En vedette !

jeudi 29 décembre 2016

René-la-Science (30)



Derrière la porte, le meuble, un gros buffet d’office, s’était complètement effondré, répandant des casseroles et de la vaisselle au sol d’une petite pièce sombre. Je n’arrivai pas à pousser suffisamment la porte pour passer et je poussai d’un nouveau coup de pal fer. La porte se disloqua elle aussi et, dans la lueur de ma lampe, je vis des termites qui grouillaient dans le bois. Ce qui expliquait que le meuble et la porte se fussent ainsi effondrés. J’arrivai enfin à pénétrer dans la pièce, une sorte de réduit dans lequel on accédait depuis le haut en descendant quatre marches. Nous montâmes ces marches et je poussai une porte, elle n’était pas fermée à clé. Nous entrâmes dans une cave voûtée, encombrée de fûts, de bouteilles vides et d’outils de toutes sortes.
— On doit être dans les caves du château de Montieu-Sciérac, dis-je doucement à Michel.
— Si le Monsieur savait cela, il piquerait une crise, me répondit Michel.
— J’espère qu’il n’a rien entendu. Il habite ici ?
— En principe, oui, mais il est souvent à Toulouse.
— Espérons que nous arriverons à nous barrer d’ici sans éveiller son attention, refermons bien les portes derrière nous et tapons nos godasses avant de sortir de cette cave, pas la peine de faire des jeux de piste dans les couloirs du château dis-je. Je retournai à la porte du réduit, je la fermai à clé et je planquai la clé sous un tonneau, ainsi on ne pourrait pas voir de sitôt les dégâts. Je revins vers Michel qui était resté planté, pleurnichard et reniflant, près d’un cuvier.
— Allez, on se barre d’ici, il est neuf heures passées, inutile de s’attarder, il y en a qui doivent se demander où nous sommes.
Nous montâmes un escalier qui aboutissait dans une vaste cuisine, je tapai mes chaussures et dis à Michel de faire de même. Il y a deux grandes fenêtres dans la cuisine, j’en ouvris une et je vis que par chance, on était à peine à deux mètres au dessus du sol extérieur.
— Saute par là, dis-je à Michel.
— C’est haut, gémit mon pisseux associé.
— En bas, c’est de l’herbe, et ça fait à peine deux mètres, c’est sans danger. N’oublie pas qu’on a du bol, on a failli être enterrés vivants.
— C’est de ma faute, pleurnicha Michel.
— Saute, connaud, et arrête ta connerie.
 Michel enjamba l’appui, il s’assit sur le bord extérieur et se laissa tomber comme un paquet. J’entendis un gémissement. Je montai moi aussi sur l’appui, je tirai à moi la fenêtre et je sautai. Mon Michel était par terre en position foetale et se plaignait.
— J’ai mal, je me suis cassé une cheville.
— Et à moi tu me casses les couilles. Debout, andouille, on se casse.
— Je peux pas marcher.
(à suivre...)

dimanche 25 décembre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II 15



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Le propre des majorités silencieuses est de se taire pour ne rien dire. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a personne pour dire tout haut ce que les majorités silencieuses pourraient penser tout bas. Car il n’y a rien de plus simple que de parler à la place de ceux qui se taisent, cela permet à ces derniers de continuer à ne rien dire et à ceux qui parlent de redire tout haut ce qu’ils avaient déjà dit tout haut mais en leur nom propre sans que nul n’ait eu envie de les écouter.
Mais si une majorité est silencieuse, elle n’en pense pas plus pour autant. Cela se remarque lorsque cette majorité sort de son silence : c’est bien souvent pour dire des inepties. Rappelons qu’une sottise dite d’une seule voix fluette est toujours une sottise alors qu’une ineptie dite avec force par plusieurs personnes passera pour une idée originale et forte si elle arrive à faire suffisamment de bruit.
Mais foin de ces mutiques soi-disant majoritaires et voyons qui sont ceux qui pensent pouvoir parler en leur nom. Les premiers sont les instituts de sondage qui, par des questions tendancieuses ou orientées, déclarent avoir obtenu l’opinion d’un échantillon représentatif de la population. Qu’est-ce donc qu’un échantillon représentatif ? Ce sont des gugusses judicieusement choisis dans diverses couches de la population, des gugusses plutôt à droite et d’autres plutôt à gauche ou au centre, des salariés, des chômeurs, des patrons petits ou grands et éventuellement quelque raton-laveur, de préférence un peu benêt, il ne faudrait pas qu’il dépare l’ensemble. Et cet échantillon représentatif, ce sont des gugusses qui, gratuitement ou pour quelques sesterces, font faire du gras aux instituts de sondages. Car ces gugusses sont le fumier dont les statisticiens ont besoin pour faire pousser leurs feuilles de sondages et pour obtenir de grasses rémunérations en buvant à la santé du c.., pardon de celui qui paie. Mais s’il n’y avait plus de gugusses pour se faire sonder, y aurait-il encore des sondages ? Je sais bien que nombreux sont ceux qui aiment se faire administrer la sonde mais en cas d’abstinence de leur part, on peut toujours compter sur la créativité mathématique des statisticiens pour attribuer des opinions imaginaires à une population hors-sol qu’ils créeraient en laboratoire.
Ensuite, les seconds sont ces politiciens de toutes farines qui préfèrent attribuer aux autres leurs idées plutôt que de dire que ce sont leurs opinions et qu’ils les défendront même s’ils sont les seuls à penser ainsi. Lorsque Créon disait à Antigone : Σὑ τοῦτο μούνη τῶνδε Καδμείων ὁρᾶς. (Tu es seule, à Thèbes, à penser de la sorte), Antigone lui répondait : Ορῶσι χοὖτοι, σοι δ’ὑπíλλουσιν στόμα. (Ils pensent comme moi mais ils se mordent les lèvres.) Par ces mots, Antigone assume sa manière de penser. Et Créon parle en faisant ne pas penser une majorité qui n’est silencieuse que parce qu’elle ferme sa gueule, ce qui est une manière insidieuse de dire qu’Antigone ne représente qu’elle-même alors que lui pense tout haut ce que les autres ne pensent pas tout bas.
On voit par-là qu’en tyrannie comme en démocratie il vaut mieux avoir tort à plusieurs que raison tout seul.

jeudi 22 décembre 2016

René-la-Science (29)



— Les générations se suivent et s’améliorent. Debout et passe devant, je mets le flingue dans ma poche, mais maintenant c’est moi qui commande et tu écoutes.
— Oui, oui, continua-t-il de sangloter.
— On va suivre l’autre direction, celle qu’on n’avait pas prise tout à l’heure. Il faut savoir où elle va.
— Et si le tunnel s’effondre encore plus ?
— Eh bien, on crève là-dedans comme des rats. Tu feras comme tu veux, mais moi, tant qu’on a de la lumière, je cherche la sortie, s’il y en a une.
Nous revînmes donc dans la salle et prîmes le couloir de gauche. Celui-ci était bâti lui aussi et s’enfonçait dans la colline. Après ce que j’évaluai à plus de cinquante mètres, il commençait à monter, puis nous arrivâmes en face d’un escalier. Pas d’hésitation, il fallait monter. L’escalier était raide, il me semblait avoir monté plus de soixante dix marches quand nous arrivâmes sur un palier. A partir de ce palier, il y avait encore une dizaine de marches, puis un autre palier donnant sur une porte. Sur la gauche, partait un autre couloir. En jetant un coup d’oeil avec la lampe, je fus frappé de stupeur : un squelette se trouve là, à moitié habillé, il y avait encore des cheveux sur le crâne. J’eus un haut-le-cœur. En regardant plus loin, je vis que ce couloir était une impasse. Michel n’avait rien vu, je ne lui dis rien, je fis demi-tour pour revenir sur le palier. Je montai jusqu’à la porte.
— Par ici la sortie ? Dis-je en essayant de pousser la porte.
La serrure n’était pas bloquée, mais il me sembla que quelque chose bloquait la porte qui s’entrebâilla sans plus. Par l’entrebâillement, on ne voyait rien. On semblait qu’un meuble avait été mis contre la porte. J’eus beau pousser seul, puis avec l’aide de Michel, rien n’y fit.
— Le pal fer et la pioche, il nous les faut, dis-je.
— Ils sont encore dans la salle en bas, gémit Michel.
— Eh bien, il faut aller les chercher, soit on arrive à pousser cette putain de porte et à passer, soit il ne nous restera plus qu’à nous frayer un passage dans l’éboulis en bas. Mais je préfère parier sur la porte.
— J’en peux plus, pleurnicha Michel qui s’assit sur une marche.
— Bon, je vais aller les chercher. Toi, tu restes ici, assis dans le noir. Tu ne risques rien. T’auras pas la trouille tout de même ?
— Non, non, vas-y, mais reviens vite, j’en peux plus.
Je redescendis les marches et courus dans le couloir. La pioche et le pal fer étaient dans la salle. Avant de les prendre, j’avisai un trou dans lequel je cachai le pistolet, pour ne pas m’encombrer. Je pris les deux outils et repartis dans le couloir. Je trouvai pénible de remonter une deuxième fois les marches et j’étais en nage en arrivant sur le palier où Michel était resté sans bouger, comme hébété. Je soufflai un peu, puis j’essayai d’introduire le pal fer assez profondément pour faire levier sur la porte. J’eus beau forcer, derrière le meuble résistait. Je trouvai un nouvel appui et je demandai à Michel de venir forcer avec moi. Il se leva et nous poussâmes de toutes nos forces. Un craquement se fit entendre, puis le meuble se disloqua et la porte s’ouvrit d’une vingtaine de centimètres. 
(à suivre...)