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dimanche 28 juin 2015

Chronique du temps exigu (6b)

Il n’est pas toujours facile de chroniquer avec le présent alors que le passé est riche et fertile.
Revenons donc quatre ans en arrière et penchons-nous sur un morceau de passé récent.
Rappelons que les évènements survenus il y a quatre ans en Tunisie avaient donné à notre Ministre des Affaires Étrangères de l’époque la possibilité de démontrer magistralement que l’insécurité n’existe pas en France.
En effet, elle avait fait état du savoir-faire mondialement connu des services français en matière de maintien de l’ordre, ce qui tendrait tout de même à prouver que non seulement tous les problèmes de maintien de l’ordre étaient contenus dans notre pays mais encore que nous avions un excédent de capacité qui nous permettait de nous démunir d’une partie de nos moyens en faveur de pays étrangers.
Hélas, les dirigeants tunisiens ne répondirent pas à cette offre alléchante. Madame la ministre aurait aussi pu leur proposer le savoir-faire, reconnu par notre médecine officielle, d’un laboratoire français pour le traitement des diabétiques tunisiens. Notre gouvernement aurait pu envoyer du Meditor en Tunisie et notre ex- président aurait pu décorer de la légion d’horreur MM. Ben Oli et Serviette. A moins qu’il ne l’eût déjà fait.
Je n’ai bien sûr pas la prétention d’imaginer que vous n’y aviez pas déjà pensé, mais cela fait toujours plaisir de voir que l’on n’est pas seul à envisager de belles et grandes choses.

On voit par-là que l’ingratitude des peuples est grande. Cette dame a perdu son poste de ministre puis son siège de députée. Ne dit-on pas de l’horreur qu’elle est humaine ?

jeudi 25 juin 2015

Le cabot de Fortunio (51)

Nous lui donnons nos appareils et, une fois assis, il nous sert des jus de fruits excellents, l’armée fait bien les choses ici. Puis, il nous expose comment nous devrons faire. Le rendez-vous a été donné dans un lieu particulièrement choisi. Le colonel Donno sera le seul à avoir un contact par téléphone avec François puis avec les ravisseurs. Notre groupe devra rester à quelques mille-cinq-cents mètres de la position des kidnappeurs. Je devrai, seul et non armé, m’approcher à mi-chemin et déposer le fric. Un des bandits viendra à ma rencontre accompagné par Eliane. Nous serons à cent mètres l’un de l’autre. Je verrai donc Eliane. Le gars récupérera l’argent et ensuite, il repartira et nous devrons encore attendre qu’il donne le signal pour qu’Eliane puisse me rejoindre et que nous revenions, elle et moi, vers la troupe. Il faut que je me mette tout cela bien en tête car une fausse manœuvre peut faire capoter l’opération, insiste Paréguy. S’il y a quoique ce soit ensuite, c’est lui, et lui seul, qui me criera les ordres.
Notre repas arrive et nous mangeons. Paréguy est un convive agréable et qui a de la conversation. Nous apprenons qu’en fait le capitaine Paréguy n’existe pas et que nous n’entendrons plus parler de lui après cette opération. Il sera donc inutile de prononcer son nom de retour en France. La seule info qu’il nous lâche, c’est qu’il a au moins deux nationalités, française et gondolaise. Mais nous ne saurons ni s’il est militaire, ni s’il est agent de quelque service ou encore mercenaire. Gheusy se réveille un peu de sa torpeur et l’ambiance est au beau fixe quand arrive le colonel Donno.
-          Je vois que vous êtes restaurés, messieurs, je viens voir si tout va bien et si le capitaine Paréguy vous a bien décrit le mode opératoire. Capitaine, je pense que monsieur Forelle est un homme qui a la répartie facile et l’esprit alerte. Souhaitons qu’il soit en possession de tous ses moyens en face des ravisseurs. Cela dit, je voulais vous faire une surprise, messieurs, et je vous ai déniché une bouteille de vin mousseux d’Afrique du sud. Je ne sais pas ce qu’il vaut mais au moins il est frais. Trinquons à la réussite de notre opération de sauvetage, dit le colonel en débouchant la bouteille.
Après avoir vidé à quatre la bouteille, Paréguy nous fait monter dans les chambres. Le mobilier est succinct, réduit à un lit et un meuble lavabo avec une cuvette et un broc. Nous nous couchons et je m’endors aussitôt, comme si j’étais un touriste en balade.
Le lendemain très tôt, c’est Paréguy qui me fait sortir du lit. Nous avons droit à un peu de pain avec un fromage un peu étrange et une grande tasse d’un café bizarre, du jus de babouche sans doute. Nous montons dans une Jeep. Le soleil n’est pas encore levé et il flotte comme une impression de fraicheur.

Cette impression se dissipe très vite avec le lever du jour et la chaleur devient infernale sous les capotes des véhicules militaires. Derrière une autre Jeep, nous prenons toute la poussière soulevée par les roues. Nous roulons ainsi pendant quatre heures dans un paysage brûlant et désertique. Paréguy, dans le véhicule de tête, fait arrêter le convoi et donne l’ordre de rester sur place. Il part en direction d’une dune. Le chauffeur me dit que nous sommes à moins de deux kilomètres de la frontière, donc nous sommes quasiment arrivés sur le lieu de rendez-vous. Une demi-heure se passe puis la Jeep de  Paréguy revient à toute allure, tourne devant nous alors qu’il fait signe au convoi de  suivre. Nous redémarrons, les véhicules grimpent et s’arrêtent peu avant le sommet de la dune. Nous descendons. Paréguy nous fait mettre en rang par deux. Deux soldats nous précèdent. Nous arrivons sur ce qui semblait être le sommet de la dune qui s’étend comme un long plateau en pente sur un peu moins de deux kilomètres de large. L’autre côté est donc plus haut que celui sur lequel nous nous trouvons. La chaleur fait vibrer l’atmosphère et j’ai du mal à discerner en face deux véhicules, style Jeep, sur le point haut de la dune. Nous sommes sur place et mon cœur se met à battre violemment ; je sais que je vais devoir entrer en scène. Paréguy fait le briefing :
(à suivre...)

dimanche 21 juin 2015

Chronique du temps exigu (5b)

J’aurais voulu, dès lundi, parler de l’air qui me semblait plus pur depuis la veille au soir mais on m’a conseillé de n’en rien faire. Parler de l’air pur pousse à lever le nez vers le ciel, et les yeux aussi. Alors qu’il vaudrait mieux porter les yeux là où l’on marche car l’on risque encore de mettre le pied dedans. Nous nous poserons plutôt des questions sur les intervalles.
A l’école, quand la maîtresse disait : « Ernest a fait une clôture avec dix piquets distants de trois mètres. Quelle est la longueur de la clôture ? », même s’il y avait toujours un bon élève pour donner la bonne réponse après un temps de réflexion, un grand nombre d’entre nous se précipitait pour répondre : « trente mètres, m’dame ». Et nous ignorions qu’au-delà de notre erreur la maîtresse nous posait une question térébrante. Analogue au paradoxe d’Achille et de la tortue.
En effet, deux piquets et un seul intervalle… trois piquets et deux intervalles (et non pas des interveaux sauf dans le cas où l’on décrit les espaces séparant de très jeunes bovins), quatre piquets et trois intervalles et ainsi de suite jusqu’à nous prouver que la clôture d’Ernest mesure vingt-sept mètres… Mais on constate que si dans le cas des deux piquets, les piquets sont deux fois plus nombreux que l’intervalle, ce rapport va décroissant alors que croît le nombre de piquets. Où va-t-on ainsi ? Le nombre d’intervalles croissant avec le nombre de piquets, se trouvera-t-il un jour où les intervalles auront rattrapé les piquets ? Admettons qu’un piquet trébuche et il se trouvera – qui sait ?- un jour où les intervalles dépasseront les piquets. En nombre, comme il se doit. Jusqu’à ce jour, les piquets ont tenu bon mais un accident est si vite arrivé.
De nos jours, la sécurité n’a jamais été aussi grande et il y a peu de chances pour qu’un tel accident survienne. Mais le calendrier maya, garant d’une certaine insécurité, aurait prévu la fin du monde au cas où les intervalles en auraient marre de leur statut d’éternels seconds et dépasseraient en nombre celui des piquets.

On voit par là que plus la fin du monde approche, moins elle s’éloigne et que l’intervalle de temps qui nous en sépare devient de moins en moins grand au fur et à mesure qu’il s’amenuise.

jeudi 18 juin 2015

Le cabot de Fortunio (50)

Deux grosses berlines noires arrivent ensuite, Klim me restitue l’attaché-case et monte dans la seconde qui démarre aussi sec. Le colonel nous fait monter dans l’autre, Gheusy et moi derrière et lui devant, à côté du chauffeur qui met en route, une Jeep nous précède et le reste du convoi suit derrière nous. Le colonel Donno se tourne vers nous :
-          Messieurs, nous allons vous conduire dans un endroit où nous tenterons de garantir au mieux votre sécurité. Mais ces canailles ont astucieusement choisi le point de rendez-vous, si je puis dire. Il s’agit d’une zone frontalière et ils auront vite fait de passer dans un autre pays, ce qui veut dire que nous n’avons aucune chance de les coincer car nous ne pouvons en aucun cas sortir de nos frontières. De plus, notre mission consiste à vous escorter et à vous protéger, rien de plus, sachez le bien. Nous n’interviendrons pas au moment de l’échange, tout au plus nous tiendrons-nous à l’arrière. Ils nous verront car il faut qu’ils sachent que nous garantissons votre sécurité mais c‘est tout. Avez-vous des questions ?
-          Avez-vous une idée de l’identité des kidnappeurs ? demandé-je hardiment.
-          Monsieur, il y a un proverbe, chez nous, qui dit : « Quand tu entends crier le chacal, tu sais que c’est un chacal mais tu ne sais pas qui il est » !
-          D’accord, chez nous on dit : « Quand tu as mangé un plat de fayots, tu sais pas lequel c’est qui te fait péter ». Je suppose que c’est la même chose…
Le colonel sourit poliment et soupire. Il ajoute :
-          Monsieur, je vois que vous ne manquez pas d’humour. Gardez-en un peu pour quand vous serez en face d’eux, cela pourrait servir… Ce soir, nous logerons à Gundaria dans une caserne. Demain matin, nous laisserons cette voiture et nous devrons continuer en Jeep et en camion. Cela sera nettement moins confortable mais nous prendrons la piste. A partir de demain, vous serez avec le capitaine Paréguy car c’est lui qui vous conseillera et, si nécessaire, dirigera les opérations. Toujours sous mon contrôle, bien sûr, mais il sera votre seul interlocuteur même en ma présence. Plus de question ?
Je fais signe que non et il se détourne pour regarder la route. Je me demande bien ce que je suis venu faire dans cette galère. Gheusy semble s’être assoupi. Je rumine en silence. Vers vingt heures, nous arrivons enfin à la caserne de Gundaria. Notre cortège file tout au bout de la caserne vers des bâtiments qui paraissent désaffectés. Notre berline s’arrête devant une porte, le colonel nous invite à pénétrer dans ce qui ressemble à une villa qui fait un peu insolite dans le décor. La fraîcheur des lieux tranche agréablement avec la chaleur du dehors. Paréguy nous rejoint et nous fait entrer dans une salle de séjour où un soldat vient nous porter des boissons froides.

-          Je suppose que vous apprécierez cette délicate attention de l’armée gondolaise. Mais il n’y a pas d’alcools, désolé messieurs. Nous logerons dans cette maison qui était le logement du commandant de la garnison à l’époque coloniale. Buvons un coup, le repas ne va pas tarder. Nous ferons une petite mise au point pendant le repas et le colonel nous rejoindra à la fin. Je vais vous demander de me remettre vos téléphones portables, je les garderai jusqu’à votre retour à Wassabé. Eteignez-les avant de me les donner. Merci et prenez place.
(à suivre...)

dimanche 14 juin 2015

Chronique du temps exigu (4b)

S’il est une heure fragile et délicieuse, par tous temps, elle est au petit matin. Le soleil plisse encore les yeux et la rosée s’épanouit. A cette heure où blanchissait la campagne, je me trouvais à arpenter d’un pas distrait la pelouse d’un terrain de foot. Au point de penalty, dans l’éclat de la rosée, se dressait, frêle et mamelonné, un petit champignon dénommé marasme d’oréade. Je me mis à rêver. Hier soir encore, les stades grondaient de la fureur des hommes, de sifflets stridents et de trompettes patriotiques. Car le sport est national, comme l’embarras est gastrique, par un attachement viscéral.
Au coup de sifflet final, les virils mollets rentrèrent au vestiaire, lentement la foule quitta les stades, les postes de télévision s’éteignirent et les sportifs en pantoufles vidèrent leur vessie avant de finir d’éructer quelques boissons fermentées au creux de leur lit. C’est alors qu’une douce oréade, nymphe des bois et des montagnes, partit effleurer le doux gazon abandonné et posa là son marasme de déesse délaissée.
Au petit matin, je suis là et contemple la tristesse qui l’accabla dans la nuit. O sylphe, fils du matin qui se lève, console cette douleur érigée. Et vous, farfadets, lutins, dracs et elfes, amusez-vous sans compter, dansez et jouez pour lui redonner sa joie de vivre. 

jeudi 11 juin 2015

Le cabot de Fortunio (49)

III. …la caravane passe.

Dans l’avion pour Wassabé, je suis côté fenêtre, ou hublot si vous préférez. Gheusy, lui, a insisté pour que je me mette là, j’ai pas tout de suite compris pourquoi mais maintenant c’est évident. Déjà en arrivant dans le zinc, il m’a semblé le voir mettre la main au panier à l’hôtesse. Maintenant qu’on est installé, on survole la Méditerranée, il n’arrête pas de lui demander un truc ou l’autre. Tant et si bien que notre ange gardien, le plus ou moins officiel, a fini par lui demander de se faire oublier.
Hier soir, je suis arrivé à Matabiau à neuf heures, du soir bien sûr. Avec un changement à Agen, il faut plus de deux heures. Bonnefoi voulait m’emmener au restau mais je n’avais pas le cœur à ça. On s’est envoyé deux jambons beurre cornichons chacun avec deux demis, pareil. Ensuite, on est allés à l’hôtel où Gheusy nous attendait avec un attaché-case plein de billets. J’ai ajouté, comme prévu, ma quote-part, il m’a fait un reçu symbolique, on a fermé et on a couché tous les trois dans la même chambre, François et Gheusy dans le lit conjugal et moi dans celui du troisième homme. François avait prévu un taxi pour le matin de bonne heure, le tacard nous a déposé à l’aéroport où en patientant on a eu droit à des croissants et du café. Klim est arrivé le dernier, trois pièces cravate, le style garde du corps discret. Klim, c’est le plus ou moins officiel annoncé. Et plutôt plus que moins puisqu’il est en fait attaché culturel à l’ambassade. Attaché peut-être, culturel mon cul, me dis-je in petto. Le genre de mec qui rigole chaque fois qu’il tombe un œil… Bon mais voilà, on en a bien besoin. Il a pris la valisette en charge, c’est lui qui s’en chargera jusqu’à ce que nous soyons entre les mains de nos escorteurs.
Gheusy s’est assoupi et je me régale à regarder la mer puis la terre vues d’avion. J’essaye de me décontracter, autant que possible, malgré la boule dans l’estomac. L’hôtesse nous demande d’attacher nos ceintures, je réveille Gheusy. Nous arrivons à Wassabé. Klim nous demande de rester assis à nos places, on viendra nous chercher. Nous patientons une bonne demi-heure au bout de laquelle un militaire blanc en treillis et casquette Bigeard vient nous chercher. Il se présente comme étant le capitaine Paréguy, conseiller militaire. Il nous briffe rapidement. C’est lui qui est chargé de nous escorter. Il va nous présenter au colonel Donno qui assurera avec quelques hommes notre protection et notre transport. Lui-même, Paréguy, n’a autorité ni sur le colonel ni sur ses hommes. Nous aurons à nous conformer à ses instructions. Les hommes parlent tous le français mais nous ne sommes pas censés leur parler. On peut leur faire confiance, ce sont tous des soldats d’élite. Et surtout pas de condescendance à leur égard, ils sont ici chez eux et nous sommes leurs obligés. Si notre attitude ne convient pas, nous nous ferons rappeler à l’ordre.

Une fois bien mis au courant, nous sommes invités à descendre de l’avion. Il fait une chaleur incroyable et le tarmac nous renvoie toutes les calories dans la tronche. Je mets mes lunettes solaires et nous descendons à terre. Trois Jeeps et deux camions militaires se garent devant nous, un gradé en descend et vient à notre rencontre. Salut militaire impeccable mais l’air avenant, il se présente, c’est bien lui le colonel. Cet africain parle un français impeccable, meilleur que ce que l’on entend couramment en France… avec un chic et une éducation au top niveau !
(à suivre...)

dimanche 7 juin 2015

Chronique du temps exigu (3b)

Il y a beaucoup d’étrangers de par le monde. Il y en a aussi chez nous. J’ai moi-même un peu voyagé et visité quelques pays peuplés d’étrangers. Ceux qui ont beaucoup voyagé relatent cet état de fait, quelquefois sans s’en douter.
Il y a des pays où l’on rencontre un grand nombre d’étrangers. Sans compter les autochtones. Certains cumulent même les deux qualités. Et il ne faut pas les confondre avec les indigènes, eux-mêmes différents des allogènes.
Nombre de ces étrangers sont pourvus de langues dites, à juste titre, étrangères. Mais il y a aussi des langues vernaculaires qui cessent de l’être aussitôt qu’elles sont pratiquées par des étrangers, principalement à l’étranger. Elles ne sont pas pour autant des langues mortes, ce privilège étant généralement réservé à quelques langues embaumées par la science ou par la religion.
Les étrangers, de même que les autochtones et les indigènes, sont, eux, bien vivants et c’est là le problème qui devrait nous préoccuper. En effet, par ces temps où notre démographie court au galop, il serait judicieux de réduire la place prise par les étrangers. Ce que suggère mon voisin taxidermiste, c’est de les naturaliser.
En effet, naturalisé par des méthodes rigoureuses, l’étranger peut être plus facilement empilé, classé et protégé contre les mites. On verra plus tard s’il y a lieu de naturaliser les nationaux.
Il ne restera plus que la question des langues étrangères qui n’auront pas eu la chance de mourir de mort naturelle. Elles deviendraient des langues mortes, faute de locuteurs. Car l’étranger, sauf cas de mutisme, est généralement aussi un locuteur. Un locuteur de langue vernaculaire quand il est chez lui à l’étranger et un locuteur de langue étrangère dans un certain nombre d’autres cas. Mais l’étranger naturalisé est dans la majeure partie des cas fort silencieux.

On voit par là qu’un étranger naturalisé peut devenir moins encombrant.

jeudi 4 juin 2015

Le cabot de Fortunio (48)

-          Ce fut dur mais on y est arrivé. Crois-moi, ces connards ont su jouer avec mes nerfs. Laisse-moi réfléchir, on en était où, la dernière fois ? Un million d’Euros, non ?
-          Ouais…
-          Du jour au lendemain, ces cons ont changé d’avis, ils remontaient la barre à deux bâtons. Là, j’avais les boules, j’ai carrément raccroché au nez du gars. Je savais bien qu’il y allait de la vie d’Eliane mais si j’avais cédé ils auraient continué à jouer avec mes pieds… et sans garantie aucune, bien sûr. Bon, tu comprends qu’ils ont rappelé mais là je n’étais pas seul, j’avais besoin de quelqu’un de la fondation avec moi. Mais j’ai été sec quand même, j’ai clairement dit que je ne discuterais plus au téléphone et que je voulais entendre ma frangine avant toute autre discussion. Donc, ils ont rappelé, j’ai effectivement eu Eliane au bout du fil. J’ai bien entendu qu’elle était à bout mais j’étais rassuré. Cela dit, je suis resté ferme sur mon exigence de ne pas poursuivre la discussion au téléphone. Le lendemain, un gonzier vient me voir au garage, un mec du genre libanais, le teint jaune, chapeau-mou, canne et manteau style poil de chameau. Il me demande une entrevue dans mon bureau et il me dit qu’il a été contacté par des gens inconnus de lui – il faut dire qu’il est avocat – qui l’ont mandaté pour négocier avec moi. J’ai pas trop aimé la manœuvre mais, baste, il faut bien en sortir, trouver une solution. L’avocat, une sorte d’anguille insaisissable, m’a traîné en bateau pendant plus d’une heure. Il m’aurait fait tourner en bourrique mais, d’un coup et avec le sourire, je lui ai déclaré qu’on n’arriverait pas à s’entendre et que l’entretien était terminé. Je lui ai même proposé de lui faire servir un café par ma secrétaire car j’avais à faire. Il a encore essayé de biaiser mais je l’ai planté là, dans mon bureau. Il a bu son cafiot, il ne savait plus trop quoi faire, il a passé un appel sur son portable puis il a demandé à ma secrétaire d’aller me chercher. Je suis revenu, pas tout de suite, manière… tu comprends. Là, il m’a déclaré qu’il avait pour mandat de passer accord à un million deux cent mille, pas moins. Que cette affaire ne lui plaisait pas, qu’il avait accepté pour des raisons purement humanitaires. Humanitaire mon cul, je lui ai répondu en le regardant droit dans les yeux, je lui ai dit : une brique deux, d’accord mais tu leur dis qu’ils arrêtent de jouer avec mes pieds, je veux du neuf et vite, à savoir la libération de ma frangine. Bon, le gonze se barre et deux heures après, le téléphone encore. Mes premiers interlocuteurs, un peu menaçants au début mais on a fini par mettre les choses au point : un rendez-vous sera fixé, là-bas en plein bled – en plein désert devrais-je dire – avec une valise pleine de fric. Donc, il faut de la fraîche et vite. Tu peux combien, tu avais dit quinze, non ? Enfin, je veux dire cent-cinquante ?
-          Je pourrais monter à deux-cents s’il…
-          Attends, avec cent ça ira. On a une aide, par l’intermédiaire de la Chancellerie mais ça faut pas le répéter, d’une fondation internationale. Je passe les détails mais si tu peux cent, ça le fera. Ensuite, est-ce que tu es prêt à y aller ?
-          S’il le faut, dis-je sans entrain.
-          Il le faut. Tu partiras avec un gars de mon conseil d’administration mais c’est plutôt le genre père tranquille, capable d’arrondir les angles avec les officiels, polyglotte et sachant glisser un billet en sous-main quand il faut. Mais c’est toi qui iras faire l’échange. Tu te sens prêt ?
-          Comme tu l’as dit : il le faut et j’irai. Je sais pas trop comment faire mais j’irai.
-          Merci, Fortunio, enfin…Albert…
-          Fortunio, ça ira bien.
-          Bon, c’est pas tout. Gheusy et toi, vous serez accompagnés par un gars plus ou moins officiel jusqu’au Gondo. Là-bas, vous aurez une escorte de l’armée Gondolaise avec un conseiller militaire français, il parait que c’est un peu le genre baroudeur. Ils seront simplement chargés de vous véhiculer et de vous protéger, ils n’interviendront que si vous êtes en danger. Bon, on en reparlera. Je vais te planter là, tu n’imagines pas ce que je vis en ce moment.
-          Si, si, j’imagine mon pote !
-          Oui, bien sûr. Bon, tu peux l’avoir quand, la fraîche ?
-          Au plus tard dans quarante-huit heures.
-          Parfait. Donc c’est cent, en billets usagés, billets de cent Euros maxi. Tu ne prends pas d’argent de poche, on te donnera ce qu’il faut. Si tu as un passeport, il vaut mieux que tu le prennes avec toi mais notre officiel te servira de sauf-conduit. Vos bagages ne devraient pas être contrôlés. Dans quarante-huit heures on est jeudi, voilà un billet Marmande-Toulouse, essaye d’arriver avant 19 heures, manière qu’on se fasse un restau. Je crois que tu prendras l’avion vendredi de bonne heure.
Il dépose le billet de train, va payer les cafés, me serre la pince et met les bouts. Je me lève pour commander un calva au bar. Je vois que je remonte illico dans l’estime des cavaliers de l’apocalypse hépatique, le patron et ses deux sbires. C’est toujours ça de gagné.

*
(à suivre...)