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dimanche 26 janvier 2014

Chronique du temps exigu (96)

Les comptes rendus journalistiques des procès en correctionnelle sont assez souvent édifiants.
Le tribunal de T. vient de condamner une dame pour avoir abusé de la faiblesse de son compagnon en fin de vie. En effet, celui-ci avait mis, tardivement, au nom de cette dame une assurance-vie afin de laisser quelque chose à cette personne qui lui avait prodigué son affection et ses soins jusqu’à ses derniers moments. Toutefois, après le décès, les enfants du monsieur ne l’entendirent pas de cette oreille et obtinrent de la justice la condamnation de la dame et le retour des fonds dans leur héritage. Je passe sur les détails car ce qui est le plus frappant dans cette condamnation, c’est qu’elle est basée sur une expertise psychologique du défunt réalisée, suivant les termes employés par le journaliste, a posteriori.
Premier point à éclaircir : une expertise a posteriori n’est pas une expertise réalisée par les voies intestines, comme certains pourraient le croire. Expertise n’est pas sondage. Ce n’est pas non plus une expertise qui serait rendue par les voies postérieures, on imagine mal un expert baissant ses braies devant un tribunal même si, quelque fois certaines expertises semblent légèrement flatulentes. Expertise n’est pas anal-yse. Non, suivant l’expression a posteriori il faut comprendre que l’expertise a été réalisée postérieurement aux faits.
Deuxième point à éclaircir : un expert n’a jamais d'a priori, un expert est toujours neutre, impartial et compétent, un expert dit le vrai là où un pékin ordinaire prêchera le faux. L’expert sait là où le vulgum pecus se satisfait de croire.
Cela dit, revenons à notre expertise psychologique réalisée a posteriori. En tant que simple citoyen, électeur de base et adepte de la marche à pied, on peut donc comprendre qu’elle a été réalisée post mortem et c’est bien cela qui est admirable ! Hélas, le journal ne dit pas comment ont été obtenues les données, il ne dévoile pas les arcanes du travail scientifique de notre expert et on ne peut que se perdre en conjectures. Les haruspices romains interrogeaient bien les entrailles des volailles, d’autres comme Orphée descendent aux enfers pour y retrouver les morts et certains font tourner les tables afin de les faire parler. Gageons néanmoins qu’un expert auprès des tribunaux dispose de moyens plus puissants encore pour définir la psychologie d’une personne décédée. Les experts en psychologie sont déjà infaillibles quand ils travaillent sur des personnes en vie et, on n’arrête pas le progrès, ils deviennent catégoriques pour les défunts. Cela n’est-il pas admirable ? Car une telle expertise est de plus incontestable, qui en effet oserait demander à un mort de se contredire ?

On voit par là que, comme le dirait Pasteur à Vialatte, le progrès fait rage.

jeudi 23 janvier 2014

Chronique du temps exigu (95)

Chronique du temps exigu (95)
« La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » disait en son temps Charles de Gaulle.
Certes, mais il semble que la politique de Corbeil-Essonnes se fera bientôt au panier, à salade s’entend. En effet, le maire de cette cité viendrait d’être mis en examen[1] pour « recel du produit d’infractions d’achats de votes », financement illicite de campagnes électorales » et « dépassement du plafond des dépenses électorales ». Cela n’est pas rien que d’être soupçonné de telles turpitudes, pour autant qu’il s’agisse bien de turpitudes…
Car on peut penser tout bas et même dire tout haut que ce n’est pas une sinécure de voter pour les élections municipales et, dans certaines communes (suivez mon regard… !), cela vaudrait bien une rétribution.
C’est ici qu’intervient mon ami l’amiral, ce cher vieux cap. Regardons les choses en face, me dit-il : nombre d’analystes politiques – et Dieu sait à quel point ce nombre est élevé chez nous – se lamentent en constatant la montée de l’abstention électorale dans notre pays. Les candidats qui rémunèrent ainsi leurs électeurs ne sont-ils donc pas de véritables humanistes et de sincères républicains qui donnent non seulement leur temps mais encore leur argent pour stimuler le désir de l’électeur indécis et abstentionniste ? N’est-ce pas là le meilleur moyen pour résorber l’inflation de l’absence aux urnes ? Plutôt que de se pencher sur le statut de premier édam de France, le président Hollande ne ferait-il pas mieux de proposer de légiférer en ce sens ?
Ah, cher cap, je reconnais bien là votre sagacité mais l’abstention n’est-elle pas le fleuron de notre patrimoine républicain ? L’électeur indécis n’est-il pas le parangon de toutes les vertus républicaines ? Et en définitive c’est bien l’indécis qui amène la touche finale, qui fait pencher le fléau de la balance et pare de vertus stochastiques nos choix électoraux. Allons, qu’il ne soit point question d’argent entre nous et nos élus et laissons les indécis nous gouverner, une fois à droite, une fois à gauche et vice-versa.
On voit par là que nous ne nous laisserons pas péter les urnes.



[1] Journal « Ouest-France » daté du 18/19 janvier 2014.

dimanche 12 janvier 2014

Chronique du temps exigu (94)

Statistiquement, on peut décrire l’électeur sous diverses formes. On peut en effet parler de l’électeur moyen - qui se trouve dans la moyenne -, l’électeur médian - qui se trouve au milieu de la distribution - et l’électeur médiocre qui forme le gros du troupeau électoral.

L’électeur médiocre est d’une race particulière. Il élit tous les cinq ans un nouveau président et un nouveau parlement puis pendant cinq ans une moitié de ces électeurs regrette son choix et l’autre moitié abreuve de quolibets venimeux la moitié précédente. Puis, au bout des cinq fatidiques années, cela repart dans l’autre sens. Et maintenant avec le système internet, des pps et autres gugusseries circulent, recyclables à l’infini. Ce genre de fonctionnement permet à l’électeur de se dédouaner de son ignorance, de sa résignation et de sa médiocrité. Ainsi pendant cinq ans, la gauche médiocre rouspète contre les subventions données aux riches non-nécessiteux et pendant les cinq années consécutives la droite médiocre s’indigne des subsides accordés aux nécessiteux. Par exemple, l’autre jour, un monsieur aisé et salarié d’une grande entreprise française s’élevait contre l’attribution du RSA en faisant mine d’ignorer que son propre emploi coûtait plus cher à l’Etat qu’une demi-douzaine de RSA, par le biais des subventions et exonérations attribuées à la grande entreprise dont il est question. Juste une histoire de paille et de poutre.
L’électeur médiocre s’occupe donc comme il peut mais n’a pas de temps à perdre car il ne manque pas de passionnantes émissions de télévision pour lui permettre de cultiver son intelligence chafouine. Et, pour ce qu’il en est de la pensée politique, autant laisser cela aux professionnels de la pensée. En effet, il existe des gens dont le métier est de penser pour les autres. On pourrait appeler cela l’ingénierie de la production d’idée. Evidemment, pour ces professionnels, il n’est pas forcément question de produire des idées neuves, on sait bien que si c’est neuf c’est plus cher, comme l’était Grouchy pour Napoléon. Ce qui compte, c’est de recycler des idées anciennes en les habillant de neuf. « Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques », avait proposé André Chénier mais cela lui a fait perdre la tête et il n’est bien sûr pas question que nos spécialistes du Politneurone abandonnent quelque partie de leur corps, serait-ce même pour la patrie ! Donc ils se contentent de faire du neuf avec du vieux, de la pensée de droite avec des citations de gauche et une politique de gauche avec des arrière-pensées de droite. Et c’est bien là que l’électeur moyen s’y retrouve : il avale de la pensée politique comme ces hamburgers de fast-food, un pain mou coupé en deux et, alternativement, du jambon de droite, du fromage de gauche, de la salade centriste, de la sauce extrémiste et une pincée de développement durable. Le sandwiche peut être servi à toute heure et à tout électeur. Toutefois, c’est un aliment qui est plus simple à regarder qu’à manger car c’est toujours la sauce qui vous coule sur les doigts et, après usage, vous avez à la fois les mains sales et la nausée...
Lorsque ces professionnels se regroupent, ils appellent cela un think tank et rien que ce mot permet de comprendre que l’on n’est guère loin d’un fast-think, à savoir un prêt-à-penser utilisable ici, maintenant, ailleurs et autre part. Si cela n’apporte rien intellectuellement à personne, cela n’est pas grave car on aura au moins payé des penseurs à penser.

On voit par-là que la pensée inutilisée crée néanmoins de l’emploi.

dimanche 5 janvier 2014

Chronique du temps exigu (93)

L’année nouvelle est là et, depuis douze mois, il a tant été question de trains qui n’arrivent pas à l’heure, de riches, de pauvres, de glands, de banquiers, d’économistes, de sportifs, de saisons, de jours fériés, du fond des choses et du bout du monde que l’on pourrait craindre de n’avoir plus rien à dire.  Mais il y a aussi ceux dont on ne parle jamais, rappelons-nous ce cher Ernesto Che Cussotile : « vous ne parlez jamais, au grand jamais, de nous autres, les obscurs, les sans-grades, nous qui ne sommes ni beaux ni vilains, ni riches ni pauvres, ni sots ni esprits distingués, ni dieux ni maîtres et que sais-je encore ? »
Et parmi les grands oubliés de notre siècle, ceux et surtout celles dont on parle si peu, il y a dans un coin de notre mémoire la litote. Oui, la litote dont le caractère modeste est bien connu, figure de style discrète et réservée, arbre qui passe si souvent inaperçu dans la forêt des bouffissures, des exagérations et des grandiloquences, des hyperboles et des hypotyposes. Car qui de nos jours ose encore se servir d’une expression qui en dit moins pour en faire entendre plus ? Alors qu’il est de bon ton d’en dire plus et plus fort pour en donner à comprendre rien ou si peu.
Bien sûr, elle semble toujours utilisée pour minimiser les handicaps, les incapacités ou les infirmités mais ce n’est plus de la litote, c’est de l’euphémisme, du rabotage, une atténuation qui en dit moins pour en entendre moins comme l’autruche se met la tête dans le sable. Bientôt nous ne pourrons plus parler de crétins mais de mal-comprenants ni d’égoïstes mais de mal-partageants.
« Va, je ne te hais point », disait Chimène qui faisait de la litote ainsi que monsieur Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. La litote, c’est la force de la pensée qui n’a nul besoin de crier pour se faire entendre.
L’autre jour en me promenant, je croisai une vague connaissance qui, après que nous nous fûmes salués, dit en commentaire : « Il ne fait pas chaud ! ». Bel euphémisme, me dis-je en continuant mon chemin le long de la rue du Dutrout-Duquet, il fait moins dix au thermomètre ! Et deux minutes plus tard, je rencontrai mon vieil ami Ledug qui m’accosta en me disant : « Eh bé, avec un temps pareil, on supporte le slip ! ». Ah, pensé-je, mon bon ami Ledug est un litotélicien car voilà une belle litote !

On voit par là que l’avenir appartient à ceux qui vont aux litotes.