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jeudi 26 février 2015

Le cabot de Fortunio (34)

-          Cette fois, sa main monte de mon coude à mon épaule sur laquelle elle prend appui. Elle m’affirme qu’elle est sûre que j’adoore ce que fait Martine. Je réfléchis profondément à ce que je pourrais, pardon je devrais répondre quand je suis sauvé par Eve qui vient bien à propos me couper l’herbe sous le pied.
-          Estelle ! Je vous défends de monopoliser mon plombier, il a le droit comme tout un chacun de ne pas dire ce qu’il pense sincèrement de la peinture.
-          Vous êtes vraiment plombier ? Me demande goulûment la dénommée Estelle.
-          Non, pas tout à fait, c’est un peu comme la peinture, je m’intéresse à la plomberie en amateur…
-          Vous êtes décidément trop, répond-elle en laissant glisser sa main jusqu’à me serrer le biceps, puis elle glisse son bras sous le mien et m’entraîne vers le bar où elle me propose de reprendre une flûte. Nous trinquons et elle me tire vers la petite salle.
-          Je ne comprends pas pourquoi Dutritel tenait absolument à exposer ces nullités, dit-elle, ce sont vraiment des péchés de jeunesse. Bien sûr, il tient à vendre car c’est lui qui a financé cette exposition mais cela dessert totalement le reste qui est vraiment très intéressant. Vous n’êtes pas d’accord avec moi ?
Elle me tient toujours le bras mais pivote devant moi et, en face à face, elle me tend ses lèvres quand un groupe bruyant fait irruption dans la salle. Dépitée, elle me colle un baiser appuyé sur la joue.
-          Allons, dit-elle à Dutritel qui s’est approché, on ne peut plus se concentrer sur la peinture dans tout ce chahut, il faudra que je revienne un autre jour.
-          Ma chère Estelle, dit Dutritel en me jetant un coup d’œil de travers, ne vous attardez pas dans cette salle, vous savez bien que ces peintures sont ici, comment dirais-je… pour mémoire. Mais l’essentiel est dans les grandes salles et j’aurais peut-être dû ne faire voir ces varia  qu’après la date du vernissage.
-          Mais non, mais non, ces tableaux permettent de mieux saisir la maturation de l’artiste. C’est bien ce que nous disions avec monsieur au moment où vous êtes arrivé…
-          Certes, certes, chère amie, mais tout de même ! Allons, venez avec moi et vous allez me dire tout le bien – ou le mal – que vous pensez de la peinture de Martine Grebier, surtout de ses dernières oeuvres.
Il lui prend le bras gauche et elle se voit contrainte de lâcher le mien. Comme je suis de retour dans cette petite salle, je reviens vers le tableau qui m’avait plu. Je dois avoir une tronche qui revient au barbu chevelu, il m’interpelle à nouveau. Je tente d’éluder. Maintenant, il y a vraiment foule dans cette salle et je me rends compte que les deux autres sont tout aussi pleines. Je suppose que tout ce monde ne vient pas pour acheter mais c’est quand même un franc succès. Mon interlocuteur finit par se noyer dans la foule et, pendant que je tente de me mouvoir vers la sortie, je tombe nez à nez avec mon Robico. Ce gonze doit aimer les claques, pensé-je en me détournant, ce qui a pour effet de me pousser quasiment dans les bras d’Eve QdC.
-          Vous cherchez quelqu’un ? Lui demandé-je.
-          Je sais, je l’ai vu, l’autre pépère mais je ne vais pas faire un scandale public. Et puis, tout compte fait, je m’en fous… Par contre, il y en a une qui t’aurait volontiers agrippé, non ? Qu’en penses-tu ? En tout cas, elle t’a peinturluré la joue, montre-moi cela…

-          Vous savez ce qu’on dit en patois quand une belle gonzesse s’appelle Estelle ?
(à suivre...)

dimanche 22 février 2015

Chronique du temps exigu (144)

« Les bons comptes font les bons amis ». Ainsi parlait Sara Toussetra en me rendant mes quatre-vingts cents de monnaie sur l’achat de mon journal. Les dictons de la sagesse des nations sont le bréviaire de notre buraliste et ses pensées sont toujours pour moi une source inépuisable de réflexion.
Si les bons comptes font les bons amis, les mauvais comptes font-ils les bons ou les mauvais ennemis ? Ou les mauvais comptes font-ils plutôt les mauvais amis. Et un mauvais ami n’est pas loin d’être un bon ennemi. Mais que pourrait être un bon ennemi ? Rappelons tout de même la phrase de Henri IV : « Protégez-moi de mes amis, Seigneur, de mes ennemis je m’en charge ». Le Néracais sentait bien que l’on est sans défense face à ses amis et que l’affrontement est plus franc avec l’ennemi.
Mais « A bon chat, bon rat », répondrait aussitôt mon cher Tellia, aphoriste sans vergogne et homme de bon sens, à savoir le sien. Et en effet, on pourrait en inférer sans barguigner qu’à bon ennemi, bon ami et qu’à mauvais ami, mauvais ennemi. On est encore loin du compte car l’habit ne fait pas le moine rétorquerais-je aussitôt pour n’être point en reste et comme on fait son lit on se couche car paresse vaut bien une mie…
Où en étions-nous donc ? Je m’embrouille un peu dans ces proverbes mais ne fallait-il pas battre le fer tant qu’il était chaud ?

A l’impossible nul n’est tenu et on voit par-là que le proverbe s’est fait cher.

jeudi 19 février 2015

Le cabot de Fortunio (33)

C’est Martine Grebier qui claque une bise à QdC puis elle m’en fait une dans la foulée.
-          Alors, j’attends la suite, monsieur le pédégé des maisons de Fortunio, reprend-elle.
-          Oui, bon, je suis allé incognito dans la petite salle « Varia » et je voudrais revoir les petits tableaux. Il y en a deux qui me font penser à un Nicolas de Staël…
-          Mmmh, flatteur, coupe-t-elle.
-          Et un autre, comment dire ? Tout en noir, comme une eau-forte, on dirait une vignette de la bibliothèque rose, une fille qui s’encourt on ne sait où, très stylisée…
-          Ah, la fille qui n’avait plus de nom ! Vous connaissez l’histoire ?
-          Non, pas du tout. Je reconnais que je comprends mieux le figuratif, même s’il est seulement évocateur … mais ne perdez pas votre temps avec moi, je n’y connais rien.
-          Vous avez raison, je me dois à mes invités. Nous poursuivrons cette discussion plus tard. Eve, surveille-le et ne le laisse pas s’échapper. Je compte sur vous après le vernissage, on ira à quelques-uns finir la soirée au restau, soyez des nôtres…
-          C’est très gentil de votre part mais…
-          Pas de mais, les maisons de Fortunio, je te tiens à l’œil : n’entre pas ici qui veut mais n’en sort pas non plus qui veut, déclare Eve QdC.
-          Lasciate ogni speranza Voï ch’entrate, …
-          Exactement ! Tu dis n’y connaître rien en peinture mais tu connais la littérature italienne. Si tu veux, retourne dans la petite salle mais ne t’avise pas de filer à l’anglaise.
C’est marrant comme les choses vont, me dis-je en revenant dans la petite salle. Je suis encore attiré par le tableau à la jeune fille. Echevelée, le buste en avant, elle semble autant poursuivie que poursuivante, une sorte d’Ahasverus jeune fille. En effet, il y a un petit carton qui indique le titre du tableau : « La fille qui n’avait plus de nom ». J’ai vraiment une attirance pour ce tableau, enfin je dirais plutôt que ce tableau exerce une attraction sur moi. Néanmoins, je ne me laisse pas monopoliser par cela et je reviens vers les autres salles. Maintenant que les choses sont un peu plus calmes, j’arrive à un peu plus de réceptivité envers cette peinture mais tout de même. Un plateau passe et je chope quelques petits fours dans une main et une coupe de champ’ de l’autre. Un gugusse barbu et chevelu a l’air de parler tout seul quand il m’interpelle. Je ne comprends rien à ce qu’il me raconte, il est encore plus abscons que l’autre Dutritel mais il m’a pris comme interlocuteur et m’apprécie d’autant plus que, bouche pleine, je ne peux guère le contredire. Un autre gonzier s’introduit dans notre monologue et me prend à témoin de la controverse artistique qui est en train de naître entre eux. Je me contente de glisser de temps à autre : « Oh, vous pensez ? » ou quelque « C’est étonnant » pour relancer la conversation si toutefois cela était nécessaire. Une belle gonzesse, bizarrement habillée en hyper chic rouge et vert et étonnamment maquillée dans les mêmes tons vient se mêler à la conversation. Elle me saisit le coude gauche et me demande ce que je pense de cet ensemble. Comme sa question est extrêmement impérative, je sors une réponse tout ce qu’il y a de phatique :
-          C’est incroyable ! Le temps s’arrête !
-          Oui, oui, c’est cela même, répond-elle, Martine prend bien des libertés avec les phénomènes de tension. Vous êtes peintre vous aussi ? Je le parierais…
-          Nullement, je suis à peine un amateur…

-          Artiste en tout cas, vous avez le don de résumer les choses en si peu de mots…
(à suivre...)

dimanche 15 février 2015

Chronique du temps exigu (143)

Pour d’aucuns, c’est l’heure de l’angélus mais pour d’autres c’est l’heure de l’Angela : « Angela Domina nuntiavit hellenae… », le nouveau gouvernement Grec est à la croisée des chemins comme à la croisée des monnaies et il ne manque pas de voix à l’extérieur du territoire hellénique pour lui prodiguer de vertueux conseils.
Mais qu’est-ce donc que la vertu en matière économique et financière ? En effet, on entend prôner l’austérité à tout bout de fauteuil par un tas de gros-pleins-de-fric qui se sont déjà bien servis eux-mêmes. Et cette austérité, ils comptent bien l’imposer aux moins riches qui sont les plus faciles à presser comme des citrons. Essayer toujours de pressurer un riche, il vous glissera entre les doigts comme un savon sous la douche, il vaut mieux ne pas se pencher pour le récupérer… Madame la directrice du FMI (cela veut dire : Fout la Misère Internationale), qui avant d’être directrice n’était déjà pas à plaindre, touche bien sûr des émoluments non négligeables sur lesquels elle est évidemment exonérée de tout impôt : rapacité bien ordonnée commence par soi-même. Ensuite, tous les dirigeants de la Commission Européenne se goinfrent aussi au râtelier de l’austérité bien comprise. Sans oublier la Banque Centrale Européenne…
C’est donc une troïka de goulus possédants qui veut imposer l’austérité et pas à n’importe qui mais à ceux qui ont le moins. Et de citer pour exemple l’Allemagne qui serait le parangon de toutes les vertus économiques. Ah cette Allemagne dont je citais la rigueur dans ma 21ème chronique ! Rigueur au sens d’un hiver rigoureux, bien sûr. Ah cette Allemagne qui au cours du XXème siècle a plusieurs fois, elle-même, été en cessation de paiement et dont l’endettement a favorisé l’arrivée au pouvoir de qui nous savons… Ah l’Allemagne qui oublie si bien la dette contractée il y a plus de soixante-dix ans auprès de la Grèce… un emprunt forcé, dont le remboursement se fait toujours attendre, les Grecs pouvaient bien aller se faire voir chez eux !

Braves Hellènes, n’hésitez donc pas, montez sur vos Psyllotoxotes et néphélomyrmèques. Allez récupérer vos drachmes auprès de ceux qui vous les doivent. On verra par-là si les emprunts allemands valent mieux que les emprunts russes.

jeudi 12 février 2015

Le cabot de Fortunio (32)

Je reprends l’écoute du chauve dont la calvitie brille comme une boule lumineuse :
-          Martine Grebier, une œuvre originale, sincère, majestueuse et sans concession. Esquisses et lignes, un titre en pleine adéquation avec son Art. Dans ses grandes compositions, elle résout absolument l’opposition horizontal – vertical par l’introduction de surfaces inclinées, de surfaces dissonantes et à la structure statique architectonique. Ici, l’équilibre de la surface plane ne joue qu’un rôle de moindre importance…
-          C’est que de la citation, me souffle encore QdC.
-          … forme une partie de l’espace périmétrique et la construction doit être considérée plutôt comme un phénomène de tension que comme un phénomène de rapport de surfaces…
Me voilà bientôt dans le cirage et je m’éclipse discrètement vers une salle où je suis tout autant écrasé par ces phénomènes de tension périmétrique. Je me glisse illico vers une salle plus petite, nommée Varia, où je découvre une peinture plus accessible à ma compréhension, même si le modernisme y est toujours de mise. Un ou deux petits tableaux saisissants qui me rappellent un tableau de Nicolas de Staël puis tout au fond, une seule œuvre presque figurative qui attire mon attention, une jeune fille stylisée, qui semble fuir qui sait quoi… je me promets de revenir m’y intéresser et je rejoins le groupe médusé devant lequel Boule-de-billard vient de placer sa péroraison en proposant à la cantonade de s’emparer d’une coupe de liquide à bulles en vue de trinquer. Des plateaux circulent et QdC se penche sur moi.
-          Maintenant, dites-moi : c’est vous le plombier-mystère qui a mangé ma part de tartiflette l’autre jour ?
-          Ah ! Si vous le dites, cela ne peut qu’être vrai. Donc, si je me suis permis de vous ôter la tartiflette de la bouche, alors pardonnez-moi si je m’excuse.
-          Vous êtes tout pardonné, j’étais invitée et c’est moi qui ai fait faux bond…
-           La tartiflette état excellente et que dire du Chignin-Bergeron… !
-          C’est bon, n’aggravez pas votre cas quand même. Vous êtes éleveur canin ?
-          Pas vraiment mais en quelque sorte, éludé-je.
-          Bien, on verra cela plus tard. Trinquons tant qu’il en est encore temps et dépêchons-nous d’attraper des petits fours. La littérature dutritélienne, ça creuse, surtout après une après-midi d’entraînement.
-          Vous vous entraînez à quoi ?
-          Devinez…
-          A la calotte coinchée ? Je vous ai vue à l’entraînement…
-          Meuh non, sot ! Je suis basketteuse.
-          Vous avez le gabarit, je suppose…
-          Trêve de mondanités. Vous vous êtes éclipsé tout à l’heure, comment trouvez-vous cette expo ?
-          A franchement parler, je n’y connais rien, d’une part, et je suis plutôt un béotien dans la partie. Ces grands tableaux me foutent le frisson. Par contre…

-          Par contre ? Fait une voix derrière moi.
(à suivre...)

dimanche 8 février 2015

Chronique du temps exigu (142)


Comme vous aurez été nombreux à l’avoir remarqué, je me suis par deux fois amusé à pasticher les bons auteurs dans ces chroniques. Il s’agit de la chronique 124 du 28 septembre 201 et de la chronique 141 du 1er février de cette année. Ces deux chroniques pasticheuses sont extraites d’un livre en construction qui s’appelle déjà « Contes de la sottise ordinaire ». Bien sûr, vous avez immédiatement reconnu les auteurs pastichés ainsi que trouvé le nom de l’œuvre, pastichée chaque fois dans sa première page. Bien sûr, ce ne sont pas ces œuvres qui font partie de la sottise ordinaire non plus que leurs auteurs que je remercie pour leur involontaire participation. Cette sottise se trouve à tous les coins de rue et mon propos sera de rappeler que c’est pas parce qu’on a mis le pied dedans qu’il faut y mettre les mains.
Donc, si quelqu’un d’entre les lectrices et lecteurs de ces chronique a reconnu les œuvres en question et en a débusqué les auteurs, qu’il ou elle le fasse savoir car un cadeau surprise sera réservé à la  première personne qui aura parlé, bien sûr.
Une fois étant devenue coutume, je vais faire de la promotion pour mon dernier livre paru : « Le Temps de l’éternité ». Il s’agit d’un recueil de deux nouvelles dont la seconde « Une si jolie chapelle » était déjà parue à part. Ce livre est en vente chez TheBook Editions pour la coquette somme de 11 Euros, port en sus. Je vous offre ici même le contenu de la quatrième de couverture :
Château à vendre ! Une petite visite, ça ne coûte rien et ça n’engage à rien. Enfin, il faut parfois une bonne dose d’inconscience pour remuer la poussière du passé, on peut s’y brûler les yeux.
Pijm van Zwartkluut est un petit profiteur qui prend plaisir à visiter des demeures et à se donner le frisson d’être châtelain d’un jour. Il visite La Furetière, un vaste domaine dont il connaîtra l’histoire à ses dépens et il apprendra qu’il n’y a ni devoir de mémoire ni devoir de prévoir et que ceux qui se vouent à ces devoirs acceptent de mourir sans avoir connu la vie.
Tant que le monde était monde, La Furetière a existé dans un temps où la vérité et la légende étaient si proches que l’on ne peut plus faire le départ entre elles. Parfois la légende permet de comprendre ce que la vérité peine à expliquer car il n’y a de vérité que dans l’instant présent et dans une seule personne. C’est donc le drac qui racontera à Pijm l’histoire de La Furetière, du Vème au XXème siècle. Mais le drac, on ne le rencontre pas comme cela…

On voit par-là que l’éternité, c’est assez long au début, surtout que ça n’en finit pas de commencer.

jeudi 5 février 2015

Le cabot de Fortunio (31)

-          Au revoir, monsieur Robico, déclare Queue de Cheval, bon vent et que je ne vous revoie pas !
-          What’s up, doc ? ajouté-je en m’approchant et avec à-propos.
Le gars me regarde, incrédule, l’air de se demander si on se connait. Il hausse les épaules et quitte les lieux en grommelant.
-          Vous le connaissez ou vous dites cela comme ça ? me demande la dame de sa hauteur.
-          Disons que c’est un nom qui me dit quelque chose mais il fallait bien placer un mot pour détendre l’atmosphère et aussi pour montrer que je suis polyglotte. Et vous, vous êtes videur dans cette boîte de nuit ?
-          Disons que je trie un peu à l’entrée, mais ça pourrait être un métier pour moi, j’y penserai. Disons plus simplement que ce monsieur a commis l’erreur d’arriver au mauvais moment… sans commentaire. Bien, vous venez pour l’expo ? Si c’est le cas, dépêchons-nous, nous allons rater le clou de l’exposition, la minute nécessaire de monsieur Dutritel, l’organisateur et le mécène de cet évènement !
-          Vous m’en direz tant ! Il va faire un discours ?
-          Un discours ? Dit-elle en m’entraînant par le coude. Un exposé, une allocution, une conférence… mais c’est un sacré monsieur !
Nous arrivons dans une salle d’exposition, classiquement garnie de tableaux. Je suis un peu surpris de voir des peintures d’une abstraction au-delà de mon entendement. Même une tartiflette écrasée sur le mur aurait pu me donner à penser mais cet ensemble de lignes et de barres me rebuterait plutôt. Au centre d’un groupe admiratif, un grand chauve gesticule, le monsieur Dutritel, je suppose.
-          Mesdames, Messieurs, chères amies et amis, c’est un plaisir autant qu’un honneur
-          pour moi d’inaugurer l’exposition de peintures de Martine Grebier et d’en faire l’introduction liminaire. J’essayerai d’être le passeur qui vous mènera sur les rives de l’art de cette grande artiste qui a choisi cette cité si pittoresque pour présenter le meilleur de son œuvre. Mais tout d’abord, permettez-moi de vous parler de cet Espace Peinture rénové dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Cet espace a été totalement configuré - et transfiguré oserais-je dire – pour accueillir des œuvres picturales selon un concept différent et autonome qui a pour but une vision totalement moderne de l’Art. Pour nous, fondamentalement, l’espace architectural ainsi créé ne doit rien représenter d’autre que le vide inexpressif et inarticulé, ceci tant que la couleur ne l’a transformé. Cela relève de la vision architectonique suivante : mettre l’homme dans la peinture plutôt que devant…
Je commence à décrocher un peu sinon totalement, l’assistance semble captivée et j’en profite pour me déplacer un peu vers ma droite pour zyeuter les œuvres précitées. Je ne peux dire que je reste de marbre, certaines toiles ont une dimension importante, dans les trois mètres sur deux, mais cela ne me parle absolument pas. Je me sens un peu beaucoup écrasé par tous ces tableaux et je comprends qu’en effet, je me trouve jeté dans cette peinture. L’expo est bien nommée : esquisses et lignes, il y a des lignes dans tous les sens, des barres, des rectangles et des carrés. Un peu perdu, je reviens à ma place précédente, à côté de Queue-de-Cheval qui me souffle à l’oreille :

-          Il y en a pour cinq minutes d’intro et cinq de plus pour la conclusion, mais ça paraît long. Il n’a rien inventé de ce qu’il dit, tout est pompé chez les autres, phrase par phrase…
(à suivre...)

dimanche 1 février 2015

Chronique du temps exigu (141)

Il est des lieux où les âmes sont tombées en somnolence, des lieux oubliés des dieux, désertés par la pensée, la créativité et l’amour, lieux qui auraient pu être élus pour rayonner mais où ne souffle plus qu’une bise rude et sans grâce. Simples endroits sans mystère, d’où est bannie toute émotion, ils ne sont que mornes étendues dont les rivières ne sont plus qu’égouts et où les montagnes sont à genoux, où l’herbe n’est plus sauvage et où les fleurs sont domestiques. Seuls, les êtres humains qui y persistent paraissent encore en vie, ils s’agitent, piaillent et avalent des nourritures molles mais leurs âmes sont en léthargie, liées par de chétives entraves qu’ils ne peuvent ou ne veulent briser et la seule présence de ces êtres que l’on peine à qualifier d’humains a transformé le paysage et les éléments en un environnement d’une mélancolie poisseuse d’où plus rien ne peut s’envoler et où le soleil ne luit plus que d’une lumière sombre.
Tout l’être est profondément saisi aux tripes d’angoisse et de mélancolie. C’est la tristesse qui nous envahit et altère notre esprit en annihilant toute velléité de réagir.
D’où vient que ces lieux baignent dans cette torpeur ? Est-ce une atmosphère gazeuse qui intoxiquerait les poumons, sont-ce les eaux turbides de fleuves et rivières dont les vapeurs brumeuses envelopperaient les êtres et les choses ? Sont-ce des ondes nocives et insidieuses traversant les cellules et les cerveaux ? C’est encore plus incompréhensible car ces lieux ne sont nullement voués de toute éternité à cette angoisse délétère et il suffirait de peu pour que change leur destin, pour que s’établisse un nouvel équilibre, pour que la joie vienne et demeure…
Mais alors, mais alors, Dimitri ? Silence ! Si les dieux sont partis, si les âmes sont en déshérence, si la bise mord les visages, si le mystère a déserté ces lieux, que s’est-il donc passé ? Quel est donc le flot qui, insidieusement, a noyé de ses effluves et effluents des contrées entières et les a ainsi rendues impropres à la pensée, à la créativité et à l’amour ? Il semble que des êtres soient chargés d’une mission spéciale, obscure et ténébreuse, avec pour seul impératif de répandre la sottise en des territoires voués par leur seule présence à l’affliction, à la douleur et à une vague nostalgie de ce qui aurait été. Et ils remplissent avec ténacité, obstination et efficacité leur douteuses obligations car là où ils s’installent ne subsiste que leur immarcescible stupidité : les terres s’en trouvent transformées, les airs en deviennent pollués et la lumière même en devient obscurcie. Ces êtres s’accrochent, sûrs d’eux-mêmes, et ils s’adoubent entre eux, stultitia stultitiam prolificat…

Il y a des lieux où les âmes sont tombées en somnolence.