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dimanche 31 mai 2015

Chronique du temps exigu (2b)

Est-il possible d’éradiquer la pauvreté ? A en croire un certain nombre de propositions électorales, cela se pourrait.
Pourtant, qu’est-ce que la pauvreté ? Un concept mathématique, clinique, philosophique ? La pauvreté est toujours relative à un certain état de richesse, plus ou moins élevé.
Mais dans l’absolu, les pauvres existent. Madame Lagarde, directrice du FMI, les a rencontrés.
Le meilleur moyen d’éradiquer la pauvreté ne serait-il pas alors d’éradiquer les pauvres ?
On pourrait déjà supprimer un certain nombre de pauvres en les enrichissant. La même Madame Lagarde aurait ainsi sorti Monsieur Tapie de la paupérisation qui le menaçait mais c’est une autre question…
On pourrait choisir des pauvres de bon aloi, de bons pauvres que l’on enrichirait légèrement, sans exagération.
Le seul danger serait que ces ex-bons pauvres, de par un effet pervers de leur bonté, pourraient avoir de la compassion pour ceux de leurs congénères restés dans la débine. Il faut donc aussi éradiquer la compassion. Pour cela, un moyen simple serait de faire passer un stage de directeur de FMI à ces pauvres promus.
Ils y apprendraient rapidement le mépris des femmes, des grecs, et des pauvres en général.
On voit par-là que les choses les plus difficiles ont toujours une issue favorable.


jeudi 28 mai 2015

Le cabot de Fortunio (47)

"Le temps s’arrête. C’est incroyable !
Il faut aller dans nos régions pour voir de l’original, du neuf, de la vraie peinture de notre siècle. A Bergerac, en ce moment, allez voir les tableaux de Martine Grebier. Elle vous emporte hors du temps pour vous faire retomber en plein XXIème siècle. Il est rare de voir de nos jours une peinture aussi fraîche et profonde. Un amateur éclairé l’a fort bien résumé sur place : Pour vous, le temps s’arrêtera (et prenez le, vraiment !), ce sera incroyable !"
L’article continue en détaillant le travail de la peintre, toujours sur un mode élogieux. Il est signé Estelle Voisin, critique d’art donc et dans un grand quotidien parisien. J’ignore comment elle a eu mon adresse mais elle n’a pas traîné. Et sans se fatiguer, elle m’a piqué le titre, cette phrase que j’avais balancée à la volée. Faut reconnaitre que j’ai touché des royalties, mais faut pas le répéter partout. Un tel article va faire monter la cote de Martine Grebier ou je ne m’y connais pas.
Puis, les jours passent, François n’appelle toujours pas, je me sens comme l’oiseau sur la branche mais le volatile, lui, se fait sûrement moins de mouron que bibi. Chaque fois que mon portable sonne, je sursaute, les heures s’empilent sur les heures, les jours sur les jours, une semaine passe et rien, rien…
Une semaine, c’est énorme dans ces conditions : il peut s’en passer des choses… qui me dit qu’Eliane est encore en vie ? Qui me dit qu’elle n’est pas malade, battue, violée ? Et si ces salopards arrivaient à prendre le fric sans la libérer ?
Pour le fric, j’ai eu une idée : j’avais un peu tâté le terrain auprès de mon banquier, un mec assez sympa et réglo. Pour mes pièces, vous savez quoi, mon magot. Lui me connaissait le moyen de m’obtenir un prêt en les filant en garantie. Parce que, je sais pas pourquoi, mais ce magot, je l’ai déjà dit, c’est mon talisman, mon porte-bonheur et j’ai des scrupules à vendre mes napo’s comme ça. C’est bête mais c’est ainsi. Donc, j’ai mis le truc en route, on a fait des papiers, j’ai mis les pièces en lieu sûr et le pognon est sur mon compte. Il suffit que je passe l’ordre et je pourrai récupérer l’argent en billets de banque usagés dans les quarante-huit heures. Bien sûr, François a intérêt à me prévenir à temps. Mais qu’est-ce qu’il fout, bon sang ! Qu’est-ce qu’il branle, ce connaud ?
Enfin, je reçois un Sms. Laconique : « RV demain 15 h abbaye Moissac ».
Le lendemain, je suis devant le portail avant l’heure, je bous d’impatience. L’heure passe, pas de François et à la demie, je reçois un autre Sms : « RV annulé, vrai pb, désolé. Remis à demain 9 heures, même endroit ».

Encore une nuit de merde, à tourner, retourner, penser, cauchemarder. Autant dire que le lendemain, je suis avant neuf heures à Moissac. Cette fois, je vois arriver mon François. Il est pâle, l’air crevé et les yeux cernés. J’ai peut-être à peu près la même gueule, pensé-je en moi-même. Il me serre la louche et me fait signe d’entrer dans un bistro non loin de là, le Café du Siècle. Nous entrons et commandons deux grands cafés. Le patron, teint cireux du cirrhosé, nous lance un regard de commisération. Faut dire qu’il est déjà au jaune, lui, à neuf heures le café est déjà loin. Deux gars au comptoir, l’un au petit blanc et l’autre à la mousse, lui laissent la première place et se disputent les marches du podium : un manchot et un unijambiste. Leur présence me semble de mauvais augure. Nous prenons nos tasses et gagnons une table à l’écart. Bonnefoi sirote un peu son café, comme s’il voulait tester mes nerfs puis il attaque :
(à suivre...)

dimanche 24 mai 2015

Chronique du temps exigu (1b)

Lundi de Pentecôte, journée de solidarité voulue en 2004 par le gouvernement Raffarin. Ce jour férié non payé sert à financer la solidarité avec les personnes âgées. Sans se lancer dans des considérations sur l’utilisation de cet argent, rappelons que ce n’est pas de l’argent gagné mais de l’argent économisé. L’argent économisé, comme l’expriment le bon sens autant que les données immédiates de la conscience collective, c’est l’argent que l’on n’a pas dépensé augmenté de l’argent que l’on aurait pu gagner. Économiquement, c’est très habile. En 2006, le premier ministre Villepin a pu dire que les bénéfices tirés de cette journée « n’étaient pas calculables ». Nous parlerons donc de bénéfices incalculables et ce n’est pas rien.
Revenons à notre journée de solidarité. Une année entière ne suffit plus à contenir toutes les journées dédiées spécialement à ceci ou cela. Les saints du calendrier se bousculaient déjà depuis belle lurette. Voilà que, particulièrement sous la pression de certains lobbies, le calendrier est encore mis à mal par de nouvelles présences qui font des jaloux. Il y a peu, une journée avait été dédiée à la commémoration de la Résistance. Aussitôt, un lobby d’électroniciens fougueux a exigé une journée pour les condensateurs à laquelle seraient associés les semi-conducteurs. Entendant cette demande, les apprentis conducteurs en conduite accompagnée n’ont pas voulu être en reste par rapport aux semi-conducteurs. On voit par là que les années deviennent bien courtes.
Et enfin, revenons à l’idée de commémoration. Le devoir de mémoire, de nos jours, a évincé le droit à l’oubli et l’on commémore tant que l’on peut. Mais ne peut-on commémorer que le passé ? La journée de la femme, judicieusement placée le 8 mars, permet de penser que non. En effet, si on se place au point de vue du chroniqueur Alexandre Vialatte, la femme, remontant à la plus haute antiquité, peut être commémorée. Mais, selon la vision du poète Aragon, la femme est l’avenir de l’homme et la journée du huit mars peut aussi être considérée comme la commémoration de cet avenir.

On voit par là que l’avenir est à la commémoration du futur. Qui mieux qu’un poète communiste pouvait nous le faire comprendre ?

jeudi 21 mai 2015

Le cabot de Fortunio (46)

-          Attends, je suis pas dans le portefeuille de ton assoce ni dans le tien mais je crois qu’il faudra bien mouiller les milieux officiels. Vous avez cinq-cents mille à balancer comme ça ?
-          Ben, rappelle-toi le paquet que tu m’avais confié, ça faisait déjà dans les cent. Ensuite, la fondation peut assurer au moins deux-cents. Et moi, j’hypothèque mon garage, je fais facile les deux-cents restants. Bien sûr, ça ne me réjouit pas mais que faire, sinon raquer ?
-          J’en sais rien. Mais ça fait léger, non, cinq-cents à la place de dix boules ?
-          Je sais mais j’allais pas promettre trop haut avant d’avoir, comme tu le dis si bien, tâté les milieux officiels. Mais le principe, pour eux, c’est de ne pas payer de rançon, quitte à fermer les yeux quand ce sont des employés de grosses sociétés et que ces sociétés négocient directement…
-          D’accord, mais vous n’avez pas les mêmes moyens qu’eux, je suppose…
-          Non, mais ça c’est mon problème en quelque sorte, sans vouloir te vexer. Je raccroche, excuse-moi, mais on aura d’autres occases pour se reparler. Et en direct, ça serait mieux, si tu vois ce que je veux dire
Et en effet, il raccroche. Je vais encore passer une sale nuit.
Mercredi, je traîne ma langueur sur le chantier, puis le jour suivant et ce n’est que vendredi matin que François rappelle :
-          Bon, en vitesse : les mecs se sont rabattus sur un million, ça n’a pas été comme sur des roulettes mais je suis certain qu’ils ont intérêt à faire vite, à prendre l’oseille fissa sans laisser pourrir.. .
-          Et tu as les finances ?
-          Il manque encore cent-cinquante. Ceux-là, je ne sais vraiment pas où les trouver, mais je vais trouver…
-          Si ce n’est que cela, je peux essayer de faire quelque chose, il me faut juste un peu de temps.
-          J’en sais rien, à toi de voir si tu crois vraiment que cela t’est possible. Mais quoiqu’il en soit, une chose est de savoir où trouver le fric et une autre chose est de l’avoir dans une valoche, prêt à servir, si tu vois ce que je veux dire…
-          Oui, je vois, t’inquiète, je sais ce que ça veut dire. On se rappelle quand, à ton avis ?
-          Ce soir. Mais on ne va pas pouvoir continuer à tchatcher comme ça au téléphone, n’oublie pas qu’on est sur les ondes…
-          Si tu le dis. Alors à plus ?
-          A plus, oui, ne m’appelle pas, c’est moi qui appellerai si nécessaire. Peut-être pourrait-on se voir, je sais pas, si tu avais l’occasion d’aller sur Moissac par exemple, ça me ferait moins de chemin… On verra, ciao !
Le temps paraît bien long, je pense tout le temps à Eliane. Comment cela se passe-t-il pour elle, dans quelles conditions une femme seule peut-elle vivre un pareil enlèvement… je m’imagine le pire puis je tente de me rassurer, ensuite ces questions reviennent me tarauder le cerveau.

Le soir je trouve dans ma boîte aux lettres une enveloppe avec un exemplaire d’un grand journal du soir, daté du mercredi. Je feuillette distraitement ce quotidien quand, arrivé aux pages culturelles, un titre me saute aux yeux :
(à suivre...)

dimanche 17 mai 2015

Chronique du temps exigu (156)


« Le mieux est l’ennemi du bien ». Voilà encore une sentence frappée au coing du bon sens. Ce dicton a déjà fait l’objet d’une chronique dans laquelle j’avais laissé la place à un glorieux ainé[1] qui nous avait entraîné dans un dédale de réflexions, revenons-y donc après avoir vu ce que peut être le bon sens.
Le bon sens est une variété de cognassier que nombre de gens affirment posséder dans leur jardin mais méfions-nous des contrefaçons. Le plus redoutable bon sens est celui que d’aucuns nomment bon sens paysan car bien souvent il n’a rien ni de bon sens ni de paysan (comme celui qui en parle car un vrai paysan ne parle pas  de bon sens paysan, voyons !) mais cela permet à celui qui déclare en être pourvu de dire ou de faire quelque stupidité en la parant des habits d’une vérité terrienne supposée. Alors que la vérité, comme l’on sait, aime à se promener toute nue… Laissons donc ces citadins à leurs mythes.
Après ce nécessaire préliminaire, voyons si le mieux est l’ennemi du bien. Notre exégète nous avait expliqué que si le mieux est l’ennemi du bien, le mal, ennemi lui aussi du bien, pourrait donc être l’ami du mieux et le mieux ainsi devenir plus mal que bien ou réciproquement. C’est à ce moment-là qu’il nous a lâchés pour fuir le minotaure.
Voyons ce qu’il se passe de nos jours : on voit de partout des diplômés, des sportifs de haut niveau, des chefs ainsi que des têtes pensantes prôner l’excellence en tout : citius, altius, fortius [2]devisait Coubertinus. Et pourquoi, croyez-vous ? La réponse est simple : faire plus, c’est s’autoriser à ne pas devoir faire assez ; faire mieux, c’est s’exonérer de bien faire et le meilleur n’est bien souvent que l’absence du bon. Un exemple ? Voyez ces Top chefs que l’on exhibe sur les écrans, ils sont là pour montrer au bon peuple tout ce qu’il n’aura pas et dont il n’a par ailleurs nul besoin. Tout cela pour faire passer l’amère potion des légumes monsantisés, des viandes hormonisées et des boissons frelatées que les sponsors vendent au consommateur de base dans les supermarkets de la planète.
Vous avez bien compris, le plus est une manière d’occulter le fait qu’il suffirait d’avoir assez, le meilleur permet de dissimuler l’absence du bon et le mieux est une façon de s’exonérer de ne pas être capable de bien faire. Un autre exemple : voyez ces bordures de champs brûlées par le désherbant là où il pourrait y avoir des herbes sauvages, des fleurs et des petits animaux. Il ne suffit plus de désherber un champ, encore faut-il détruire la vie qui l’entoure… on voit là que le bon sens paysan a ses limites, même chez le paysan. Le plus, le mieux et le meilleur sont les diverses figures du trop que les classes dirigeantes, scientifiques ou médiatiques nous infligent au détriment du suffisant.
On voit par-là qu’avec le culte du trop et le trop de culte l’effet se recule.




[1] Dans la chronique du 23 juin 2013.
[2] Plus loin, plus haut, plus fort.

jeudi 14 mai 2015

Le cabot de Fortunio (45)

-          Plus simple si tu veux. Mais en général, c’est beaucoup de fric, si tu comprends ce que je veux dire…
-          Je n’avais pas pensé à ça, bien sûr.
-          Voilà, c’est tout ce que je peux te dire pour le moment. Le point le plus intéressant, c’est que les milieux autorisés, pour reprendre l’expression, ne se désintéressent pas de l’affaire. En gros, ils ne veulent pas marcher sur des œufs et surtout pas faire une omelette…
-          Sans commentaire.
-          Non, inutile. Bon, maintenant notre histoire Sameli, Adso & Cie : le camion appartient à un gars qui a plusieurs animaleries en région parisienne. Evidemment, on ne peut pas savoir où il a déposé son chargement mais l’enquête a démarré et on a mis les collègues là-haut sur le coup. Il n’y a plus d’urgence du côté de Sameli et il vaut mieux enquêter discrètement, les laisser jouer leur jeu et les coincer quand on aura vraiment des biscuits pour se lancer dans une perquise. Mais je crois qu’on tient une bonne affaire. Bon, les petits trafics de fumette ou bagnoles ou autres, c’est rien ça. Mais le trafic de clébards, ça fait un bout de temps qu’on cherche sur la région, à cause d’un tas de disparitions inexpliquées…
-          Quand je pense… ma Flèche, si le gars Adso n’avait pas capoté, elle serait dans une de ces cages, bordel !
-          Ah sûr, le mec a dû voir ce clebs et le charger dans sa caisse, y’a pas de petit profit…
-          Va falloir que je lui explique, à elle, elle peut m’être reconnaissante…
-          Et à ceux qui t’ont un peu forcé la main, une certaine nuit. Allez, je te laisse, c’est pas que je m’ennuie mais j’ai à faire. On se tient au courant pour ta copine Eliane. Ciao !
Il raccroche, je raccroche, nous raccrochons. Je suis impatient d’en savoir plus mais inutile de rappeler François, je sais que dès qu’il aura quelque chose, il appellera.
Donc, je passe une après-midi languissante, heureusement qu’il y a le boulot pour me prendre la tête. Mais la soirée me paraît longue, longue. Je passe une nuit agitée et pleine de rêves. Puis le matin arrive, puis la matinée de boulot. Ensuite l’après-midi et enfin, le soir, François appelle.
-          Bon, mon Fortunio, ça y est, on a un contact. Mais c’est pas la joie, on a affaires à des crapules qui veulent une rançon…
-          Combien ?
-          Je te dirais bien de dire un chiffre mais j’ai pas envie de jouer. Dix millions…
-          D’Euros ?
-          On parle plus en francs, de nos jours, mon pote…
-          Et alors ?
-          Ben, qu’est-ce tu veux que je fasse ? J’essaye de négocier…
-          Et le gouvernement dans tout ça ?
-          Attends, j’ai eu un contact mais il est bien précisé de ne pas mêler le gouvernement ni la police ni qui que ce soit à tout ça…
-          Ouais. Et tu négocies sur quelle base ?
-          Cinq-cents mille, j’ai annoncé…
-          Et ton contact, il a dit quoi ?
-          Rien, lui c’est un contact, il transmet…
-          Et tu vas filer tout ce fric ?

-          Ben, j’sais pas, il fallait bien dire quoqu’chose…
(à suivre...)

dimanche 10 mai 2015

Chronique du temps exigu (155)

Aujourd’hui, dimanche, le texte d’une chanson de Boby Lapointe, ingénieur-musicien-poète-calemboureur.
Revanche (Boby Lapointe)

Le Lundi je mendie
Le mardi je mendie
Et l'mercredi, et le jeudi
Le vendredi, le samedi
Mais quand qu'c'est qu'c'est dimanche
J'paye un croissant au chien
Le chien lui il s'en fout...
Ça ou du pain...
Mais le bourgeois qui passe
Sur le trottoir d'en face
Ça le fout en pétard
C'est rigolard
Et j'en jouis
Toute la nuit
Jusqu'au lundi !

Et l'lundi je mendie... bof...

jeudi 7 mai 2015

Le cabot de Fortunio (44)

-          Tu veux rire ! Et quoi ? On le dépasse, on se met en travers de la route et on les arrête ? On est pas au Far-West, on n’est pas des shérifs. Par contre, on va s’arrêter pour regarder ce que donnent les photos, j’ai noté le numéro d’immatriculation mais c’est mieux en photos, c’est mieux pour l’enquête.
-           S’il y a enquête, je préfère ne pas y être mêlé…
-          Meuh non, sot ! Qu’est-ce que tu crois ? Je ne vais pas te demander de témoigner ni quoi que ce soit… élémentaire, mon cher Watson !
-          J’aurais dû me rendre compte dès le début que t’étais du genre Connard Doyle…
-          Toi, ton petit déjeuner n’est pas passé ou alors il t’en faut plus. A Villeneuve, je te paie un café et des croissants, il y aura bien quelque chose d’ouvert.
-          Eh bien voilà, tu sais parler aux hommes, mon pote.
Il s’arrête sur un ancien morceau de route recyclé en aire de parking. Nous regardons les photos. Il a un sacré appareil, le Raymond : sans flash, dans le petit jour entre chien et loup, il y a au moins une photo sur laquelle la plaque et la marque du camion sont bien visibles. Il est immatriculé 87, la Haute-Vienne. Nous repartons et, à Villeneuve, nous trouvons en effet un café en centre-ville, équipé de croissants et d’une machine à expresso.
Raymond me dépose peu avant dix heures chez moi où Flèche m’accueille avec joie. Malgré sa présence, j’ai l’impression d’un grand vide, il faut que je fasse quelque chose et je pars avec le chien pour une grande balade. Il ne faut pas croire qu’il n’y a que des champs de tomates et de patates (avec des nitrates) dans la région de Marmande et nous partons pour trois heures. La marche m’a fait du bien, je mange un bout et m’attribue une heure de sieste pour récupérer du lever matinal. Vers seize heures, je me sens beaucoup plus clair et je pense à Flèche : qui va s’en occuper si je pars ? J’aurais pu sonder Livron mais point trop n’en faut. Et dans le voisinage, je ne vois guère, pas plus que mes ouvriers. L’illustre Dingley ? Non, il est trop imprévisible. Bon, j’appelle Méva, qui mieux que lui ? Coup de bol, il est chez lui et d’accord pour un gardiennage tant sine die qu’à durée indéterminée. Cela dit, il faut bien que je lui explique en deux mots la raison de mon éventuel départ mais c’est toujours un plaisir de causer avec lui.
Le lendemain, sans plus de nouvelles, je passe sur mon chantier où je mets mes gars au courant de mon possible départ puis je vais faire des approvisionnements. La matinée se passe ainsi et, pendant que je mange, mon téléphone sonne.
-          Fortunio ? C’est Raymond. Ecoute, j’ai plein de choses à te raconter. Mais d’abord sur ton affaire, j’ai eu mon frangin hier soir et il vient de me rappeler. Alors, en gros ce qu’il a pu savoir c’est qu’au niveau de la Chancellerie, on n’est pas très motivé par cette histoire. D’abord, ton ONG n’est pas un poids lourd de l’humanitaire, excuse-moi de te dire les choses un peu crûment… Ensuite, on sait pas trop de quoi il retourne et le gouvernement du Gondo ne veut pas trop se mouiller, ça se passe dans des régions frontalières et ils ne veulent pas d’incident diplomatique. Donc, ça c’est déjà une donnée importante, d’après mon frangin. Mais, car il y a toujours un mais dans ce genre d’affaire, les milieux généralement bien informés, si tu vois ce que je veux dire…
-          Je vois, je vois, accélère, Raymond !
-          Oui, j’y arrive. Disons que les spécialistes pensent que ce n’est pas une action politique mais qu’il va y avoir une demande de rançon.
-          Et alors ?
-          Ben, ça serait ni mieux ni moins bien mais la seule négociation possible dans un cas comme ça, c’est le fric.

-          Oui, c’est plus simple, enfin…
(à suivre...)

dimanche 3 mai 2015

Chronique du temps exigu (154)


« Puis, après avoir flâné dans les rues, je décide de me payer un restau et pourquoi pas aller à Lamothe, à La queue de poêle  chez Emma. Elle n’a pas son pareil pour préparer la caille au chou et, il y a quelques années, je lui ai appris que la caille est un petit gibier délicieux dont le nom se prête aimablement à bon nombre de contrepèteries. » Cette phrase est extraite du feuilleton du jeudi et vous avez déjà compris que nous allons parler d’un procédé littéraire appelé contrepet ou contrepèterie, à ne pas confondre avec le calembour, ou jeu de mots, ni avec le kakemphaton, jeu de mots fortuit.
La contrepèterie, selon les experts, est l’art de décaler les sons. Sous des dehors anodins, elle cache souvent une traduction plutôt grivoise. Mais il y a aussi la contrepèterie de salon qui peut être captée par toutes les oreilles, ad usum delphini… Les moustiques sont partis, les mystiques sont partout en est un exemple. Mais si votre garagiste vous parle de la valve de la culasse, craignez le pire ! De même si votre maçon ne s’entête pas à regarder le béton vu qu’il triture les bétons à la tonne.
Donc, pour revenir à ce petit restaurant, on y servirait pour commencer un petit coup de bouillon puis de la macreuse au sel avec le cumin d’aigre-doux, de la brandade au lard pour finir avec des cèpes sucrés, le tout arrosé d’un cru coûteux, ce cru-là, c’est pas un cadeau ! L’art de découper les cailles permet de montrer une belle coupe. En dessert, une mousse à la pistache, vous lècherez les grains de la sauce.
Une lectrice, tricoteuse dans les Pouilles, me signale que je ne me gêne pas pour en glisser çà et là dans mes romans : « L’Afrique plaît aux nippones », dans le Magot de Fortunio et « Le verger des muses » dans Dernier Tableau (entre autres).
C’est toujours un plaisir que de laisser à votre interlocuteur le choix sur la date pour brancher les colonnes. Mais quand le contrepet se glisse incognito, n’insistez jamais vous l’éventeriez.

 On voit par là qu’il n’y a pas loin du pécule à la contrebasse.