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dimanche 31 mars 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (29)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Cela n’est pas une mince affaire de produire une chronique chaque semaine qui passe, vous le pensiez certainement et, au cas où certains d’entre vous en douteraient, je le leur dis ouvertement. Pourtant, il ne manque guère de sujets fort intéressants, par exemple dans l’actualité politique. Si les gouvernements précédents ne manquaient pas de donner matière à commenter, l’arrivée de la nouvelle génération forte de sa trop grande expérience politique fournit aux commentateurs une manne providentielle. Le président avec son arrogance de parvenu et ses godillots avec leur suffisance de petits marquis, ne sont jamais en panne de quelque sottise dont le chroniqueur pourrait faire son miel mais trop c’est trop et il ne m’est pas possible de m’en faire l’exégète chaque semaine. J’ai déjà fait l’impasse sur le grand débat, je ferai tout autant l’impasse sur le petit débat entre le président et ses intellectuels estampillés, sur la présence de l’armée face aux redoutables gilets jaunes ou sur les révolutions de cabinets ministériels, luttes intestines dont je ne me ferai pas plus l’écho.
Mais alors, de quoi parlerai-je sans empiéter sur les plates-bandes de mes confrères dont la palette variée fait la gloire de notre radio ? Car, de la cuisine en passant par le jardin, le vin, le rugby, le hand ou le basket, les bons plans, le tchi tcha (à vos souhaits), le style, le web, la marmite, l’actualité, l’horoscope, la météo,  le people, l’astuce, l’insolite et j’en passe certainement, que me reste-t-il sinon les astuces de nos cocasses de la politique ? Bien sûr, la France n’a pas le monopole du comique troupier, il suffit de voir les tribulations du Brexit ou d’écouter les déclarations de notre commissaire européen en chef pour comprendre que nous ne sommes en rien des privilégiés : sinon, je compte sur vous pour me dé-trumper !
Hélas, il est bien beau de regarder la politique sous l’angle du comique mais c’est au risque d’occulter tout ce qu’elle peut avoir de triste ou de dramatique. Dont acte.
Le printemps, lui, est là et bien là : il est arrivé avec le soleil et, comme le dit le dicton en Gascogne : « Lou soulèou mi fa canta, la plèou mi fa caga ». Vous excuserez mon accent pointu ! Chantons donc le soleil, chantons les jours qui rallongent, l’herbe qui pousse et les fleurs qui colorent les chemins. Et laissons pour un temps nos officiels pisser du vinaigre, les gens importants faire les importants et ceux qui se plaignent toujours de quelque chose se plaindre de ce qu’ils veulent du moment qu’ils iront se faire plaindre ailleurs.
On voit par-là que l’air est pur, la route est large et qu’on peut sans souci faire une chronique.

jeudi 28 mars 2019

Appelez-moi Fortunio (7)


Le premier janvier, lendemain de la veille, continuation du même jour et vice-versa, il se réveille à onze heures passées, la bonne heure pour prendre un petit déjeuner en attendant le concert du nouvel-an à Vienne. Sur France Musique, bien sûr, la télévision ne s’étant pas encore emparée de ce délicieux moment.
L’après-midi se passe, mollo mollo, de quoi digérer la fiesta de la veille et d’atterrir un peu, retrouver ses marques dans la maison et cela sans se presser, au tout petit trot.
Dix-huit heures passées, le téléphone sonne, c’est encore Mario. Il a de beaux restes, en quelque sorte, et se propose de débarquer chez Albert avec un gigantesque plateau de fromages et une miche de pain. Albert a la cargaison de juliénas ad hoc et rendez-vous est pris pour incessamment sous peu, le temps de laisser arriver Mario.
Dans le cadre de leur virile amitié, les deux gars se paient un intéressant casse-croûte et prennent encore date pour le lendemain soir pour débarquer avec foie gras et autres délicatesses chez la sœur d’Albert, le tout se faisant en avertissant l’intéressée et son homme au dernier moment. Pour la fête, d’après Mario, il n’y a pas mieux que l’effet de surprise.
Toutes les bonnes choses ayant une fin, Albert reprend peu à peu pied. Il avait des contacts à prendre pour des chantiers et le samedi arrive bientôt. Il a engrangé quelques petits chantiers à démarrer la semaine suivante. Question boulot, tout va bien mais il lui reste le vague à l’âme, le souvenir poignant de son amour perdu le prend au cœur, comme un coup de poignard.
Et voilà que, sans crier gare, vient le dimanche, un jour où d’ordinaire rien ne se passe. Pourtant il va se passer quelque chose, et c’est encore et toujours le téléphone qui sonne.
-          Bonjour, dit une voix féminine, c’est Christelle. J’avais dit que je t’appellerais…
Il va lui demander de quelle Christelle il s’agit mais se ravise.
-          Vous devez faire erreur, mademoiselle, je ne connais pas de Christelle…
-          Je n’insiste pas mais si tu as quelque chose quelque part dans la tête ou ailleurs, tu seras demain soir à 18 heures à L’As de Pique. Tu connais ce bar à Agen ?
-          Oui, c’est vers Jasmin, je crois…
-          Donc demain soir 18 heures, pour l’apéro. On verra pour après. A demain.
Elle a raccroché et Albert est perplexe. Cette Christelle, bien sûr, c’est cette nana avec laquelle il a dansé l’autre soir, ça lui revient. Du coup, il lui remonte l’impression d’avoir, comme elle le dit, quelque chose quelque part. Il ira demain dans ce bistro, comment s’appelle-t-il encore ? Ah oui, l’As de Pique !

*
(à suivre...)

dimanche 24 mars 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (28)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Dans son édition du dimanche 17 mars, un journal de la PQR (en français : presse quotidienne régionale), dans son édition locale du Lot-et-Garonne, publie un long article sur une école nationale basée dans le villeneuvois et qui n’est autre que l’ENAM, à savoir l’école nationale des ânes maraîchers. Bien sûr, moi qui ai tendance à lire un peu en diagonale, comme le fou du même nom, je crus que l’école nationale d’administration avait délocalisé son enseignement du Bas-Rhin vers notre département. Fort heureusement, la photo d’accompagnement fait voir un individu à quatre pattes, ce que ne sont ni nos apprentis énarques ni leurs enseignants, même si parfois leurs oreilles qui traînent partout peuvent prêter à confusion. En outre, nul âne ne sort diplômé de la première, ce qui, paraît-il, n’est pas le cas pour la seconde.
Mais foin de considérations auriculaires, parlons donc de cette école qui trouve toute sa place dans une région maraîchère comme la vallée villeneuvoise du Lot. Le journaliste, peu avare de considérations romanesques, parle carrément de retour aux sources. Je n’ai pas bien compris l’image mais un quotidien de la PQR est un quotidien de la PQR, que diable ! L’âne est donc, dans l’esprit de cette école, un outil privilégié pour la traction agricole dans les cultures de moins de 2 hectares. Et cette école est, paraît-il, unique en son genre. Elle a formé pas moins de cinquante élèves en 2018, quand je dis « élèves » je parle non pas des animaux d’élevage mais des humains qui viennent apprendre à conduire, guider et entretenir ces équins.
Mais dans l’activité de l’école, il n’y a pas que l’apprentissage de la conduite de l’animal, il y a aussi une seconde activité qui est l’éducation d’ânes destinés à la vente. Ces ânes arrivent à l’âge de 3 ans et sont éduqués pendant 6 à 12 mois. Le gros avantage de l’âne est qu’une fois qu’il a appris quelque chose, il ne l’oubliera pas. Qui de nous pourrait en dire autant ?
Je citerai encore l’article qui cite lui-même le formateur de l’ENAM, parlant de l’âne : « Petit, léger, dynamique et résistant, il est parfait pour le maraîchage, le bât (transport de charges), l’attelage de loisir, mais aussi pour créer du lien social et tondre le gazon ». Alors là, je dis ho ho ho ! J’ai personnellement pratiqué la gent asine pour avoir pris en pension une douzaine d’ânesses ainsi que leur étalon et je peux dire que pour nettoyer les prairies autant que les haies qui les entourent, l’âne est un animal parfait. Toutefois, pour prix de l’hébergement de ce petit troupeau, je devins propriétaire d’un ânon né entre mes mains et que je nommai Onésime. Ce charmant animal me plaisait bien mais je dus m’en défaire et passai une petite annonce dans les journaux avec le numéro de téléphone de mon plus proche voisin. Il y eut de nombreux appels mais régulièrement on demandait si mon âne tondait bien le gazon. Je compris vite que j’avais affaire à des habitants de lotissement qui croyaient avoir trouvé le moyen de posséder une peluche qui tonde le gazon. Et dix ou douze mois plus tard, sinon moins, j’allais voir revenir mes acquéreurs avec mon Onésime qui aurait grandi, se  serait mis à braire et aurait épuisé toute l’herbe de la pelouse de mes citadins. Mais, par la grâce du bouche à oreille, je vis arriver un paysan et son jeune fils, éleveurs de vaches et connaissant les joies comme les contraintes de l’élevage d’animaux vivants. Ils me négocièrent largement à la baisse le prix de mon animal mais leur prix fut le mien car je savais que mon Onésime serait heureux et bien soigné chez ces paysans.
On voit par-là que si vous avez du gazon, broutez-le vous-mêmes, achetez une faux ou quel qu’autre outil mais ne faites surtout pas le malheur d’un âne.

jeudi 21 mars 2019

Appelez-moi Fortunio (6)


-          Craignez, craignez… Donc, il dit, à propos de vous autres : un homme rampe à nos genoux, l’ennui s’enfuit à tire d’aile.
-          Ramperiez-vous à mes genoux, très cher ? Je comprends. Je crois que, d’une certaine manière, vous avez parfaitement raison…
-          J’ai encore trop parlé, je ne peux pas tenir ma langue…
-          As-tu remarqué que moi non plus, je ne sais pas tenir ma langue. Allons, je te laisse à toutes ces greluches, amuse-toi maintenant. Mais nous n’en avons pas fini, moi et toi, on se retrouvera. J’ai capté ton numéro de téléphone… Je t’appellerai. Vu ?
C’est une question qui semble ne pas souffrir pas de réponse et il se contente d’un sourire un peu niais. Il se rend compte un peu plus tard que le mari de sa cavalière, très occupé de son côté, fait partie de l’assemblée. Albert se dirige vers un buffet où il récupère sa coupe de champagne. René Cinsault vient vers lui avec une bouteille de roteuse.
-          Je crois, cher ami, que vous faites une forte impression sur notre médecin-psychiatre et c’est tout à votre honneur.
-          J’ignorais que madame fût toubib pour les fous : c’est en cela que j’ai dû l’intéresser. Ferait-elle donc partie de ce couple d’amis avec lequel vous vîntes ?
-          Nous vînmes en effet dans le même véhicule. Il faut dire que monsieur Setier a une grosse berline allemande d’un grand confort. Il aime tellement son confort qu’il néglige parfois sa femme…
-          Serait-elle trop anguleuse ? demande Albert,  déjà passablement éméché.
-          Angulé vous-même, cher ami. Foin de toutes ces considérations, si vous passez du côté de Caylus, prévenez-moi et je me ferai un plaisir de vous inviter à manger autant qu’à discuter de plein de choses intéressantes accompagnées de boissons acidulées.
-          Volontiers, répond Albert, mais voyez comme je suis occupé en ce moment...
En effet, deux copines viennent s’emparer des mecs et les entraînent à nouveau dans une farandole des plus sataniques. Vers cinq heures du matin, Albert n’en peut plus et décide de repartir. Les adieux sont splendides, on s’embrasse à qui mieux mieux. Puis il remonte dans sa pétrolette, affrontant le brouillard qui n’a pas cessé. Sur le chemin, il somnole un peu et fait une embardée, il ne peut éviter de traverser un fossé et se retrouve dans une prairie herbeuse. Cela le réveille brutalement. Sans difficulté il trouve une sortie et reprend son chemin, concentrant bien son attention sur sa conduite. Il retrouve son bercail sain et sauf. En entrant chez lui, il entend sonner le téléphone : c’est Mario, tous s’inquiètent de savoir s’il est à bon port et comme les voilà rassurés, Albert a droit à toute une kyrielle de bisous téléphoniques de la part de ses nouvelles copines. Il raccroche et se couche sans avoir même regardé s’il y a encore du bois dans le poêle.

*
(à suivre...)