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dimanche 28 avril 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (33)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Vous commencez à me connaître et s’il est une chose que vous avez certainement remarquée, c’est la suivante : je ne donne jamais de conseil quel qu’il soit. Et c’est bien en cela que l’on perçoit l’originalité de mes chroniques alors que, à l’heure actuelle, tout le monde se mêle de vous dire ce qu’il faut faire, que ce soient la publicité, les banques, les assureurs, l’administration, les élus, j’en passe et des pires. Si on les écoutait tous, on en arriverait à faire tout et son contraire, le contraire du contraire, inversement réciproquement et patin couffin.
Une fois n’étant pas costume, je mettrai néanmoins une cravate de conseilleur pour vous susurrer une recommandation utile. En effet, je ne peux que vous exhorter à ne jamais vous plaindre ou à ne jamais suggérer que quelque chose ne tourne pas rond. C’est bien là la quintessence de mon expérience de laborieux : fais ton travail le mieux que tu peux, sans bruit et sans plainte car tu peux laisser cela aux autres. Je m’explique : au cours de mes activités salariées, j’ai toujours eu au-dessus de moi des chefs et plutôt des petits chefs que des grands chefs. Je ne parle pas de la taille du quidam, bien sûr, mais de sa position autant que de la taille de son esprit. Si, malencontreusement, il arrivait que moi ou un de mes collègues suggérions que nous avions rencontré et rencontrions encore un problème, le petit chef s’en emparait. Histoire de montrer tant son autorité que sa capacité à répondre aux embûches de la vie professionnelle. La première phrase qu’arbore le petit chef en réponse à cela est : « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ». La deuxième étant : « laissez tomber, je m’en occupe ». Ah, au premier abord, les salariés concernés se sentaient soulagés d’avoir remis leurs peines dans le giron de leur supérieur. Ah, au deuxième rabord, les salariés consternés voyaient revenir le dit supérieur avec un remède qui était pire que le mal. Ils auraient mieux fait de se taire mais ils s’en rendaient compte un peu tard.
Pourquoi parler de ma petite et modeste expérience ? Tout simplement parce que nous voyons en ce moment fleurir les petits chefs et leurs solutions aux problèmes. Le grand débat organisé par les petits chefs de la République n’aura servi qu’à cela et on voit déjà notre petit, pardon, premier ministre régurgiter la bouillie des plaintes exprimées non par la totalité de la population mais par ceux qui ont eu le temps de répondre aux questions toutes faites qu’on leurs a posées. Et, comme l’on ne s’y attendait pas, voilà que tout ce qui a été dit en débat ou écrit sur les sites corrobore ce que pensait déjà auparavant le gouvernement. Cela n’est-il pas étonnant ?
On aura beau jeu de dire tout ça pour ça et je ne le dirai pas car si certains peuvent se poser la question de l’utilité de ce débat, d’autres s’en sont frotté les mains tels que les cabinets de conseil, les instituts de sondages et autres fabricants de courants d’air qui furent agréablement rémunérés pour leurs indispensables collaborations.
On voit par-là que les petits chefs ont encore de beaux jours devant eux.

jeudi 25 avril 2019

Appelez-moi Fortunio (11)


Le temps qu’il se rende compte de ce qui lui arrivait, la tantine avait harponné la somme, réinvestie aussitôt dans l’achat d’une propriété à Marmande où elle espérait se retirer, loin des PMU, bistros et compagnie. Mais le tonton était vissé à sa table et il fallut attendre que son foie démissionne pour qu’elle puisse aller habiter sa ferme. Mais elle ne pouvait pas travailler vingt hectares et elle choisit de vendre les terres cultivables d’une part et nombre de parcelles éclatées en terrain à bâtir. La tantine se fit une jolie pelote à une époque où on pouvait encore faire de jolies plus-values et elle acheta deux autres immeubles de rapport à Agen. Puis, le temps a passé et elle a décidé de partir en maison de retraite et de donner en viager ses biens immobiliers à sa filleule, notre Christelle. Qui, depuis deux ans, se trouvait à la tête d’un patrimoine immobilier dont un immeuble dans lequel elle s’était gardé un petit studio qui lui permettait de loger les deux ou trois nuits par semaine qu’elle venait travailler à l’hôpital psy. Ce patrimoine nécessitait des réparations, la tante ne s’était guère préoccupée de l’entretien des bâtisses et c’est là que Christelle voulait en venir : elle voulait se faire conseiller et aider par Albert.
Pendant qu’elle parlait, Albert l’observait, un peu comme si les rôles étaient inversés, comme s’il était le soignant à l’écoute de sa patiente. Et il était un peu perplexe car plus Christelle partait dans de grandes explications, plus elle semblait parler pour parler, pour ne pas parler d’autre chose, pour remplir une absence. Il mangeait ave appétit alors qu’il la voyait chipoter tout en parlant. Ils étaient arrivés au dessert, puis elle changea brusquement de ton en proposant d’aller au cinéma. Le film était vraiment sans intérêt, il aurait du mal à s’en souvenir car Christelle s’installa confortablement accrochée à son cou. Il eut même l’impression qu’elle s’endormait par moments. Et à la fin du film, elle insista pour boire un verre avant, dit-elle, d’aller lui montrer l’immeuble où elle avait son studio. Albert n’est pas entré dans tous les détails de cette soirée mais elle se termina, après deux whiskies, dans le studio de Christelle et plus précisément dans le lit dudit studio.
Ce fut le début d’une belle idylle : Christelle venait à Agen le dimanche en fin d’après-midi, ils passaient la soirée et la nuit ensemble, parfois aussi celle du lundi. Il fut aussi question de travaux, bien sûr, mais cela était la cerise sur le gâteau.
Ils avaient beaucoup fait l’amour mais aussi beaucoup parlé, Albert avait raconté son histoire d’amour avec Lélia, cette histoire qui avait tourné au fiasco, il avait parlé de ses scrupules idiots, de ces espoirs qu’il avait du mal à lâcher. Mais Christelle n’acceptait que de l’écouter, jamais de compatir ou de conseiller. Elle-même avait ses contradictions, ses deux enfants dont ses beaux-parents se chargeaient en son absence, son mari coureur de jupons, sa grande maison, son train de vie et par-dessus tout cela, un amant dont tout ce qu’elle savait c’est que c’était une sorte d’ours des montagnes bien difficile à faire sortir de ses cavernes. C’est ainsi que l’avait décrit Mario et elle avait décidé, comme par défi, qu’elle le voulait. Et elle l’avait. Et peu importait qu’il se torturât avec le petit doigt pour une mousmé inaccessible, elle l’avait, lui, pour elle. Enfin, deux soirs par semaine…
(à suivre...)

dimanche 21 avril 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (32)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Comme le disait très justement Martin Schopenhauer, le monde est petit mais le hasard est grand ! En effet, peu après avoir rencontré le professeur Papillon sur le boulevard de la Cannelle, en sortant de chez la marchande de journaux, voilà-t-il pas que nous croisons un homme lancé d’un pas alerte qui peina à nous reconnaître. Toutefois et même néanmoins, je vous ai déjà parlé de l’amiral Cap, marin chevronné et visionnaire de génie. Cependant et nonobstant, il était tout excusé de ne point remettre nos physionomies car lui-même se trouvait avoir intensément pris du galon dans la profession. Profession dans laquelle l’on peut prendre autant de galons que de galions puisque notre charmant ami, déjà précédemment pourvu du titre d’amiral se parfumait maintenant de celui de commodore : nous nous trouvions face au Commodore Cap et nous l’ignorions !
Notre généreux ami nous invita gracieusement à prendre un verre d’eau de mer au bar de ligne de la vieille loutre, un bistro de marins que je ne vous dis que cela. Et cela, en réalité, est tout simplement que le premier qui accepte un verre d’eau de mer dans ce bar paie la tournée suivante, ce qui n’est pas rien. Ayant senti l’embrouille mais sans pouvoir m’en formaliser, je commandai donc une tournée générale de Serial Boss Killer, cocktail dont vous m’eussiez dit des nouvelles si vous eussiez été présents. Je n’en donnerai pas la recette car vous pouvez la retrouver sans peine dans une de mes précédentes chroniques et je ne suis pas là pour faire de la concurrence à qui que ce soit ! Toujours est-il que notre ami Cap – je dis notre car le professeur était toujours des nôtres et a bu son verre comme les autres et les suivants -, notre ami Cap, disais-je, nous raconta les péripéties qui le conduisirent à laisser au vestiaire son titre d’amiral pour prendre celui de commodore. Le Commodore Cap, voyez-vous cela ! Après un long périple qui le mena de Java à Bornéo puis à Valparaiso puis à Messine puis à Lorient, il se trouva en cale sèche et en caleçon sur le port d’Anvers – Antwerpen pour les intimes -. Pied à terre, notre impénitent marin se trouvait fort dépourvu et échoua, si je peux parler ainsi, dans une baraque de frites nommée : « In ‘t duivenkot ». Il commanda une généreuse portion de frites avec sauce tartare et américain préparé. Il est à noter que, chez nos amis belges, l’américain se déguste soigneusement préparé alors que l’anglais est loin d’être comestible même en croquettes pour animaux domestiques.
Une fois son tartaresque repas ingéré, notre ami Cap n’osait fouiller les poches de son caleçon car il était sans le sou. Mais la fortune sourit aux audacieux et c’est au moment où il désespérait de pouvoir régler l’aubergiste qu’il fut interpellé par un aimable jeune homme, hardi quoique timide. « Monsieur, dit ce dernier, ne seriez-vous point l’amiral Cap ? » « C’est lui-même et en personne ! » répondit sur un ton altier l’amiral caleçonné. Le jeune homme se présenta comme étant le Grand-Duc de Gobélie. Pour faire court, disons que la Gobélie est un petit état de l’Oberland, cerné par d’altières montagnes et arrosé par un modeste cours d’eau, le Gatz. Ce petit état, petit en superficie terrestre mais vaste en superficie paradisiaque et fiscale, se trouvait totalement dépourvu d’une marine digne de ce nom. L’affaire fut vite conclue entre notre amiral et son Grand-Duc : ce dernier payait l’addition –café compris – et Cap mettait au service de son altesse le brick « La Marrante » avec son équipage, à savoir Madame Cap, monsieur Cap fils et le mousse Kinder Bono. Le Grand-Duc colla aussitôt les épaulettes de commodore sur les épaules nues de Cap, régla l’addition et s’en fut en son palais, heureux d’avoir créé sa marine de guerre.
On voit par-là que les cales sont sèches, mon commodore.

jeudi 18 avril 2019

Appelez-moi Fortunio (10)


La patronne arrive avec les cartes. Elle salue Christelle avec une affection dont Albert ressent la sincérité puis elle s’en va discrètement.
-          Chère Christelle, restons zen, je suis tellement heureux d’être ici avec toi, rien que nous deux. Alors, si j’ai posé une mauvaise question, je vais essayer de ne plus donner que des bonnes réponses. A commencer par la carte, choisissons…
Il entrouvre la carte et constate que c’est une carte pour les dames, une carte sans les prix. Il s’empare de celle qui est devant Christelle et fait l’échange.
-          Il ne serait pas convenable que cela ne soit pas moi qui invite, tout de même. Je sais bien que c’est toi qui a choisi le lieu mais…
-          Regarde la carte que tu viens de prendre, galant sot, c’est exactement la même ! Ici, c’est moi qui invite mais, pour des raisons qui m’appartiennent, je ne paie pas. Inutile de poser des questions, tu viens de t’y engager. Allons, si tu aimes les huitres, je te les conseille. Ils ont un fournisseur extra. Ensuite, je te conseillerais la terrine de canard plutôt que le foie gras car tu n’en trouveras pas de meilleure qu’ici, je t’en fais le pari. Et après, toujours si tu aimes cela, tu devrais goûter les ris de veau à la Périgueux, vivement conseillé. Pour le dessert, c’est toi qui vois, pour les vins tu n’auras pas le choix, c’est le sommelier qui décide en fonction des plats et de la tête du client…
-          Voilà une bien belle ordonnance qui donne envie de guérir doucement en faisant durer le traitement. Pour ce qui est de la boisson, donc, j’espère que ma tête lui reviendra, au sommelier…
-          Tu parles de guérir… je sais qu’il y a une blessure en toi mais on en reparlera. Et puisque tu me rappelles si volontiers mon métier, je vais te parler du tien : il paraîtrait que tu es maçon. Mais commandons, voilà madame la patronne !
Une fois la commande passée, Christelle raconte comment elle a choisi de travailler à l’hôpital psychiatrique d’Agen. Sa tante et marraine avait une maison à Agen dont elle avait hérité. Une grande maison à trois étages divisée en appartements. Elle était mariée avec un gugusse feignant comme une couleuvre qui avait fini par dégotter un petit emploi dans les services techniques de la mairie. Mais sa principale occupation était, son temps de travail terminé, d’occuper une table au bistro et de compulser les journaux hippiques en buvant avec assiduité du pastis. Il n’allait jamais jusqu’à l’ivresse et ne perdait pas beaucoup au jeu mais il cultivait une cirrhose avec application et était incollable sur toutes questions de turf. Pour lui, les courses de chevaux n’étaient pas un jeu de hasard et il avait toujours l’explication qui justifiait ses pertes comme ses gains. Explication agrémentée d’un parfum d’anis légèrement aigre. Un jour, par une sorte de geste hérétique autant que blasphématoire, il acheta un billet de la Loterie Nationale. Il le fit sans honte, comme une sorte de défi au hasard qui n’existait pas selon lui, peut-être en fin de soirée après un quinzième pastis et sa dixième cigarette de cantonnier, gitane maïs rallumée toutes les sept minutes. Et en effet, le hasard prouva son inexistence car le tonton gagna le gros lot. 
(à suivre...)