, si Eliane t’en a parlé, elle a bien dû te dire qu’elle avait toujours le browning de son père ?
-          Oui, mais c’est une autre histoire et depuis elle ne l’a plus.
-          C’est toi qui l’as ?
-          Non. Ecoute, Tonin, je te raconterai tout cela un jour, je te le promets. Cela dit, tu dis oui ou tu dis non ? J’ai besoin de savoir. De toute façon, je trouverai une arme, c’est certain !
-          Bon, on va dire que c’est pour la bonne cause. Mais fais attention à toi, fils. Comment tu vas faire, tout seul ?
-          Tonin, je ne sais pas encore mais je vais trouver. Et surtout, ne dis rien à personne, pas même à François : c’est pas que j’ai pas confiance en lui mais il ne faut pas le mouiller dans cette affaire. D’accord ?
-          Tu as raison et si j’avais quarante ans de moins, je ferais comme toi. Il y a le browning et des munitions, le tout est en principe en bon état. C’est bien planqué, tu vas voir, on y va, tu m’aideras.
Nous montons dans le grenier. Une maigre ampoule nous permet à peine d’y voir dans le capharnaüm qui y règne mais Tonin s’est équipé d’une bonne torche. Il se dirige vers un ancien conduit de cheminée en brique pleines. Une d’entre elles est descellée, il la sort mais on ne voit rien. Il passe le bras à l’intérieur et ramène le bout d’un fil nylon. Il tire, il en vient une dizaine de mètres puis il sort un paquet.
-          Tu comprends, le paquet venait juste un peu au-dessus de la cheminée de la buanderie. En cas de nécessité, il suffisait d’arracher le cache pour le récupérer sans aller au grenier. Système rapido…
Nous redescendons du grenier et il défait le paquet dans la chambre d’Eliane. Il y a bien un browning et un nombre respectable de cartouches. Le flingue paraît impeccable. Tonin me met le tout dans une discrète petite sacoche puis il part se coucher. J’en fais autant.
Cela me fait une impression étrange de dormir dans ce lit, dans cette chambre. Ne serait un léger relent de cigarette, on se croirait dans une chambre d’enfant. Ce qui a certainement été le cas, cette chambre était la chambre d’Eliane lorsque, petite, elle venait chez son oncle et sa tante. Et puis, c’est resté sa chambre. Je me demande si François a aussi une chambre comme cela ici.
Je m’endors très vite malgré toutes les pensées qui m’assaillent. A cinq heures, Tonin frappe à la porte et je me lève. Je casse une croûte rapidos avec lui puis je me casse en direction de Marmande. C’est beau une ville la nuit, paraît-il, et c’est surtout grisant de circuler sans difficulté en voyant émerger les premiers travailleurs du jour.

J’arrive chez moi à sept heures et demie. Flèche me fait une fête comme si j’avais été absent une semaine. Le temps de préparer quelques affaires et je repars, cette fois c’est en direction d’Arcueil. A midi, je fais l’erreur de manger le plat du jour dans un restaurant autoroutier, une andouillette au goût de bran avec des frites décongelées trop cuites et en dessert un vague truc gélatineux aromatisé et édulcoré. Je  reprends la route avec l’estomac au bord des lèvres.
(à suivre...)

dimanche 22 novembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (10)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Les grands patrons français ont, paraît-il, le blues. C’est l’Institut de l’Entreprise qui le dit et si c’est l’Institut de l’Entreprise qui le dit, cela ne peut qu’être vrai car c‘est un institut fondé par, pour et avec les grands patrons, présidé par le PDG de Vinci. Les grands patrons sont tristes : ils ont le beurre, l’argent du beurre mais pas le sourire de la crémière. Le délégué général de cet institut met en garde l’opinion et les pouvoirs publics car la cote d’alerte serait atteinte dans la fragilisation des grandes entreprises françaises. Le beurre serait donc à deux doigts de fondre. Et la faute à qui ? L’opinion et les pouvoirs publics. Qui donc est l’opinion ? Les grands médias en premier lieu, ces journaux et télévisions qui sont en grande partie des affidés… du grand capital. De plus, bien des grands patrons paradent dans ces grands médias quand ils le désirent et ils ne voudraient pas y apparaitre lorsque cela leur disconvient. La preuve en est qu’ils se plaignent des médias… dans les médias. Le serpent patronal se mordrait-il la queue ? Les big-bosses à la française voudraient-ils être les meilleurs, les plus beaux, les plus riches et aussi qu’on les aimât ? Etre des Rodrigue des écrans plats pour lesquels les téléspectateurs auraient les yeux de Chimène ? Et côté pouvoirs publics, de qui s’agit-il ? Des élus dont certains sont cul et chemise avec les riches, les magnats et les grossiums, qui plus que la tentation de Venise et de ses gondoles ont la volupté de Genève et de ses coffres ? Ou de chafouins fonctionnaires, confortablement installés dans leurs bureaux en contreplaqué, toujours prêts à jalouser ceux qui ont réussi ? Car, d’après nos grands patrons, les courriers de l’administration sont « comminatoires et menaçants… ». Qui de nous n’a jamais rêvé de recevoir une douce lettre où le percepteur solliciterait gentiment notre bienveillance, demandant respectueusement si nous aurions l’amabilité, dans les délais qui nous conviennent, de verser une obole du montant qui nous serait agréable ? Faut pas rêver et rappelons que les grandes entreprises ne sont pas les dernières à jouer le bras-de-fer avec l’administration en faisant du chantage à l’emploi. Il semble même que certains inspecteurs du travail et des contrôleurs de de la sécu préfèrent tomber sur le râble des petits entrepreneurs afin de protéger leur plan de carrière. De plus, la sécu, les Assedic et autres organismes sont gérés entre autres… par le patronat ! Autre grief avancé par ces oligarques en mal de reconnaissance médiatique : les politiques, droite et gauche confondues, « font preuve d’une méconnaissance abyssale de l’entreprise ». Etonnant, non ? Les politiques font, certes, preuve de cette ignorance mais qu’est-ce qui nous prouve que certains grands patrons ont une vraie une connaissance de l’entreprise ? Ils ont bien souvent une solide connaissance des moyens de s’enrichir, de partir avec des retraites super-chapeau  et des faire faire des super profits à leurs commanditaires mais qu’ils vendent des crayons, des boulons ou du vent, ils ne savent parfois plus guère ce qu’ils vendent ou produisent. Du moment que le fric rentre, les intérêts sur le fric et les intérêts sur les intérêts…

Bien sûr, ce n’est pas toujours rigolo de devoir prêter son yacht à Sarko, on n’est pas certain qu’il laissera les toilettes propres après son départ mais on peut espérer qu’il renverra l’ascenseur. Evidemment, inutile de prêter son scooter à Hollande, il vaut mieux s’adresser à son premier ministre prêt à danser la valse du diable avec le patronat. De quoi se plaignent-ils encore, ces grands patrons ? De l’Euro fort mais s’il était faible, ils s’en plaindraient aussi. De l’absence de croissance mais la croissance, ça ne se décrète pas. Du coût du travail, ça ce n’est pas bête car si le travail était gratuit, la croissance se casserait la gueule… De la rareté des capitaux trop mobilisés par le Livret A et l’assurance-vie en obligations d’Etat qui monopolisent l’épargne des citoyens qui n’ont plus confiance dans la Bourse car elle est manipulée au profit… au profit de qui ? Au profit de ceux qui boursicotent, combinent et traficotent par-delà les frontières.
On voit par-là qu’il n’y a pas que chez les riches qu’il y a de la misère.

jeudi 19 novembre 2015

Le cabot de Fortunio (72)

V. …et tu verras passer le corps de ton ennemi.
Le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil, pas question de partir vagabonder à Toulouse. D’abord, le chantier. Puis les chantiers : à savoir que le boulot, même si on est patron et qu’on a des ouvriers, ça roule pas tout seul. Il y a des approvisionnements à faire, des problèmes à régler, des clients à aller voir. Ce qui me prend pratiquement toute la journée. C’est vers cinq heures que je peux me dégager pour aller voir le tonton Bonnefoi. Je laisse Flèche garder la maison.
Encore deux heures de route, c’est fou ce que je circule en ce moment. Il est dix-neuf heures quand je me gare rue Caratinières. Le bistro-restau est ouvert, j’entre. Le tonton ne me reconnaît pas, normal, je suis propre aujourd’hui. Alors que la seule fois où on s’est vus, je sortais d’une cave sordide.
Une fois que je me suis présenté, le bonhomme me flanque une accolade virile, c’est pas un pied-noir pour rien. Il appelle sa femme qui se met à pleurer en apprenant qui je suis. Gheusy et François sont passés par là et m’ont décrit comme un héros, un sauveur. De plus, pour eux, je suis déjà de la famille, mon fils. Après toutes ces émotions, on me propose de me mettre à table avec eux, dans la salle, ils allaient manger et le soir, tout est calme. Je m’en voudrais de refuser et nous passons à table. Une assiette de charcuterie, du pain de boulanger, et ensuite des huitres de montagne. Pour ceux qui connaissent, c’est un plat roboratif et goûteux. Ensuite, un coulant baraqué, le tout accompagné d’une bonne carafe de Fronton. Tout en mangeant, je donne des nouvelles d’Eliane et notre discussion rassérène la tante et lui redonne espoir. Elle me propose de rester coucher chez eux, il y a la chambre dite d’Eliane, une minuscule chambrette mansardée. Comme dit la tante : « T’es un peu comme chez toi, ici, mon grand. Faut que tu récupère et tu vas pas faire toute cette route alors que tu dépasses le taux d’alcoolémie. Antonin te réveillera demain matin, il se lève à cinq heures au plus tard. » Là-dessus, elle nous laisse pour aller se coucher. Nous sommes toujours à table avec le tonton, on finit la carafe de vin. Le dernier client s’en va et je juge le moment opportun pour attaquer :
-          Monsieur Bonnefoi, j’ai besoin de vous, vous pouvez m’aider.
-          Attends, mon fils, répond celui-ci, je veux bien t’écouter mais tu me dis tu et tu m’appelles Tonin, sinon ça passera pas. Dis-moi de quoi t’as besoin.
-          Tonin, reprends-je, je sais que tu as un flingue et j’en ai besoin parce que je compte chercher – et surtout trouver – les gars qui ont tiré sur Eliane. Et ces gars, c’est pas le genre à aller voir avec un bouquet de fleurs si tu vois ce que je veux dire…
-          Fils, tu m’emmerdes. Je sais pas quoi te dire, j’aurais dû me débarrasser de cette arme mais, bon, j’étais venu avec depuis l’Algérie. C’est Eliane qui t’en a parlé ?
-          Oui, c’est bien elle.
-          Ouais, j’aurais pas dû te laisser comprendre que je l’ai encore. Tu sais que je détiens ce flingue sans autorisation ?

-          Je le supposais et c’est tant mieux car c’est comme si cette arme n’appartenait à personne, si tu vois ce que je pense, encore une fois… Je vais être clair : j’ai besoin de cette arme pour me défendre, bien sûr, mais ces mecs ne seront jamais jugés, ils ont commis leur forfait au Gondo et je commence à subodorer qu’ils sont plus ou moins revenus ici en France. Le gouvernement gondolais est bien content d’en être débarrassé et la justice française a peu de chances de pouvoir les coincer.
(à suivre...)

dimanche 15 novembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (9)

Lectrices et lecteurs, bonjour. En politique, pour réussir, il faut avoir des idées. Sans toutefois confondre idées et convictions, il importe d’être en mesure de prouver qu’on pense. Mais avoir des idées, cela ne va pas de soi et l’on voit de nos jours que c’est un métier à part entière : auparavant, tout un chacun pouvait avoir des idées, les garder dans son coin ou les partager, maintenant il y a des professionnels pour cela. Comme toutes les choses neuves, cette pratique nous vient des Etats-Unis, comme son nom l’indique, puisqu’on parle de think tank, ce qui signifie en français « réservoir de pensée ». Ce sont à proprement parler des boîtes à idées remplies par des techniciens de la pensée. Exit nos décathloniens de la pensée à la française, capables d’avoir des idées sur tout, de la littérature au sport en passant par la politique, spécialistes toutes spécialités, tout à la fois universitaires et chercheurs, commentateurs et producteurs, conseillers occultes et académiciens autant que prophètes télégéniques ; place à l’ingénierie de la pensée et aux techniciens des idées. De quelque bord politique que vous soyez, ils peuvent vous fournir un prêt-à-penser adapté à tout électorat.
Mais il ne faut pas croire que l’on peut fabriquer des idées comme s’il en pleuvait : il s’agit d’un travail comme un autre, il faut creuser, chercher du matériau, le travailler et le régurgiter sous forme de rapports, d’études et d’articles. Et où chercher ce matériau sinon dans les têtes et les cœurs des électeurs ? En lançant des enquêtes et des sondages, en posant des questions judicieusement orientées à des échantillons dits représentatifs. C’est ainsi que, dernièrement, j’ai lu dans les pages d’un grand quotidien national un article intitulé : « Jusqu’où ira la colère des classes moyennes contre les politiques ? », écrit par les directeurs généraux associés d’un think tank français spécialisé dans la détection d’insights. Pour cette enquête, ils ont récolté 1382 contributions enregistrées auprès d’un échantillon représentatif des classes moyennes. La synthèse de ces contributions est dite « éclairée par des verbatim des participants ».
Alors, on peut tout de même se poser au moins deux questions : quelles sont ces classes moyennes dont on nous parle tant et comment peut-on être représentatif ? En effet, comment reconnaître au premier coup d’œil dans la rue un représentant des classes moyennes ? Car dans leur étude, telle qu’elle est présentée, les verbatim sont signés de nom étranges tels que Nad, Asterix, lolo16, arkom, Surfie, devachris et Titof, il y a heureusement dans cette liste une Sandrine, un Jordan et une Maelle qui me font penser qu’il y avait bien quelques français dans le tas. Eh bien, en bas de page, on a la réponse : l’échantillon est composé de 156 personnes dont le revenu foyer net mensuel est entre 1 800 et 2 400 Euro pour une personne seule et de 2 400 à 5 000 Euro pour un couple, qui sont des hommes et des femmes âgés de 18 à 65 ans dont 34% de 18-25 ans. Parmi eux, il y a 90% d’actifs dont  80% issus du secteur privé et 20% issus du secteur public, 8% de chômeurs, 5% d’étudiants et 5% de retraités, en outre ils s’étaient abstenus pour 30% d’entre eux aux élections départementales 2015 et ils sont pour 55% sympathisants de gauche et 45% de droite. Après tant de chiffres, on peut penser qu’on va apprendre des choses extraordinaires mais les verbatim et les commentaires sont d’une banalité telle qu’elle paraît étonnante. Autant que la réponse qui ressort de l’analyse faite par nos techniciens du réservoir de pensée libre, à savoir : la colère des classes moyennes pourrait aller jusqu’à les faire peut-être éventuellement voter pour la candidate d’extrême droite. Voilà qui est surprenant et il fallait bien des personnages aussi composites que nos représentatifs pour l’exprimer à la face du monde. Si vous croisez l’un d’entre eux dans la rue, vous pourrez vous écrier comme Cyrano :

« L’animal seul, Monsieur, qu’Aristophane appelle hippocampéléphantocamélos / Dut avoir sur le front tant de chair et tant d’os. »

jeudi 12 novembre 2015

Le cabot de Fortunio (71)

La discussion continue donc ainsi puis nous partons sur d’autres sujets et Esther nous ramène à Clermont en fin d’après-midi. Elle me propose de manger un morceau avant de repartir sur Marmande, ce que j’accepte volontiers. Je repars ensuite chez moi où nous arrivons, Flèche et moi, un peu avant minuit.
J’ai un coup au cœur en arrivant : il y a un certain bordel devant chez moi, mes bottes, qui étaient devant la porte, sont suspendues à la lumière extérieure ; des seaux sont renversés ; une guirlande de papier-cul rose orne mon entrée, et j’en passe. Une fois la première émotion passée – j’ai cru qu’on avait une fois encore forcé ma porte, ce qui n’est pas le cas – je remets les choses en place en me demandant qui a pu vouloir ainsi marquer son passage. Cela pourrait être un coup de mes ouvriers mais je pense qu’ils auraient fait bien pire s’ils avaient voulu me faire un coup fumant. J’ai bien des copains dans le coin mais je ne vois vraiment pas. C’est pas Dingley, pas son genre. Livron encore moins…
Je me mets en devoir de ranger sommairement puis je mets la clé dans la serrure, j’ouvre la serrure et saisis la poignée. De la graisse au dos de la poignée. De la graisse, enfin, du cambouis bien noir… Salopard(s), éructé-je. Je vais au robinet extérieur pour me laver la main graisseuse, il y a aussi de la graisse sur le tourillon du robinet, rebelote. Là, tout s’éclaire en s’opacifiant : le seul emmanché capable de cela, c’est René. Putain ! René-la-Science, l’homme qui tombait à pic et qui parlait à l’oreille des banquiers.[1]
 Ça c’est clair. René est passé. Ce qui est moins clair, c’est que nos relations sont assez distendues depuis quelques années. Pour ne pas dire inexistantes. La dernière fois qu’on aurait pu se rencontrer, j’ai préféré l’éviter. Donc, je le trouve un peu gonflé de se pointer chez moi sans crier gare. Enfin, si c’est bien lui.
Je prends un bout de chiffon, je m’essuie les mains, j’essuie le robinet, la poignée de porte et j’entre. La maison respire la tranquillité ; je remplis la gamelle de Flèche avant de me mettre aux plumes où je m’endors illico.
*
Eh bien voilà, c’était mardi et je ne suis pas plus avancé dans ma réflexion qu’hier soir. Une chose est certaine : je ne peux pas dire à Livron tout ce que je pense, je ne peux pas le mouiller au-delà d’une certaine limite. Et lui aussi me dira de faire un dossier en béton sur les tueurs puis de mettre les flics sur le coup. Ouais, ruminé-je.
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut trouver une arme. Un flingue, quelque chose qui me permette au moins de me défendre. Et pour ça, j’ai mon idée : il y a le tonton. Le tonton à Eliane. En principe, il doit toujours avoir un browning, son souvenir d’Algérie. Moi j’ai balancé celui du père d’Eliane à la Garonne, après utilisation, mais d’après ce que m’a raconté Eliane, il a toujours le sien. Reste à le convaincre de me le refiler. Mais pour cela, il faut repartir sur la ville rose…

(à suivre...)

[1] cf. « René-la-Science », roman, même auteur et même largeur.

dimanche 8 novembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (8)

Lectrices et lecteurs, bonjour. « Le travail, c’est la santé, rien faire c’est la conserver » disait la chanson. Nous voilà bien avancés avec un tel adage. En effet, maintenant on nous parle de médecine du travail, de bien-être au travail, de maladies professionnelles et de bien d’autres choses concernant le boulot. Auparavant, on travaillait, on était malade et on mourait sans se poser plus de questions mais de nos jours tout ce qui nous arrive doit avoir une cause identifiée, une pathologie certifiée et des responsabilités qualifiées. Sinon, que deviendraient les administratifs et les fonctionnaires chargés d’identifier, de certifier et de qualifier ? Et que deviendraient les chercheurs chargés de chercher, de fouiner et de fureter ? Car un chercheur, nous aurons l’occasion d’en reparler, se doit de chercher et sa recherche ne peut s’arrêter après une simple trouvaille : seule la retraite peut permettre aux chercheurs d’arrêter leur prospection, ces derniers étant majoritairement salariés et de préférence dans la fonction publique même si de temps à autre ils émargent à quelques autres râteliers.
Une des plus récentes découvertes de la recherche sur le travail est que ce dernier est pénible, il fallait bien quelques intellectuels et bureaucrates pour nous le faire savoir ; et non seulement il est pénible mais on peut quantifier la pénibilité… enfin, disons que certains pensent qu’ils peuvent y arriver. Une autre découverte étonnante est que le travail peut brûler celui qui s’y adonne sans modération. Cette trouvaille nous vient des pays anglo-saxons puisque cela a été nommé burnout, ce qui, en langage simple, veut dire complètement cramé. C’est ainsi qu’est appelé le syndrome d’épuisement professionnel qui se caractérise par « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». Il ne faut pas le confondre avec l’expression faire suer le burnous qui, quoique symptomatiquement proche, est néanmoins d’ordre vestimentaire. Ce qui, de plus, est particulièrement nouveau c’est qu’on en vient à parler de burnout dans la fonction publique : cela prouve le côté non négligeable de cette affection. Mais si l’on en parle, ce n’est pas pour autant qu’elle est reconnue par les instances compétentes. C’est bien pour cela que, dernièrement, deux fonctionnaires de police ont créé l'évènement en manifestant ouvertement en faveur de la reconnaissance de cette affection au rang des maladies professionnelles : ils se sont présentés devant le monument aux morts de la Ferté-Sous-Jouarre devant lequel ils ont baissé leur pantalon, découvrant ainsi autant ce que Guillaume Apollinaire appelait leur vit réglementaire que ce que je nommerai leurs gonades de fonction. En un mot l’on peut dire qu’ils ont fait leur burnes-out de même que d’autres font leur coming-out. Le plus regrettable est qu’ils aient été dénoncés par un habitant de la localité, placés en garde à vue et condamnés à une amende de mille euros chacun car le parquet avait décidé de les poursuivre pour exhibition sexuelle, pointant du doigt un comportement portant atteinte au respect dû aux morts et à la dignité de leur fonction. Quand le parquet pointe ainsi les choses du doigt, on peut craindre le pire comme le meilleur. Mais les gens de robe ne sont guère enclins à baisser le froc…
Bien sûr, on peut se demander où l’on irait si nos plus de cinq millions de fonctionnaires de France se mettaient à exhiber leurs parties intimes, leur cul et leurs bonnes manières devant les monuments aux morts de nos villes et villages, aux guichets des administrations et à l’entrée de nos musées. Cela nous égaierait certes quelque temps mais n’assurerait pas le retour de la croissance.

On voit par-là qu’on pourrait voir des muses dans nos vergers.

jeudi 5 novembre 2015

Le cabot de Fortunio (70)

Je prends mon portable et j’appelle le numéro donné par l’avocat en prenant soin de masquer l’appel. On décroche.
-          Qui c’est ? dit une voix.
-          Alouari ? T’es à Moretun ?
-          On en sort… mais qui t’es, toi ?
-          Papy Mougeot, réponds-je en raccrochant.
Le gars s’est fait baiser, j’ai eu du bol et j’explique le truc à Esther et Léon. Nous redémarrons tranquillement et revenons à Clermont. En chemin, Léon aimerait bien savoir quelles sont mes intentions.
-          Ecoute-moi bien : je compte retrouver les gars qui ont enlevé Eliane et qui lui ont tiré dessus. Je ne réponds de rien car si je les retrouve, il y a peu de chances pour que la police se bouge vraiment. Et en admettant que si, il va falloir des preuves, des preuves en béton car avec le fric, ils peuvent se payer les meilleurs avocats. Et puis, les faits se sont déroulés au Gondo et rien ne dit que le Gondo a lancé une enquête, et cetera et cetera… Donc, je pars en guerre tout seul ou presque… je vais devoir aller à Paris, certes, mais rien ne dit que je ne devrai pas retourner au Gondo, il y avait certainement des complices sur place. Enfin, voilà…
-          Oui, oui, répond Léon, ce qui veut dire que tu te lances dans une chasse à l’homme, enfin un ou plusieurs. Quand tu les auras retrouvés, tu fais quoi ?
-          Je sais, ce qui est con c’est que je sais pas, bien sûr. C’est pourquoi mon plan c’est d’abord retrouver le cerveau de l’affaire. Enfin, cerveau, si je peux dire !
-          Tu le retrouves et tu fais quoi ? insiste Léon.
-          Le mec, je le crève…
-          Tu commences à me faire peur, Fortunio, tu vas pas le crever à mains nues, tout de même. Et t’es pas le genre de mec à flinguer un homme, tout de même !
-          Je n’étais pas…, réponds-je doucement, le regard dans le vague.
Esther, au volant, vient de me jeter un œil dubitatif, interrogateur. Je lui souris, hypocritement. En fait, je sais bien sûr pas ce que je vais faire mais je comprends que la collaboration avec Léon et Esther n’ira pas plus loin. Je ne peux pas les mouiller plus que ça dans cette histoire, et je ne le veux pas, surtout. Je me tourne vers Léon, à l’arrière de la Laguna :
-          Tu as raison, je ne sais pas ce que je vais faire. Je vais revoir mon copain flic, Livron. Lui pourra me conseiller…

-          Il te conseillera surtout de ne pas faire de conneries. Ces mecs, c’est pas le genre à aller voir les mains dans les poches. Si tu veux vraiment les coincer, le mieux c’est de rassembler un max d’éléments sur eux et de les refiler aux flics. Tu peux me croire, c’est moi qui te le dis et moi, je suis pas du genre à aller chercher la volaille…
(à suivre...)

dimanche 1 novembre 2015

Chronique du temps exigu (162)

Ce dimanche, vous avez droit à une chronique spéciale due à une panne d’informatique qui a obligé la radio à rediffuser la chronique de la semaine précédente. Cette chronique est donc entièrement faite à la main, à la maison et moulée à la louche. Les défaillances informatiques font, certes, partie de notre vie actuelle mais il faut bien comprendre que ni une panne d’ordinateur ni une absence totale d’électricité ne peuvent empêcher la sottise humaine de continuer à fonctionner, même dans le noir les sots restent stupides et la limitation des moyens de communication n’empêche pas leurs inepties de se répandre comme une tache de mazout sur les flots. Toutefois, comme le dit Oscar Wilde : « Il ne faut pas se fier aux apparences, beaucoup de gens n’ont pas l’air aussi bêtes qu’ils le sont réellement. » Restons prudents !
Comme le propos n’est pas d’ouvrir une tribune à ces olibrius (au pluriel olibrii), pensons plutôt à ce qui se passe dans les bois, aux cèpes trapus qui somnolent sous les arbres, aux lumineuses girolles qui éclairent les sentes et aux gracieuses chanterelles d’automne qui se cachent dans la mousse sous les fougères. Le soleil de novembre fait resplendir les rouges et les ocres des feuilles qui s’accrochent encore aux arbres avant de tomber doucement au sol d’où s’élèveront des senteurs forestières fortes et prenantes. Voilà un remarquable spectacle qui n’a nul besoin ni de microprocesseurs ni d’électricité et encore moins de l’intervention des hommes. La nature ne tombe pas en panne et n’est point sotte, il faut espérer que les humains sauront la laisser vivre.

On voit par-là qu’il ne faut pas laisser la sottise polluer la nature. Comme le dit Anatole France : « C’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore ».