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jeudi 30 août 2018

Le temps de l'éternité (18)


-          Oui, il la vendit à Aimé Birgat, négociant d’Agen. Quatre générations de Destel s’étaient succédées en près d’un siècle à La Furetière et maintenant le domaine passait en d’autres mains. Etienne et Diane s’installèrent non loin de Biarritz et y finirent leur vie.
-          Et ce sont les descendants de ce Birgat qui sont encore propriétaires du domaine ? demanda Pijm.
-          Oh non, répondit Tin Quiète. Mais Aimé gardera le domaine pendant plus de quarante ans. Célibataire, il passait sa vie entre sa maison d’Agen et La Furetière. Passionné par la culture des orangers, il fit construire une orangerie pour abriter ses arbres pendant l’hiver. La vie à La Furetière fut bien plus calme que précédemment. Aimé aimait à inviter les enfants du voisinage pour des goûters qu’il organisait l’été dans l’orangerie.  Devenu âgé, Aimé donna ses biens en viager à un couple d’agenais qui s’occupèrent de lui. A son décès, ils ne voulurent pas garder le domaine et le vendirent à un allemand qui cherchait à s’installer dans le sud de la France dans la mouvance d’Otto Rahn, le chercheur de Graal. Mais il prit peur en 39 et revendit rapidement le domaine pour regagner l’Allemagne.
-          Et pourquoi a-t-il choisi La Furetière ? s’enquit Pijm.
-          Ce serait trop long à raconter. Ce type était en quelque sorte un illuminé pour qui La Furetière détenait un secret légendaire.
-          Et alors, à qui a-t-il vendu ?
-          A un financier qui garda le domaine pendant cinq ans. Et là, mon petit Pijm, je vais te dire une chose. Je ne peux pas tout dire, notre discussion se termine. Peut-être nous reverrons-nous, peut-être continuerai-je à te raconter, ou peut-être plus jamais, jamais…
-          Mais alors, qui est propriétaire maintenant ?
-          Tu n’as plus besoin de moi pour le savoir, tu demanderas soit à Christian, soit aux gens de la région. Je t’ai dit ce que personne ne sait, je ne te dirai pas ce que tout le monde sait. Sache seulement que maintenant tu en sais plus que quiconque sur La Furetière et cela pèsera lourd sur toi. Ne t’amuse pas à jouer les curieux gratuitement car il y a des savoirs auxquels on se brûle si l’on n’y prend garde. Au revoir, peut-être, Pijm.

Maintenant, Pijm passe brutalement de la pénombre de la petite église qui disparaît à la faible lumière matinale dans laquelle on aperçoit le pan de mur en ruine. Il ne pleut plus mais le sol autour de lui est détrempé. Il regarde sa montre, six heures dix. Il a passé toute la nuit à écouter ce diable de petit homme. Ou a-t-il rêvé ? Non, il n’a pas rêvé… pourtant, il n’y a plus d’église, plus de petit homme et lui, Pijm, est parfaitement sec alors qu’il a plu toute une partie de la nuit. Il remonte le chemin, ses chaussures se chargent de boue, le fossé déborde entraînant des cailloux et des branches sur le chemin. Il glisse et manque tomber presqu’à chaque pas. Enfin il arrive sur le chemin dans les bois, il lui semble se reconnaître. Dans le chemin enherbé, l’herbe a été aplatie par le ruissellement de l’eau. Il arrive à sa voiture, sort ses chaussures pleines de boues et se met au volant, enfin rassuré.

*
(à suivre...)

dimanche 26 août 2018

Chroniques de l'été 2018 (7)


Rediffusion du dimanche 20 janvier 2013.

Chronique du temps exigu (43)


Je parlais dimanche dernier de l’amiral et voilà qu’il me téléphone ce mercredi. Quoi ? Un coup de fil de cap ! Est-ce bien possible alors qu’il a en horreur ces instruments sans pitié pour nos oreilles ? Oui, je vous le dis, c’était bien lui qui m’appelait d’Honfleur où son brick « La Marrante » était à l’ancre, immobilisé et en panne de son énergie vitale.
Comme nous l’avons vu dans la 28ème chronique, cap avait découvert une énergie renouvelable et inépuisable pour mouvoir son élégant, quoique d’origine britannique, brick. Il s’agit de l’énergie scolaire, cette fameuse énergie en réserve dont l’exploitation et l’utilisation sont brevetées par cap et permet de propulser son navire à plus de dix-sept nœuds contre le courant sur la Seine. Sans voilure et donc sans mât, sans cheminée et donc sans fumée, ce vaisseau fend les eaux les plus hostiles comme les plus calmes et passe alertement sous les ponts. Comme l’aurait dit Apollinaire : «  Sous le pont Mirabeau, passe le cap ! ».
Toutefois, vous n’êtes pas sans savoir et vous resterez sans ignorer que, ce mercredi, les syndicats des enseignants ont déclenché un mouvement de grève et décidé une journée d’action. Evidemment, un mouvement qui dure toute une journée d’action, cela a provoqué une débauche inhabituelle d’énergie scolaire qui a laissé sans ressources notre amiral et sa « Marrante ». Nous étions convenus de nous retrouver sur le quai de la Ménestrandise pour quelque agape dans un bistro connu de nous seuls et voilà cap dans l’impossibilité d’honorer ses engagements. Il a donc mis à l’eau une chaloupe pour accoster au port et me téléphoner d’un petit bistro d’Honfleur où il avait notamment dégusté une part de schwarzwälderkirschtorte directement importée de Tryberg, haut lieu de la fabrication du coucou en Forêt-Noire, arrosée d’un délicieux gewurztraminer. Il avait un peu abusé de cette boisson et la conversation fut un peu longue, l’alcool rendant difficile la prononciation de ces mots germaniques au gosier francophone et irrigué de notre ami.
Remis de ses émotions, le lendemain, il fit parvenir par câble un message de solidarité au ministre de l’Education dont le ministère s’était de même retrouvé comme la bouteille, à l’encre.
On voit par-là qu’une bonne action et un bon mouvement ne sont jamais perdus.

jeudi 23 août 2018

Le temps de l'éternité (17)


-          Pas si vite, pas si vite, nous y arriverons. Le projet de récital semblait donc fort compromis. Etienne était sens dessus dessous, il ne savait pas où il en était. Il pensait que Diane ne reviendrait pas et il prit la décision de lui écrire pour lui dire qu’il l’aimait et voulait absolument la revoir : soit elle revenait à La Furetière, soit il se rendait à Paris. Son courrier arriva chez Diane, à Paris. Elle venait d’accepter de prendre en main l’organisation du concert. Elle ne pouvait plus reculer, il avait été décidé avec les époux Vinié qu’elle reviendrait à La Furetière en même temps qu’eux. Diane avait vraiment apprécié son séjour, malgré le différend qui avait opposé Etienne aux deux autres. Elle se sentait des affinités très fortes avec Etienne, de l’amitié peut-être, mais pas de l’amour. Elle répondit à Etienne par retour et tout cela, elle le lui dit dans sa lettre. Elle revint avec les Vinié, Etienne se mit en quatre pour les accueillir et le projet redémarra. Diane avait eu l’occasion de voir Etienne un moment en tête à tête pour éviter tout malentendu. Etienne l’assura qu’il la seconderait au mieux et s’engagea à faire taire ses sentiments jusqu’à la représentation. Diane se sentait à l’aise dans ce rôle d’organisatrice, avec à ses côtés son chevalier-servant. Tout se passa bien, l’organisation fut parfaite, le temps favorable et la prestation de la cantatrice, sans être exceptionnelle, fut de grande qualité. Pour Diane, la fin de la représentation marquait la fin d’une tension très forte, elle n’avait jamais organisé un spectacle, de plus en plein air, avec tous les imprévus possibles. Cette réussite la rendait euphorique et Etienne sut en profiter le soir même. Il la reconduisit à sa chambre et elle n’eut pas le désir de le repousser. Ils passèrent la nuit ensemble. Diane tenta bien de se soustraire le lendemain à ses assiduités, elle reprit le chemin de Paris, mais Etienne était obstiné. Il vint à Paris, suppliant, cajolant, presque menaçant parfois. Et il finit par avoir gain de cause. Diane accepta de l’épouser, de le suivre dans son domaine de Bourgnazan et d’abandonner son métier de créatrice de décors. Elle se mit à la peinture et trouva un certain bonheur dans cette vie retirée à la campagne. Mais sa santé se dégrada et ils durent envisager de quitter La Furetière. Diane, sur le conseil des médecins, faisait de longs séjours sur la côte basque. Ils avaient trouvé une maison qui leur plaisait dans cette région, mais ils ne pouvaient assumer les frais d’entretien d’une maison et d’une propriété comme La Furetière. Etienne avait été approché par un négociant agenais qui était intéressé par le domaine, mais la vente restait soumise à l’accord d’Emilienne. Et celle-ci refusait de laisser vendre La Furetière.
-          Et Etienne est allé la voir à Nantes ? demanda Pijm.
-          Oui, mais seulement parce qu’il avait découvert le secret d’Emilienne, ce secret si bien gardé, mais dont Etienne a pris connaissance un peu par hasard. En effet, ni Anna ni Emilienne n’avaient jamais parlé de quoi que ce soit. Ce qui avait pu se dire entre elles, nul ne le sait : Anna avait eu un enfant et Emilienne s’était durement vengée de ce que lui avait fait subir Anna. Mais rien n’avait filtré. Sauf…
-          Sauf quoi ?
-          La cantine de Raymond était arrivée, expédiée depuis l’Algérie, bien après le décès de Raymond. Et cette cantine fut montée directement dans le grenier, sans être jamais ouverte. Longtemps plus tard, Etienne voulut mettre de l’ordre dans ce grenier, espérant un jour pouvoir vendre le domaine. Il avait fait descendre la cantine dans son bureau et il se mit en devoir de l’inventorier. Parmi une foule de choses qui lui parurent sans intérêt, il trouva des lettres d’Emilienne à son frère. Ces lettres ne laissaient aucun doute sur l’identité du père d’André 2. Emilienne suppliait son frère de revenir car lui seul, pensait-elle, pourrait l’aider à reprendre son enfant. André 2 donc était le fruit de l’inceste, Emilienne aimait son frère et voulait avoir son enfant pour elle. Raymond ne répondit pas aux lettres d’Emilienne, mais il n’emporta pas non plus le secret dans sa tombe : les lettres étaient trop explicites pour qu’Etienne eût aucun doute. Il alla voir Emilienne et lui dit : « tu es ma grand-mère, agis en tant que grand-mère, laisse-moi ma liberté de vendre La Furetière. Je ne garderai pas tes lettres, je te les rendrai ou je les détruirai, comme tu le voudras. ». Terriblement émue, Emilienne autorisa Etienne à faire comme il l’entendait.
-        Et il a vendu La Furetière ?
(à suivre...)