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jeudi 29 octobre 2015

Le cabot de Fortunio (69)

Il sort de sa poche un téléphone portable et nous donne un numéro.
-          Cher Maître, nous vous sommes reconnaissants de tout ce que vous faites pour nous. Si nous avons le moindre problème, nous reviendrons avec plaisir vous secouer quelques puces. En toute aménité, bien sûr, déclare Léon, très Grand Siècle, tendant la main.
Le bonhomme s’est levé et lui serre la pince. Il me tend sa paluche que je chope vivement en lui balançant un coup de genou léger quoique ferme dans les parties intimes.
-          En toute aménité, cher Maître, répété-je.
Le maitre se plie en deux pour soulager sa douleur in partibus tandis que nous sortons dignement en direction de notre véhicule. Nous tombons nez à nez avec Esther, aux quatre-cents coups.
-          Flèche…, dit-elle, essoufflée.
-          Quoi Flèche, dis-je, elle est là.
En effet, cette dernière est assise sur le trottoir et me regarde affectueusement. Esther explique alors qu’elle a voulu la faire sortir deux minutes de la Laguna. En sortant du coffre, Flèche s’est précipitée vers la rue Legris, Esther n’a pas pu l’en empêcher et lui a couru après. En arrivant à l’angle de la rue, elle a vu la chienne grogner sur deux gus qui voulaient entrer dans la maison de l’avocat.
-          Les deux gars ont reculé, y’avait un black et l’autre un rebeu. Le black a gueulé : « T’avais pas dit qu’y avait un clebs, Ouari ! ». Ils se sont barrés vers le bout de la rue…
-          Va chercher la caisse Esther, dit Léon. Et toi, Fortunio, viens avec moi, on va voir où ils sont ces gonzes.
Esther s’en va et nous nous dirigeons avec Flèche vers le croisement au bout de la rue. Nous regardons à gauche et à droite, il y a des voitures garées des deux côtés, personne en vue. Une voiture démarre, une Golf verte immatriculée dans le 94. Elle s’éloigne sans que nous puissions voir les occupants. Esther nous rejoint avec la Laguna, nous montons et elle tente de suivre discrètement la Golf qui, une fois sortie de Moretun, accélère et prend la direction de l’autoroute. Effectivement, elle part en direction de Toulouse, nous la suivons. On fait une vingtaine de kilomètres sur l’autoroute puis la Golf entre dans une aire et se dirige vers les pompes à carburant. Esther se gare discrètement dans un parking d’où on peut observer la station. Un black sort et prend du carburant. L’autre gars, un bronzé clair, est assis dans la bagnole. Il parle dans un portable. Léon sort de la Laguna, me fait signe de ne pas bouger et se dirige vers les pompes. Je le vois aborder le black et lui parler.  Puis l’autre semble se lasser et il fait signe à Léon de se casser. Léon s’éloigne, va vers la cafétéria, il en ressort par une autre porte puis revient vers nous en faisant un large tour, le temps que le gars paie et se barre.
-          Bon, ils reviennent sur Paris, dit-il une fois dans la Laguna.
-          Comment tu l’as su ?
-          Je lui ai demandé s’il n’allait pas sur Dax, j’ai dit que je cherchais un covoiturage. Le mec m’a dit que non, qu’il montait sur Paris. Bon mais j’ai commencé à tchatcher parce que j’entendais ce que racontais l’autre au téléphone, il parlait comme un sourd. Il disait qu’il avait failli se faire bouffer par un clébard de merde, que c’était pas au programme et qu’ils iraient faire le boulot à Paris, quand l’autre serait rentré…
-          Un clébard de merde ! Ma Flèche, dis-je.
-          Le black a dû se rendre compte de mon manège et c’est là qu’il m’a invité à faire de l’air. J’ai pas insisté, je pense que de toutes façons, on en sait assez, ces gonzes venaient voir notre Benledek, c’est sûr…

-          Attends, je vais essayer un truc, dis-je.
(à suivre...)

dimanche 25 octobre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (7)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. La réforme des collectivités territoriales n’a pas que des inconvénients, elle fait aussi le bonheur des peintres et des enseignistes qui ne savent plus où donner du pinceau. Pensez donc : d’un trait de plume, le gouvernement a changé l’appellation de nos conseils généraux pour les renommer conseils départementaux, imaginez en conséquence le nombre de panneaux,  d’enseignes, de placards d’autobus et autres qu’il faudra modifier pour ne pas dire refaire.
Nos fabricants de panneaux ont par ailleurs de beaux jours devant eux avec tout ce qui fait florès à l’entrée des villes et villages. On ne compte plus les panneaux signalant les multiples qualités supposées des villes et des villages à leurs diverses entrées qui sont autant de sorties possibles. Il y a bien sûr, devenant à peine visible dans le fouillis informationnel, le nom de la bourgade ou commune en question. Les intercommunalités sont des sources de nouveaux gisements pour la création de panneaux indiquant un nom à rallonge, alambiqué et  sous-informatif. Il y a aussi un panneau indiquant les jumelages plus ou moins nombreux suivant l’importance et le rayonnement de la cité. Ensuite des panneaux indiquant qu’il y a de riches habitants dans la commune et qu’ils sont associés en clubs assez sélects quoiqu’humanitaires pour ne pas dire caritatifs. Puis tous ces indicateurs signalant que la commune a été honorée pour un fleurissement qu’il soit biologique ou non, arrosé à l’eau potable ou non, mais fleurissement dûment homologué et catalogué. Ensuite un panneau signalant l’engagement écologique de la municipalité. Puis un autre signalant la qualité stellaire du village. Et, le cas échéant, quelques panonceaux signalant que le village est un des plus beaux de France, ou préféré des français téléspectateurs ou encore que le site est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, dûment estampillé par l’Unesco. En outre, surgissent aussi quelques panneaux d’interdiction, histoire de rappeler que la ville œuvre pour renflouer les caisses de l’Etat par le biais des amendes y afférentes. On peut seulement regretter que disparaissent petit à petit ces jolis panneaux verts signalant les heures des offices religieux et qui donnaient ainsi les heures d’ouverture des édifices des cultes divers.
Et, last but not least comme disent nos amis d’outre-Manche, voilà-t-il pas qu’une de nos têtes pensantes vient de proposer une nouvelle distinction élective, à savoir l’élection du plus sot village de France ! Gageons que la lutte sera dure mais, s’il y a quelques grands favoris, il ne faut pas négliger certains outsiders qui pourraient bien les coiffer sur le poteau et obtenir le panneau tant convoité. Car, soit dit en passant, un tel challenge suppose une mobilisation totale de la municipalité mais aussi une participation active de la quasi-totalité des habitants pour arracher ce trophée du plus sot village de France. Ainsi donc, maintenant que la loi tend à faire disparaître la publicité aux entrées de nos agglomérations, apparaît une autre forme de pollution, la pollution par la sottise… cela n’est-il pas merveilleux ?
Mais revenons à nos panneaux : maintenant un village qui n’aura plus ses trois, quatre ou cinq panneaux ne pourra plus guère s’appeler village, il se verra rétrogradé au triste rang de lieu-dit, d’endroit sans gloire et sans lustre, une localité quelconque. Un village sans panneau est comme un œuf sans sel ; sans nulle signalétique il montre l’absence de têtes judicieusement pensantes en son sein – têtes pensantes et dépensantes, bien sûr -, il n’a rien à inaugurer en son sein, pas d’officiels de qualité à inviter, nuls rubans à couper. Comment occuper nos élus de toutes farines et de tous niveaux, nos administratifs de tous sucres et de tous échelons si l’on n’a plus quelque marque communale distinctive à honorer par des discours et des raouts ?
On voit par-là que la gloire n’est qu’une question de budget. 

jeudi 22 octobre 2015

Le cabot de Fortunio (68)

-          Ce gars est connu, il a fait de la scène, c’est un de ces rappeurs des cités... Il a sorti un disque ou l’autre. Je l’ai connu il y a trois ans à l’occasion d’une affaire de divorce, il n’était pas mon client… enfin, c’est un peu compliqué… disons qu’il me faisait chanter…
-          Chanter ? demandé-je.
-          Oui, il me faisait chanter, s’écrie Benledek avec force. Je ne sais pas comment il a su -mais il a su – que j’étais sorti avec une jeune fille, une mineure. Mais je ne savais pas, moi, qu’elle était mineure. Vous savez, de nos jours, à quatorze ans, les filles en paraissent bien plus…
-          Ton histoire de détournement de mineures on s’en fout. Je veux en savoir plus sur ton – comment l’appelles-tu encore ? - ton gus qui te faisait chanter. C’est lui qui t’as mandaté pour aller trouver le président de la fondation CL ?
-          Pas directement. Il m’a envoyé un de ses hommes de main, un beur des cités. Il m’a dit qu’il venait de la part de ce Latik, il m’a dit de rencontrer ce monsieur, un garagiste de Toulouse et de négocier avec lui. Et qu’il fallait faire vite, la vie de l’otage en dépendait…
-          Et tu as touché du fric pour ça ? demandé-je vertement.
-          Rien mais il me promettait de me laisser tranquille, de ne plus me demander d’argent…
-          Ah, c’était presque du bénévolat, quoi ! Allons, l’adresse du gars, son pédigrée, son numéro de téléphone. Et vite…
-          Mais je ne sais pas où il habite, pleurniche-t-il, il a…
-          Ducul, écoute-moi, déclare Léon, tu vas nous dire tout ce que tu sais sur ce ticket d’bus, de haut en bas, en long, en large et en travers, urbi et orbi et patin couffin, sur le mode vitesse rapide, on n’est pas d’ici et on veut tout savoir avant de partir. Alors, schnell !
-          Lui, je ne sais pas où il habite mais vous pourriez trouver, je vous l’ai dit, c’est quelqu’un de connu. Mais son homme de main, je sais qui c’est et je connais son adresse : il s’appelle Alouari Kantonès et il habite à Arcueil, impasse Halfon-Sallait au numéro 18.
-          Et tu le connais comment, monsieur Ducul ? repris-je sans aménité.
-          Je suis sorti avec sa sœur, c’est à son sujet que Latik Edkès me faisait chanter…
-          Sorti ? Tu couchais avec, non ? interroge Léon.
-          Oui, bon, mais c’est du passé, je vous jure…
-          Inutile de jurer, nous ne voulons que la vérité. Et son numéro de téléphone ?
-          En effet, j’ai bien noté un numéro, je vais vous le donner… mais… promettez-moi…
-          Ici, on ne promet rien, maître Ducul. Les bases de notre accord sont claires : tu nous dis ce que tu sais ; tu fermes ta gueule sur notre visite, quel que soit ton interlocuteur, et tu nous oublies, ce qui s’appelle oublier. En échange, on ne parle de toi ni aux flics ni à qui que ce soit d’autre si – et seulement si – tu nous dis tout ce que tu sais sur les fumiers qui ont flingué la femme prise en otage. Car, dois-je te le rappeler, petites burnes, tu es complice jusqu’au cou, complice d’un assassinat !
-          C’est vrai ça, ils l’ont tuée ?
-          Devine ! Bien sûr qu’ils l’ont flinguée. Et toi, là-dedans, tu es mouillé jusqu’au cou, continue Léon. Donc, si tu nous file un tuyau crevé, tu cours des risques, de gros risques : aujourd’hui, on est venu faire une visite de courtoisie, entre la poire et le fromage mais il se pourrait qu’on devienne mal raisonnables, pour ne pas dire pire, dis-je en me relevant.

-          Ecoutez, je vais vous donner le numéro du dénommé Kantonès, vous avez son adresse, je suppose que vous pourrez retrouver Edkès en faisant quelques recherches…
(à suivre...)

dimanche 18 octobre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (6)

Lectrices et lecteurs, bonjour.  Au fil des prochaines chroniques, je vous parlerai de quelques écrivains qui ont vécu en Gascogne et en Guyenne et dont j’aurai envie de rappeler le nom et surtout l’œuvre. Certains d’entre eux sont un peu tombés dans l’oubli et méritent, selon moi, que l’on remette en lumière ce qu’ils ont écrit. D’autres ont gardé un peu plus de notoriété mais ne perdront rien à ce qu’on se les remémore.
Parmi les plus connus, je citerai Jean-François Bladé qui a collecté et publié en 1885 des contes et récits populaires de la Gascogne, recueillis malgré bien des vicissitudes. Ils ont été réédités en 2008 aux éditions Aubéron.
Le plus régional est certainement Armand Chanuc, plusieurs fois lauréat du jasmin d’argent, auteur de poésies en occitan et en français et d’une charmante pièce de théâtre « Dus biels
1965 peu avant son décès. J’espère que ses concitoyens auront à cœur faire rejouer cette pièce, par exemple sous la svelte halle qu’il a célébrée.
Un autre auteur qui a généreusement mis en valeur la langue occitane, Georges Boué, a écrit un merveilleux livre « Mon ami Pierre » et je ne pouvais qu’être sensible à un tel titre. Ce roman dont l’action se situe dans la région de Goulens, entre Layrac et Astaffort, alterne la narration avec des chansons qui sont citées en occitan, traduites en français et accompagnées de leurs partitions.
Certains auteurs ne me sont connus que par une de leurs œuvres mais c’est bien l’œuvre plus que l’auteur qui m’intéresse. C’est le cas de Jean Caubet, romancier et historien Lot-et-Garonnais. Je parlerai de sa plaquette « Aventures et amours en Agenais » où l’on voit évoluer le Vert Galant et la reine Margot mais aussi quelques autres personnages émouvants comme Madame de Caumont.
Bien connu dans la région d’Astaffort où il habitait, Jacques Sadoul a situé sa trilogie  fantastique « Le domaine de R. » dans cet endroit :« Entre les coteaux de F., les méandres du Gers et le village d’A., s’étend le domaine de R., celui-là même où dès le haut Moyen Age se livrèrent, dit-on, tant de sacrilèges sorcelleries. Dans le pays, on évite d’en parler, on se dérobe aux questions des curieux. »
Je ferai une petite incursion dans le Périgord et vous parlerai du roman d’Albéric Cahuet « Pontcarral » dont l’action se passe dans la région de Sarlat. Le personnage du colonel Pontcarral vaut ce détour du côté de Léobard, entre Gourdon et Salviac.
Le septième et non le moindre est Thierry Metz, poète de « L’homme qui penche » et du « Journal d’un manœuvre ». Si je pense pouvoir me permettre de parler de cet extraordinaire poète – je pèse mes mots – c’est parce que nous nous sommes aussi croisés à la fin des années 80, tous les deux ouvriers à l’époque. Bien des choses auraient dû nous rapprocher, il n’en fut rien et la vie nous mena sur des chemins différents. C’est bien de lui que je parlerai en dernier, il me faudra le temps de rassembler tout mon courage pour l’aborder.

Il y a, bien sûr, d’autres artistes, d’autres œuvres qui méritent qu’on les signale, je n’ai choisi que celles et ceux qui m’ont touché personnellement. Je regrette  qu’aucun d’entre eux ne soit encore en vie pour m’écouter.

jeudi 15 octobre 2015

Le cabot de Fortunio (67)

-          Ecoute-moi bien, ma puce. Je ne suis pas le mauvais bougre mais t’as intérêt à répondre gentiment à mon pote car lui, avec sa gueule d’ange, c’est un cruel dans son genre. C’est pour ça que c’est moi qui m’occupe de toi, pasque lui, il a envie de t’étrangler. Une pute d’envie. C’est bien toi qui a négocié la rançon pour la gonzesse qui s’est fait enlever au Gondo ?
-          Qui… qui vous a dit ça ? dit-il en geignant et en reniflant.
-          Mon petit doigt me l’a dit, Toto. Réponds, sinon tu prendras dans la tronche autre chose que mon petit doigt. Et puis, je vais te dire autre chose : c’est bien toi qui a négocié cet accord de merde et tu sais ce qui s’est passé ? Tu sais où on en est ? Non, tu sais pas, connard, p’tite bite ! La nana, celle que tu as vendue pour du fric, tu vois qui je veux dire ?
-          Je… j’ai vendu personne pour… j’ai juste transmis… sniff…
-          Arrête, t’a négocié sa vie pour du fric mais tu sais ce qu’ils ont fait tes copains ?
-          Que, quels copains, j’ai pas…
-          Arrête, je t’ai dit. T’as des copains et je veux savoir qui c‘est ces gars-là car ces gars-là comme j’te dis, il l’ont flinguée la gonzesse ! Et à bout portant ! Et voilà le travail auquel tu as généreusement participé. T’es complice d’un meurtre, ordure, tu comprends ça ?
Là, Benledek ne geint plus, ne renifle plus, il a l’œil hagard.
-          Vous êtes de la police ?
-          On n’est pas des flics, interviens-je enfin, on est juste venu te voir avant de parler de toi aux flics. Enfin, si c’est encore utile de parler de toi, si tu vois ce que je veux dire…
-          Wwwoufff, fait le Benledek car je viens de m’asseoir sur sa poitrine en pointant un doigt menaçant sur son entre deux zyeux.
-          Ecoute-moi bien, Tantifle : je veux tout savoir et même plus, t’as intérêt à coopérer sans faille, la main dans la main ou le poing dans la tronche, dis-je avec conviction.
-          La-achez-moi, fait Benledek en pleurnichant.
-          Oh, mais on est prêt à te laisser tranquille, petit père, à la condition que tu parles. Et vite : considère qu’on a un train à prendre, ajouté-je.
-          Vous… vous voulez savoir quoi ?
-          Tout ce que tu sais sur les gonzes qui t’ont mandaté. Et leurs noms. Et vivement !
-          Je vais tout vous dire mais vous me faites mal, vous m’écrasez le foie…
-          C’est bien pour ça que tu vas faire vite, ton foie, il en verra d’autres…
-          Gleubb, je ne connais qu’un seul gars, il s’appelle Latik Edkès… je n’en sais pas plus !
-          Tu vois bien que tu as des choses à dire. C’est qui ce gars ? dis-je en me relevant.
Léon lui lâche la glotte et l’avocat s’assoit sur le sofa en toussant.
-          Vous n’en n’avez jamais entendu parler ? demande l’avocat.

-          Raconte et ne nous fait pas perdre de temps sinon je te refais un petit massage de foie à ma façon, réponds-je en tapant du pied, ce qui fait sursauter Benledek.
(à suivre...)

dimanche 11 octobre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (5)

Lectrices et lecteurs, bonjour. Une députée radicale, Haut-Pyrénéenne et de gauche ainsi qu’un député apparenté, UMP et breton ont remis cet été un rapport sur l’accueil fait aux touristes à Paris. D’après ces membres du Parlement, lorsque l’on adopte le point de vue du touriste, tout n’est pas parfait et, d’après ce que j’ai entendu dire par la députée, ce n’est pas au touriste de s’adapter mais c’est aux français de s’adapter. On sait bien que les parisiens ne sont guère accueillants pour leurs propres compatriotes et il n’est pas surprenant qu’ils en fassent de même pour les autres, cela serait un favoritisme malvenu. Toujours d’après ces élus, les Asiatiques seraient les plus critiques. Et, bien sûr, nombre de nos élus sont prêts à vendre notre âme et à montrer leur cul pour attirer le touriste étranger à tout prix.
Examinons la question de la manière, sinon la plus objective, tout au moins la plus sereine possible : pour qui a déjà vu un groupe de touristes français à l’étranger, il y a de quoi vouloir se faire tout petit et se faire passer pour un zoulou, un ouzbek ou un apatride. Reconnaissons que ce n’est pas la fine fleur de notre société qui compose le gros des bataillons de nos vacanciers à l’étranger et, si vous leur demandez leur avis, ils auront aussi moult critiques à formuler sur les équipements touristiques des pays qu’ils visitent. Il suffit parfois de se rendre au rayon des commentaires clients de sites prétendument spécialisés pour comprendre que n’est pas Châteaubriant qui veut.
Nul pays n’échappe à cette règle, le touriste moyen est rarement d’une grande finesse intellectuelle et le voyageur fortuné rarement d’une grande délicatesse sociale. Je ne parle pas ici de l’estivant impécunieux puisqu’aucune statistique ne le prend en compte. Si les statistiques étaient faites par les pauvres et pour les indigents, cela se saurait.
Après avoir légèrement dégoisé sur le globe-trotteur hexagonal, examinons maintenant le cas du touriste moyen en général et asiatique en particulier en essayant d’échapper aux clichés et préjugés sur les Japonais flasheurs et les Chinois cracheurs. Il semblerait que ce public se plaigne de devoir faire la file pour visiter nos musées et nos monuments car ils ne sont pas ouverts au public toute la semaine. Toutefois, restons lucides : accueillir des touristes, c’est certainement sympathique, intéressant et rentable, leur vendre notre âme est certainement bien plus regrettable. D’autant plus qu’une fois que nous l’aurons vendue, ils en voudront plus et voudront qu’on leur montre notre cul. Plus on leur en donnera, plus ils en voudront, sachons rester nous-mêmes. Que des individus voyageurs veuillent venir rencontrer notre culture, voilà qui est intéressant et il est certain qu’ils le feront avec le point de vue qui est le leur. Que des gogos viennent pour avaler du folklore, du prémâché et pour se faire faire des courbettes, c’est autre chose. Qu’on leur en donne du folklore, il suffit de leur créer encore plus de parcs d’attractions avec des monuments virtuels, des montagnes de carton-pâte, des habitants costumés avec bérets, mégots et baguettes ainsi que des cabarets de pacotille où des députés de tous sexes montreront leurs trucs en plume et où l’on pourra soulager ces touristes de leurs deniers excédentaires.
Cela fait, nous pourrons recevoir avec plaisir les aimables visiteurs étrangers désireux de connaître notre culture et notre pays, ceux qui venant  plus en amis qu’en touristes nous donneront le désir de rencontrer leur culture et leur pays.
On voit par-là que le tourisme peut être radicalement différent.

jeudi 8 octobre 2015

Le cabot de Fortunio (66)

-          Volontiers, mais tout est vrai dans ce que je viens de raconter, réponds-je.
-          Je commence à penser qu’avec toi, il faut croire l’incroyable et oublier tout le vraisemblable, clame Léon.
-          Mais c’est pas tout ça, reprends-je. On y va quand, chez le Benledek ?
-          J’avais commencé à l’oublier, celui-là. T’es pas pressé d’y aller, tout de même ?
-          Si je suis venu ici ce matin, c’est pour y aller le plus vite possible. Il faut deux bonnes heures pour y aller, il est déjà neuf heures et demie. Le temps de se mettre en route, on n’y sera pas avant midi, midi et demie. Une heure, une heure et demie le temps de se morfaler une pizza en chemin. On cueille le gonze à l’heure de la sieste et il nous raconte tout ce qu’il sait sous hypnose… c’est pas beau, ça ? Et on est de retour avant dix-huit heures, je vous claque la bise et vogue la galère !
-          La galère, je crois que c’est le mot juste.
-          Léon, mon vieux Léon : t’ai-je jamais flanqué dans une galère ? Tu te souviens pas du pinard qu’on a ramené de Sarignac ?
-          Là, tu peux la fermer. Si je ne m’en étais pas occupé, t’aurais tout laissé sur place et même les pompiers n’auraient rien retrouvé à picoler. J’ai sauvé ce qui pouvait l’être, finalement. Bien, si j’ai bien compris, tu ne nous demande pas notre avis alors je vais donner le mien : primo, ta caisse, une fois de plus, manque de discrétion. J’ai là une Laguna, propriétaire au-dessus de tout soupçon, c’est notre affaire. Ensuite, pas d’armes, pas de violences inutiles, du concret, rien que du concret. C’est Esther qui nous dépose dans les environs de chez ton baveux, on arrive chez lui à pied. Pour le reste, c’est toi qui pose les questions, c’est toi qui sait ce que tu cherches. Ma brosse à dents et je suis prêt !
Il se lève, Esther part se changer et en moins de temps qu’il n’en faut à un premier ministre pour pondre un décret réformant le collège, nous sommes dans la Laguna précitée, direction Muret. C’est un endroit qui ne plait guère à Léon, faut dire qu’il y a une centrale à Muret. Une prison centrale pour ceux qui ont du mal à comprendre…
L’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge et nous sommes dans les environs de Moretun à treize heures quinze. Léon passe le volant à Esther, nous entrons dans le patelin et elle nous dépose à trois-cents mètres de la rue Legris où est censé habiter notre avocat. Il habite une de ces petites maisons étroites et en hauteur avec une porte d’entrée sur la gauche et une fenêtre qui donne sur la rue. Le numéro 62, une sonnette avec le nom de notre gus. Je sonne. Nous nous sommes collés contre la façade de sorte qu’on ne puisse nous voir depuis une fenêtre, qu’elle soit du rez-de-chaussée ou de l’étage. Le temps passe, on n’entend rien. Je sonne à nouveau, deux coups impératifs. On entend comme un glissement de savates et une voix demande : « qui c’est ? ». « C’est moi » réponds-je judicieusement. La porte s’entrouvre, maintenue par un entrebâilleur. Je vois juste un gros pif jaunâtre surmonté de deux yeux globuleux qui me demande à qui ai-je l’honneur.
-          Maître Benledek, je présume ? stanlé-je en français correct.
-          Lui-même, livingstone mon vis-à-vis.
-          Pourriez-vous me recevoir, c’est urgent, reprends-je.
-          Je ne reçois pas ici, monsieur, il faut prendre rendez-vous par téléphone…

Je sens une poussée latérale venue de mon ami Léon et je me mets de côté. Bien m’en prend car, d’un grand coup de tatane, celui-ci ouvre en grand la porte de l’avocat. Sous la poussée, les vis qui tiennent l’entrebâilleur s’arrachent, emportant un morceau du chambranle. Le nez de l’homme de loi semble aussi avoir souffert du traitement, quelques gouttes d’un liquide grenat perlent sur ses lèvres épaisses. Nous pénétrons dans une étroite entrée, Léon a chopé Benledek par les épaules et le pousse vers une pièce au bout d’un étroit couloir. C’est une sorte de petit boudoir où il installe rudement notre interlocuteur sur un sofa et, le tenant par la gorge, lui explique :
(à suivre...)

dimanche 4 octobre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (4)

Lectrices et lecteurs, bonjour. « On ne le dit jamais assez. Les petites routes de campagne sont dangereuses » ai-je lu dans un quotidien régional le 21 juin de cette année. A cette lecture, je frémis de penser aux agressives et voraces petites routes de campagne dont parle le journaliste régional. Et bien des élus et autres officiels renchérissent là-dessus.
Moi qui aimais tant nos routes campagnardes avec leurs détours, leurs fossés, leurs ombres douces et leurs surprises agréables me voilà tout à coup sommé de n’aborder nos voies vicinales et communales qu’avec méfiance, levant le pied pour surveiller d’un œil suspicieux le goudron usé et les accueillants nids-de-poule. Que diable ! Supporterons-nous encore des routes voraces et odieuses qui blessent, mutilent et tuent parfois les naïfs conducteurs qui osent s’y aventurer ? Et disons-le tout net : les routes de campagne tueront bientôt plus de mineurs qu’un seul coup de grisou.
Mais que l’on se rassure ! Il ne manque ni dans nos campagnes ni dans les palais de la République d’élus et de fonctionnaires conscients de leurs responsabilités prêts à sauter sur une telle manchette de journal. Pensez donc : voilà une occasion inespérée de couper et d’arracher les arbres malveillants qui agressent les automobilistes sans crier gare ; voilà une opportunité heureuse d’élargir ces routes qui se resserrent férocement lorsque deux véhicules se croisent ; l’on va enfin pouvoir boucher de malveillants fossés prêts à engloutir les voitures et leurs candides conducteurs et l’on va enfin pouvoir redresser ces malencontreux virages qui font tourner la route là où l’automobiliste ne voit point la nécessité de tourner. L’élu clairvoyant se doit de trancher, d’abattre, d’araser, d’aligner, de bétonner et de goudronner. Bientôt, les seules bonnes routes de campagne seront droites, plates, lisses et dégagées. Elles pourront, si les officiels n’ont pas dépensé assez d’argent, être garnies de quelque mobilier urbain artistiquement disposé. Et même s’ils en ont trop dépensé, qu’importe le prix à payer car, comme l’a écrit Paul Déroulède, l’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge et les zouaves vont en chantant. Et l’on sait que des zouaves, il n’en manque pas pour dépenser un l’argent public qui n’est pas perdu pour tout le monde.
Bien sûr, il y a des esprits chagrins qui diront qu’une fois que ces routes seront élargies, canalisées et dégagées, les utilisateurs moto propulsés se verront dans l’obligation d’augmenter leur vitesse pour justifier l’énergie intellectuelle déployée autant que les dépenses engagées. De surcroît, leur vigilance risquerait d’être atténuée par l’appel des grands espaces. C’est là que toute l’astuce de l’élu compétent et toute la matoiserie de l’administratif expérimenté – à moins que cela ne soit l’inverse – donneront toute leur mesure : rien de tel qu’un élégant carrefour giratoire pour réveiller le conducteur inattentif, quoi de plus efficace qu’un dos d’âne pour stimuler l’estomac d’un chauffeur légèrement alcoolisé et qu’y-a-t-il de plus rentable qu’un radar judicieusement installé ? Là, on ne pourra plus dire que les petites routes de campagne sont dangereuses pour une première raison qui est qu’elles ne seront plus petites et pour une deuxième qui est que ce seront les automobilistes qui seront devenus dangereux. Nos officiels, toujours en quête d’une courageuse croisade, lanceront alors des campagnes de sensibilisation, d’éducation et de répression qui, de colloques en séminaires et de campagnes publicitaires en interventions télévisées, sèmeront encore la manne des deniers de l’Etat sur ceux qui savent la récupérer. Après quoi, on inaugurera, on banquettera, on discourra et on s’entre congratulera à qui mieux mieux.
On voit par-là que la peur n’écarte pas le danger mais que le courage  le déplace.                                  

jeudi 1 octobre 2015

Le cabot de Fortunio (65)

Je comprends qu’il vaut mieux déballer toute l’histoire. Cela prend du temps mais mon auditoire est captivé. Une fois terminé, Léon intervient :
-          C’est pour nous raconter tout cela que tu es venu ici ? Ça m’étonnerait !
-          Tu as tout compris. Je compte aller secouer le prunier à l’avocat libanais et c’est un travail que je préfère ne pas faire seul. Il me faut quelqu’un de beau, fort, intelligent et perspicace : la seule personne au monde qui possède toutes ces qualités…
-          C’est pas moi, coupe-t-il vivement.
-          Ecoute-moi, Léon : je compte sur toi pour m’empêcher de faire une connerie car j’ai une furieuse envie de l’étrangler, cet avocat. Tu peux comprendre ça ?
-          Je peux comprendre, certes, mais quand tu l’auras étranglé, tu fais quoi mon pote ?
-          Justement, c’est là que tu interviens. Moi je dis que je vais l’étrangler et toi tu négocies, tu lui dis : si vous ne causez pas, mon pote va vous étrangler, je pourrai pas le retenir…
-          C’est bizarre avec toi. T’es plutôt du genre réfléchi d’habitude mais quand il s’agit d’histoires de gonzesses, tu fonces d’abord et tu réfléchis après… enfin si tu réfléchis !
-          Si tu veux mais es attal et c’est pas autrement. Alors je te dis : tu en es ou tu en es pas ?
-          Et moi dans cette affaire, je compte pour rien ? demande Esther.
-          Pardonne-moi si je m’excuse, Esther mais c’est quand même une affaire d’hommes…
-          Excuse-moi si je te pardonne pas mais tu vas retirer cela vite fait. De toute façon, si Léon en est, j’en suis moi aussi, on sera pas trop de deux pour te surveiller.
Là, je comprends qu’elle vient de dire banco, on y va. Sacrée bonne femme cette Seccotine, elle a pas l’air mais c’est vrai qu’elle travaille dans l’univers carcéral, faut le faire. Je jette un œil sur Léon, il a l’air un peu désemparé lui qui a l’habitude de rechigner avant de tirer sur le collier. Il change brutalement de conversation :
-          Et tu as un clebs maintenant ?
-          Si je commence avec ça, on n’a pas fini, c’est vous qui voyez…
-          Nonobstant et quoiqu’il en soit, t’as déjà commencé à nous pourrir la matinée alors continue !
-          Ben, merci pour la pourriture mon salaud…
-          Vous avez pas fini vos manières à la con ! intervient Esthertine. Raconte ton histoire de chien et d’abord, comment s’appelle-t-il encore ?
-          C’est elle, elle s’appelle Flèche, dis-je.
-          Drôle de nom pour un clebs, dit Léon.
-          Si j’avais un paon, je l’appellerais Léon, connaud ! Mais c’est une chienne et elle est arrivée comme soufflée d’une sarbacane.
-          On croyait savoir tout sur l'amour/Depuis toujours,/Nos corps par coeur et nos cœurs/
Au chaud dans le velours./Et puis te voilà bout de femme,/Comme soufflée d'une sarbacane.
reprend Léon.
-          Ah Cabrel ! Toute une époque… Finis les matins paupières en panne,/Lourdes comme des bouteilles de butane,… continué-je.
-          Bon, les anciens cons battus, ça ira comme ça, coupe Seccotesther.
-          Tu as raison, soyons sérieux, dis-je.
Je raconte l’histoire de la bagnole au milieu de la route en pleine nuit, les pompelards, la maison Sameli et tutti quanti, en passant par la gonzesse qui n’avait plus de nom et les lavatories de Bergerac. Entretemps, Léon a pris le temps de nous refaire un pot de café et Esther reste pendue à mes lèvres.

-          Café, boss, après une histoire pareille ? me demande Léon, brandissant sa cafetière.
(à suivre...)