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jeudi 31 janvier 2019

Le temps de l'éternité (39)


Pijm approche une chaise, la tend au petit homme et s’assied sur une autre. Tin Quiète  se cale contre le dossier, croise ses courtes jambes et reprend son histoire au dix-septième siècle.
-          Bien loin de La Furetière, en Bavière, un jeune homme qui se faisait appeler Eichhorn travaillait comme élève dans l’atelier d’un maître. Mais à l’époque, une manière de parfaire son apprentissage était de faire un tour d’Europe et notre apprenti peintre partit sur les routes avec quelques adresses. L’Italie était pour lui l’étape la plus importante et il rejoignit Florence nanti d’une recommandation. Mais il arrive trop tard car le maître chez lequel il avait été envoyé venait de mourir. Il dut continuer son voyage et à Sienne, il put entrer dans l’atelier de celui qui deviendra son mentor, un certain Orbacca. Originaire de Florence, ce dernier avait dû quitter la ville en laissant des dettes derrière lui. C’était bon peintre mais au tempérament mystique et exalté. Tout ce que l’Italie comptait comme personnages étranges, mystiques, alchimistes et occultistes faisait étape chez cet Orbacca. Un jour, un voyageur venu du sud de la France raconta la légende de Fullin aux deux hommes. Peu de temps après, Orbacca eut la vision de la décapitation de Fullin et il n’en fallut pas plus pour qu’Orbacca envoyât son élève dans la petite communauté. Orbacca s’était forgé la certitude que Fullin était en possession du Graal, le calice dans lequel Joseph recueillit le sang du Christ et son élève se devait d’aller sur place pour rencontrer les membres de la petite communauté et s’imprégner  de l’esprit des lieux. Après quoi, il reviendrait à Sienne et ils réaliseraient le grand œuvre d’Orbacca. Eichhorn prit la route, son voyage fut long et pénible car il eut un rude hiver à traverser. Il était épuisé et malade en arrivant à La Furetière et c’est Amery Raimun de Saltanié, dernier de sa lignée, qui l’accueillit et le logea. Il était assez flatté par la présence d’un artiste venu de Bavière et de Sienne et il était lui-même féru d’occultisme. Dès le premier jour de son arrivée, il s’entretint longuement avec Eichhorn. Mais ce dernier fut pris par la maladie et dut garder le lit pendant une dizaine de jours avec une forte fièvre qui le plongea dans un délire où il eut lui-même plusieurs visions parmi lesquelles il était question d’un souterrain qui rejoignait La Furetière à l’église. A peine rétabli, il voulut voir les lieux : l’église, la clairière. Puis, il demanda à Amery de lui faire voir le souterrain. Ils se disputèrent violemment, Amery soutenant qu’il n’existait aucun souterrain. Il chassa Eichhorn de chez lui et ce dernier dut se résoudre à regagner Sienne. Le voyage fut encore plus long et il arriva à Sienne pour apprendre qu’Orbacca était mort dans des conditions étranges. Peut-être s’était-il suicidé car il était soupçonné de pratiquer la sorcellerie. Eichhorn dut s’éclipser rapidement et il reprit la route. Il prit le nom de Squirrel, prétendant venir d’Angleterre mais il fut assez vite démasqué alors qu’il était encore en Italie. Il regagna la France où il se fit appeler Deschamps et, après une longue errance, il regagna sa Bavière natale. Il eut la chance de se trouver un mécène qui lui fournit un atelier et le fit travailler. Il fit des peintures de commande jusqu’au jour où il put enfin réaliser le chef d’œuvre auquel il aspirait, le martyre de saint Fullin. Peu importe ce que devint le peintre mais le tableau finit dans les collections de la pinacothèque où Füllen le découvrit dans les années trente. Il se persuada aussitôt que Fullin avait été en possession du Graal et que son tombeau contenait, outre ses restes, le précieux vase, objet de tant de convoitises et de fantasmes ! Comme tu le sais, Füllen a disparu sur le front de l’est et ne profanera donc jamais la tombe du martyr.
-          Mais… y avait-il un souterrain ? demanda Pijm.
-          Bien sûr, mais Amery tenait à garder le secret. Ce souterrain avait été creusé sous les ordres de Raimun et devait servir en cas d’attaque pour se replier vers la tour si nécessaire. Tu devrais le savoir car c’est par là que tu es venu ce soir…
-          Mais, il est à moitié bouché ?
(à suivre...)

dimanche 27 janvier 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (20)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Comme l’aurait dit Antonio Gramsci, le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. Il est frappant de relire cette phrase maintenant en janvier 2019 alors que Gramsci avait dit cela dans les années 30, donc bien avant la naissance d’Emmanuel Macron et bien plus encore avant l’émergence des gilets jaunes. Bien sûr, il serait hasardeux de se lancer dans des parallèles avec l’époque où Mussolini avait fait emprisonner Gramsci pour l’empêcher de penser. Gramsci est mort en prison après onze années d’enfermement, le régime fasciste l’a privé de liberté mais n’a pas réussi à étouffer sa pensée.
Alors de quoi sont faits ces monstres qui apparaissent aujourd’hui ? D’un côté, nous avons l’économicisme, l’idéologie post-pompidolienne adoptée par tous ses successeurs, idéologie qui est aussi celle de l’Europe des technocrates. Selon ces idéologues, il n’y a qu’une seule bonne politique et c’est la politique de la finance, la politique des banques selon lesquelles la politique de la France se fait obligatoirement à la corbeille. Pour eux, le maître-mot c’est économie et ils se parfument de bons sentiments en prétendant que leur économie est au service de l’homme. Si tel était le cas, elle serait au service de l’humain en général. Mais leur système, c’est d’arroser m’sieur l’curé en pensant que ça dégoulinera sur le bedeau, à savoir on favorise les plus riches en prétendant que cela profitera, en dessous de ceux-ci, aux moins riches et ainsi de suite. Il est bizarre de voir à quel point ce qui se prétend être une science économique est en réalité un attrape-nigaud qui favorise toujours les mêmes. Et, pour eux, si l’économie est au service de l’homme, elle n’est certainement pas au service de la nature et de l’écologie sauf quand cela rapporte quelques sous.
Et les autres monstres alors ? Ce sont tous ces mouvements sociaux, qu’on les appelle populismes, gilets jaunes, nuit debout ou autres, qui réclament une démocratie directe dont je craindrais fort qu’elle débouche sur la loi des plus grandes gueules, ce qui n’est pas toujours un mal mais quand la démocratie se veut directe, c’est bien souvent qu’elle se prend un direct dans l’estomac. Et puis, en définitive, ce que veulent les agités, c’est plus d’argent pour eux et pas plus de réflexion sur l’avenir de l’homme et de la planète. S’ils prenaient le pouvoir, ils auraient vite fait de faire de l’économicisme à leur manière et à leur profit.
Et pendant ce temps-là, les réseaux dits sociaux – autres monstres - s’agitent, les nouvelles les plus alarmantes circulent, les médias bienpensants dénoncent les fake-news des gilets jaunes, le gouvernement en profite pour monter en épingle les dérapages – incontestables - des soi-disant « radicaux ». De l’autre côté on hurle à la manipulation et aux violences policières – preuves à l’appui – et le président continue sa mélopée technocratique du haut de son minaret.
On voit par-là que les journaux parodiques comme le Gorafi et NordPresse ne sauront plus où donner de la plume tellement la réalité devient pire que la fiction.

jeudi 24 janvier 2019

Le temps de l'éternité (38)


Entendant cela, Pijm recule de quelques pas.

-          Allons, allons, reprend Tin Quiète, tu ne le déranges pas. Écoute plutôt la suite. Après avoir galopé pendant deux ou trois minutes, Caparus reprit ses esprits. Il ordonna à ses compagnons de s’arrêter et les exhorta à revenir en arrière. Ils ne pouvaient pas revenir les mains vides, il fallait s’emparer du trésor de Fullin. Ses compagnons refusèrent tout net. Caparus se fâcha mais un de ses hommes lui lança à la figure qu’un homme qui n’était plus capable de trancher un col d’un seul coup d’épée n’était plus un chef. Une bagarre éclata, Caparus fut tué et ses hommes s’enfuirent en abandonnant son corps. Les fidèles de Fullin le découvrirent quelques jours plus tard et lui donnèrent une sépulture décente. Quant à Fullin, ils embaumèrent son corps du mieux qu’ils le purent. Ils établirent les fondations d’une église, cette église où nous sommes, et creusèrent un caveau au milieu du futur édifice. En creusant, ils firent jaillir une source et cela fut considéré comme un miracle. Tant et si bien que l’on prétendit plus tard que la source avait jailli spontanément…
-          Mais il n’y a plus de ruisseau ici ? demande Pijm.
-          Non, je t’ai dit que le cercueil de Fullin est à quatre mètres de profondeur. Au cours des siècles, les alluvions ont fait monter le niveau du sol, ont envasé la source, elle coule toujours mais en profondeur. Celui qui creusera la trouvera. Elle coulait avant et elle coule toujours. Et Fullin, lui aussi, est toujours là-dessous. Allons, je continue car on va y passer la nuit mais pas plus. Donc, Fullin a été enterré ici par ses fidèles. Il y a son corps et sa tête. Mais aussi…
-          Et son trésor ?
-          Ah, mon pauvre petit Pyjama ! Tu crois au Père Noël ou quoi ? Les fidèles se sont établis ici, dans cette vallée. Fullin avait en effet accumulé un petit magot qui devait servir à l’établissement d’une communauté. Et ceux qui ont pris la direction des fidèles ont respecté cette volonté. Fullin a été enterré avec toute la dévotion et tous les honneurs jugés nécessaires. Une seule chose devait l’accompagner : son calice. Il était trop précieux pour que ses successeurs puissent le vendre et d’une trop grande valeur pour ne pas le mettre à l’abri des concupiscences. Ce calice a donc été placé dans son cercueil. Il devrait toujours y être… il y restera encore longtemps ! Ensuite, cette église fut édifiée et servit de sanctuaire pendant plusieurs siècles, mais pour un tout petit groupe de croyants fidèles à celui qu’ils appelaient désormais saint Fullin. Le nom même de La Furetière tire son origine du nom de Fullin. Cette petite communauté fut considérée comme dissidente et jamais les autorités de la chrétienté ne reconnurent Fullin ni ne consacrèrent cette église. Ce petit groupe craignit d’être inquiété au moment de la croisade contre les Albigeois au treizième siècle et c’est à cette époque qu’ils construisirent une tour pour se défendre contre une attaque. C’est le début de la construction de La Furetière. Un homme dirigea les travaux, un certain Raimun de Saltanié qui s’était joint à la petite communauté. Ce soldat, plutôt un mercenaire, qui était arrivé là un peu par hasard et il avait épousé une des habitantes de La Furetière. Personnage courageux et doté d’un tempérament de meneur, il organisa la mise en valeur des terres et la défense des habitants. Il en devint en réalité le maître et créa une véritable lignée qui garda comme nom de famille « Raimun de Saltanié ». Cela dura plusieurs siècles et, la communauté s’effilochant, ils devinrent de fait les propriétaires de La Furetière et des terres. Mais les Raimun de Saltanié continuèrent à entretenir l’église et le souvenir de Fullin…
-          Cette famille existe-t-elle toujours ? demande Pijm.
-          Non mais laisse-moi poursuivre car il s’est passé quelque chose de vraiment intéressant au dix-septième siècle. Ecoute bien. Et assieds-toi, tu vas prendre racine !
(à suivre...)