– Oh non, pas vraiment, j’ai juste eu l’occasion de donner
un coup de main à monsieur André, son factotum. Je dois dire que, ce faisant,
j’ai eu l’honneur et le plaisir de participer à l’accrochage du magnifique
tableau dont Madame Le Blévec a fait l’acquisition. Mais pour autant je ne suis
pas un familier de monsieur Marondeau.
– Sacré personnage, il m’énerve, mais d’une certaine
manière, je l’aime bien, je ne sais pas pourquoi. Ou plutôt si, je sais
pourquoi. C’est un homme de caractère et un homme de goût, nous nous
ressemblons trop pour nous entendre, mais nous nous estimons. Enfin, moi, j’ai
de l’estime pour lui. Mais c’est une vraie tête de mule. Si vous avez
l’occasion de parler avec lui, essayez donc de savoir s’il a toujours un petit
tableau d’Artur Leyden, un petit paysage, une petite ferme…
– Je ne sais pas si j’en aurai l’occasion. Vous voudriez
l’acheter ?
– Non, J’aurais aimé qu’il en fasse don au musée de
St-Lambaire, pour les collections du musée. C’est une pièce rare, le seul
paysage que Leyden aurait peint. Mais, comme je l’ai dit, Monsieur est une tête
de mule. Il exige que ce tableau soit en bonne place dans le musée, exposé en
permanence. Vous pensez bien qu’on ne peut pas décrocher une toile des cimaises
comme cela. On rentre un tableau dans les collections puis, un jour, lorsqu’une
place se dégage, on peut espérer l’exposer. C’est une question de temps…
– Il l’a peut-être vendu, il a bien vendu une marine à
Madame Le Blévec !
– Oui, mais il est étrangement attaché à ce petit tableau,
je n’arrive pas à croire qu’il ait pu le vendre…
– Enfin, si j’en ai l’occasion, j’essayerai de voir si je
peux en parler. Mais, si je peux me permettre, je crois que vous êtes bien trop
jeune pour avoir connu votre… oncle, votre cousin… Artur Leyden…
– En effet, mais ma mère le connaissait. Ils étaient
cousins. Ils se voyaient peu mais son décès l’a profondément affectée.
– Il paraît qu’il est décédé dans des circonstances assez
mystérieuses, non élucidées…
– C’est vrai et finalement, en jetant un voile pudique sur
cette mort, on a fait planer encore plus encore de soupçons sur sa mémoire.
Enfin, aujourd’hui, pour bien des gens, c’est oublié. Si ma mère avait pu, si
elle avait vécu plus longtemps et surtout si mon père l’avait soutenue, elle
aurait cherché à faire réhabiliter son cousin. J’ai bien essayé de reprendre le
flambeau, mais on m’a fait comprendre qu’il valait mieux valoriser l’œuvre
plutôt que réhabiliter l’homme.
– On vous a fait comprendre… ?
– Vous savez, dit-elle en souriant largement, j’ai beaucoup
de gueule, comme on dit chez nous en Gascogne, je sais me battre contre des
moulins à vent, mais on ne peut pas passer sa vie à ramer à contre-courant.
Surtout toute seule. Aujourd’hui, je suis mariée, j’ai des enfants, j’ai une
vie de famille, je ne pars plus en guerre contre vents et marées. Il y a cet
ancien conservateur du musée qui a écrit une monographie sur Artur et qui
aurait voulu aborder le sujet de cette mort accidentelle. Je n’avais pas assez
d’éléments pour l’aider à ce sujet. Il n’a retrouvé aucun témoin de cette
époque, aucun en tout cas qui ait voulu s’exprimer à ce sujet. L’enquête
elle-même a été vite bouclée et les journaux n’en ont pratiquement pas parlé.
– Je ne voudrais pas être indiscret, mais quand vous dites « on
m’a fait comprendre », peut-on savoir qui est cet on ?
– Je me suis exprimée un peu rapidement, répondit-elle assez
vite, je ne pensais à personne en particulier, je crois que c’est mon ressenti
plus que quelque chose qui aurait été exprimé…
Hervé sentit une gêne dans les propos d’Antonia, ce qui ne
pouvait que le surprendre étant donné la réputation de celle-ci. Elle reprit
néanmoins.
– Si cela vous intéresse, je pourrais vous faire passer ce
que j’ai comme documents en ma possession, je veux dire : le dossier que
j’ai transmis au conservateur. Vous avez une adresse mail ?
– Oui, je vais l’inscrire sur un bout de papier, un instant,
répond Hervé.
– Vous savez, cette affaire est ancienne, il y a peu de
chance de savoir un jour ce qui s’est passé en haut de cette falaise, mais cela
me laisse un goût de cendre et c’est pour cette raison que je ne peux pas
m’empêcher d’en parler. Je vous enverrai un mail et de votre côté, si vous
apprenez quelque chose, tenez-moi au courant. J’ai une réelle affection pour
Artur Leyden, cela peut paraître bizarre, mais c’est comme cela. Étant plus
jeune, j’aurais remué ciel et terre pour lui. Aujourd’hui, les choses ont
changé mais il y a toujours quelque chose qui s’allume en moi quand on parle de
lui. Merci, dit-elle en prenant le papier que lui tend Hervé, je vous promets
de vous envoyer ce que j’ai. J’ai l’impression que cela vous intéresse, qui
sait ? Je vous passe le témoin…
(à suivre...)