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dimanche 31 juillet 2016

Billets de l'été 2016 (4)



Les dieux et les hommes


Les dieux sont tristes ce soir
Ils ont entendu braire l’homme à la tête d’âne
Là où l’âne lui-même n’ose plus braire
Là où l’âne lui-même a perdu sa tête
Entendant ce braiment
Ils sont venus par milliers
Ils se croyaient forts et puissants
A genoux devant moins qu’un âne
Aux pieds de moins qu’un homme
Ils ne savaient que frapper les faibles
Et hurler avec l’homme à la tête de loup

Les dieux pleurent ce soir
Ils ont entendu hurler l’homme à la tête de loup
Là où le loup, maintenant, se tait
Là où le loup n’est plus
A ce hurlement
Ils répondirent par milliers
Ils se disaient les meilleurs
Menés par moins qu’un loup
Fustigés par moins qu’un homme
Veules face aux puissants,
Hommes à la tête de porc

Les dieux vont mourir ce soir
Ils ont entendu grogner l’homme à la tête de porc
Là où les porcs, eux-mêmes sont sans grogner
Là où les porcs ne sont plus
Ils ont entendu ce grognement
Et grognèrent par milliers
A quatre pattes
Derrière moins qu’un cochon
Fascinés par moins qu’un homme
Couards de toutes parts
Ils attendaient l’homme à la tête de singe

Il arriva
D’apparence si humaine.
Il les humilia, ils l’aimèrent
Il les avilit, ils en redemandèrent

© Pierre Jooris

jeudi 28 juillet 2016

René-la-Science (8)



Colette fut extrêmement touchée par mon geste. Le déjeuner était prêt et nous nous mîmes à table. D’emblée, René proposa qu’après déjeuner, nous allions nous promener dans les environs. Il évoqua même la possibilité que nous puissions trouver quelques champignons. J’essayai bien sûr de me défiler et de proposer de les rejoindre plus tard, avec une explication un peu tortueuse qui laissa René quelque peu rêveur. Il eut le bon goût de ne pas insister, mais je le sentais dubitatif. Je partis donc après le repas en promettant de les rejoindre le plus vite possible.
Je revins sur Villeneuve et me garai sans difficulté sur la place Décorat. Le magasin de fleurs était fermé, mais je frappai à la porte et Sylvie vint m’ouvrir et me fit entrer.
— Ne restez pas dans le magasin, avancez jusqu’à la pièce du fond, me dit-elle.
Je m’avançai ainsi jusque dans une arrière-boutique dont le milieu était occupé par un plan de travail sur lequel trônait un ensemble floral splendide.
— Voilà, vous voyez que je suis en plein travail, je dois livrer cet ensemble pour ce soir. C’est pour une réception dans le grand hall de la mairie. Mais nous pouvons parler, mon mari et Ninon, ma belle-mère, sont partis avec les filles pour tout l’après-midi. Vous avez donc un message à me faire passer de la part de Michel. Michel Hupart, je suppose ?
— En fait, il ne m’a pas donné son nom de famille, je le connais seulement sous son prénom, répondis-je.
— Vous n’êtes pas très curieux…
— En effet, mais nous ne nous connaissons que depuis cette nuit, repris-je en riant, j’ai eu l’honneur de soigner le nez de ce monsieur et de l’aider à se rhabiller…
— Roger ne l’a pas trop abimé quand même ?
— Rassurez-vous, vous le retrouverez en bon état, le nez un peu coloré de bleu et la mâchoire douloureuse, mais toujours amoureux de vous. C’est bien ce qui m’amène ici d’ailleurs. Michel vous demande, instamment dirais-je, d’introduire rapidement une demande de divorce. Il veut que vous divorciez de votre mari, bien sûr…
— J’avais compris, je ne vois pas de qui d’autre je pourrais divorcer, commenta Sylvie. Mais continuez, continuez, dit-elle tout en arrangeant ses fleurs.
— Donc, il vous demande d’introduire une procédure de divorce, il vous trouvera un avocat. Ainsi qu’une maison à l’extérieur de la ville pour vous, lui et vos filles.
— C’est tout ? Demanda ironiquement Sylvie.
— Il y a encore une chose qu’il m’a demandée de dire…
— Dites alors, je vous écoute, me dit-elle.
— Il dit que c’est à prendre ou à laisser...
(à suivre...)

dimanche 24 juillet 2016

Billets de l'été 2016 (3)



Métamorphose (le tombeau d’Ovide)

Apatride, enfin !
Ni privation, ni concession,
Ni soumission
Un être libre, simplement.
L’humaine incurie,
Certainement,
Aura raison de nous
Mais nous aurons vécu

Ainsi qu’Ovide
Chez le pleutre Scythe
Exilé loin des lieux
Et des terres aimées
Nul retour n’apaisera
Sa douleur d’émigré
La mort, seule, apportera
La divine délivrance.

Mais il avait vécu !
Poète banni de sa terre
Chantre contumace
Enterré en son ile
L’antique Tomis

© Pierre Jooris