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dimanche 29 août 2021

Pépé J en vacances (08)

Lecteurs et lectrices attentifs, bonjour. Cela sent l’automne, entendais-je l’autre jour et, en effet et pour le dire autrement, la fin de l’été approche : les jours raccourcissent, le soleil se fait modeste et les nuits sont fraîches. Les grands médias n’ont pas pu nous abreuver de leurs poncifs, chaleur caniculaire dès trente degrés ou réchauffement climatique. Ce n’est pas que je nie l’existence de ce dernier mais je déplore l’utilisation de cette expression sans discernement.


Certains se plaignent même en parlant d’été pourri, mais n’est-ce pas là une nécessité de la diversité climatologique ?


Le gel au printemps a fait bien du mal aux récoltes fruitières et aux vignes et celles et ceux qui en vivent vont avoir une année, sinon plus, difficile à boucler financièrement sans compter des surcroîts de travail pour tenter de limiter les dégâts. Quant aux producteurs de céréales, qui ne sont pas tous de « gros ou grands céréaliers », ils ont eu bien du mal à ramasser une récolte qui s’annonçait prometteuse si la pluie ne s’était pas mise de la partie pour empêcher le ramassage en temps opportun. Je vous rassure à mon sujet, ma petite récolte d’orge d’hiver biologique a pu être mise à l’abri dans des conditions correctes et j’en suis reconnaissant au moissonneur qui est opportunément intervenu dans un petit créneau de temps début juillet.


Les cultures légumières ont elles aussi eu à supporter les variations météorologiques, bien des jardiniers ont tremblé pour leurs tomates et autres légumes.


Mais, des légumes, il en reste et on ne dira jamais assez combien il est important de se nourrir de produits frais et sains en ce temps où nos dirigeants, quoiqu’ils prétendent, font le maximum pour faire disparaître les petits producteurs, les petits restaurants et les petits artisans. Qui sait si bientôt ils ne s’acharneront pas de même sur les petits consommateurs, par exemple en cherchant à réglementer les jardins potagers privés, en les taxant ou en leur interdisant le réemploi de semences ?


Mais laissons là ces gens de peu et profitons du soleil pour assimiler de nombreuses vitamines, de la pluie pour remplir nos réserves et comportes et du vent pour dissiper les miasmes de la société de consommation. Dégustons de délicieux gaspachos en devisant gaiement loin de tous écrans. Nourrissons-nous de lectures roboratives ou amusantes et écoutons le doux chant des oiseaux.


On voit par-là qu’il nous reste bien des choses à déguster.




jeudi 26 août 2021

Dernier tableau (40)

– Vous êtes Hervé ! Ah, mais alors il m’a parlé de vous, il était si contrarié ! Il m’a dit qu’il avait été désagréable et qu’il vous avait si injustement reçu la veille du jour où il a arrêté de venir au magasin. Il était si mal, m’a-t-il dit, qu’il vous a pratiquement mis à la porte. Il s’en veut terriblement de vous avoir mal accueilli et je suis certaine que dès son retour il aimerait vous voir pour se faire pardonner son attitude. Vous savez, c’est pour cela qu’il ne peut pas tenir le magasin quand il a de la fièvre, cela lui est arrivé d’être déplaisant avec l’un ou l’autre client…

– Madame, je suis bien heureux de vous avoir vue, vous me mettez du baume au cœur, je pensais avoir froissé monsieur Marondeau. Nous ne nous connaissons que depuis peu et nous avions sympathisé. Et voilà que, d’un coup, il semblait ne plus vouloir me revoir. Je suis rassuré donc et je passerai prendre des nouvelles de Raymond régulièrement.

– Vous n’allez pas partir comme cela monsieur Hervé, je déteste prendre le thé toute seule et maintenant que je vous tiens, je ne vous lâche pas. Ainsi je pourrai dire à Raymond que vous avez accepté de me tenir compagnie en attendant de pouvoir venir partager une cup of tea avec lui en personne et rétabli.

– Allons, je ne peux pas vous refuser cela, madame. Et ce sera avec plaisir.

– Appelez-moi Laure. Raymond, lui, m’appelle tante Laure. Je vous ai dit que j’étais la cousine de Raymond, ce n’est pas tout à fait vrai. Il n’y a aucun lien de famille entre nous si ce n’est que j’ai été l’amie de son père pendant bien des années. Au décès du papa de Raymond, il ne m’a pas laissée tomber. Alors que je me trouvais sans ressources, il m’a proposé de m’héberger et il est mon seul recours à part ma minuscule pension, ce qu’ils appellent minimum vieillesse. Ah ! Si on obligeait nos politiciens et nos assistantes sociales à vivre avec ce minimum, je pense qu’ils se révolteraient. Alors que nous, les petits vieux comme on dit, nous acceptons tout. C’est ainsi, que voulez-vous ? Prenez place, monsieur Hervé, assoyez-vous, prenez le siège de Raymond.

– Je voudrais vous demander, êtes-vous originaire de Saint-Lambaire ?

– Oui, pas de Saint-Lambaire même, mais de la région, un village du nom de Saint-Bélié enfin un village, c’est devenu la banlieue de Saint-Lambaire.

– Vous avez peut-être connu la famille Leyden…

– Oui, comme tout le monde ici. C’était une riche famille d’armateurs, les sœurs Leyden ont tenu une des meilleures boutiques de Saint-Lambaire et il y a eu le peintre qui est resté célèbre, Artur Leyden. Si vous allez au musée de Saint-Lambaire, il est incontournable, c’est une de nos gloires locales.

– Il a eu une triste fin, parait-il…

– Oui, c’est vrai, cette terrible chute. On a jamais su le fin mot de l’histoire, les mauvaises langues ont parlé de suicide, il y avait des soupçons qui pesaient sur lui, les parents d’une fillette l’ont accusé d’avoir défloré et engrossé leur fille mineure. Ils cherchaient sans doute à extorquer de l’argent à ce pauvre Artur. Il n’aurait pas supporté toute cette fange et il se serait jeté du haut de la falaise. Quoi qu’il en soit, les gendarmes ont conclu qu’il s’agissait d’un accident, il n’y a pas à chercher plus loin…

– Vous avez certainement raison, mais vous savez, les enquêtes de gendarmerie, surtout à l’époque, étaient quelquefois un peu rapides, je n’ai pas dit bâclées, mais sous la pression des autorités, du procureur, même de nos jours cela se voit. Les gendarmes ne peuvent pas être partout, ce sont des hommes comme tout le monde…

– C’est vrai, dit tante Laure en servant le thé, on l’a bien vu en d’autres circonstances. Au bout du compte, cela arrangeait tout le monde, je veux dire toute la bonne société lambairienne, qu’il soit dit que c’était un accident. Pourtant, Artur Leyden était un habitué de la côte et des falaises, il devait en connaître les moindres recoins. Mais la thèse de l’accident ne lavait pas Artur Leyden des soupçons qui pesaient sur lui. Au contraire, les gendarmes ont classé l’affaire mais ils ont aussi classé l’affaire de la jeune fille mineure… avant le décès de celle-ci. Ce qui voulait dire qu’ils considéraient que Leyden coupable, l’action s’éteignait avec son décès. Vous me suivez ?

– Oui, je crois, répond Hervé, vous voilà lancée dans une véritable discussion juridique !

à force de côtoyer Raymond, vous savez. Vous a-t-il dit qu’il est docteur en droit et qu’il a même été avocat pendant quelque temps ?

– Il ne m’en a pas parlé. Et pourquoi a-t-il abandonné la robe ?

– Il n’a jamais eu l’intention de la porter, mais il voulait être libre de ses actions et pouvoir montrer qu’il saurait se défendre, le cas échéant. Très jeune, Raymond avait déjà une inclination particulière…

– Il était homosexuel, résume Hervé.

(à suivre...)

dimanche 22 août 2021

Pépé J en vacances (07)

Contes et histoires de Pépé J 07 vacances 22 août 2021


Lecteurs et lectrices attentifs, bonjour. Il n’y a rien de tel que les vacances pour faire des rencontres imprévues et enrichissantes. C’est ainsi que, au débouché de la rue des marais sur l’avenue du Général-Comédon, je tombai presque nez à nez avec ce cher professeur Papillon. Celles et ceux qui me lisent de longue date ne seront pas surprises (de terre) car j’ai déjà parlé de lui précédemment.

  • Professeur, lui dis-je avec joie, comme je suis heureux de vous revoir ! Comment allez-vous ?

  • Je vous dis que je ne vais pas, me répondit celui-ci avec hauteur.

  • Oh, professeur, je voulais seulement m’enquérir de votre santé, depuis le temps que nous ne sommes vus !

  • Je n’ai plus de santé et ne puis donc vous en donner des nouvelles, rétorqua-t-il sèchement.

  • Mais pourtant, rappelez-vous de ce que l’on dit au premier de l’an : on se souhaite joie, bonheur, prospérité et surtout – surtout !- la santé. Serait-ce donc un vain mot.

Ce brillant scientifique me regarda avec peine, me sourit gentiment et, me prenant par le bras, m’amena jusqu’à une boulangerie équipée d’une petite machine à café où il m’offrit un café et un délicieux croissant. Nous nous assîmes à une petite table en terrasse et il commença :

  • N’auriez-vous pas compris ce qui se trame en ce moment ? Ni vous ni moi n’avons plus de santé à nous, la santé a été collectivisée et, par ailleurs, on nous parle tant et plus de santé publique. Ce qui fait qu’en guise de salutation, il est devenu obsolète de demander comment allez-vous ? La bonne question est la suivante : comment allons-nous ? En effet, mis à part quelques milliardaires, nos ministres et chefs d’états, nul ne peut plus se targuer d’avoir une santé ou d’avoir « la » santé. En effet, la santé est devenue un bien public au même titre que l’air que nous respirons. Et vous constaterez que, de même que cet air, notre santé publique est, elle aussi, susceptible d’être polluée. Et, comme tout bien d’intérêt public, la santé est administrée par les instances de l’état mais gérée par des intérêts privés. Ce qui reste donc hautement lucratif pour bien des fournisseurs de santé qui deviennent maintenant plus riches que les marchands de canons. Mais c’est un autre sujet, dirais-je. Je vous disais donc que, de nos jours, vous n’avez plus le droit de bricoler votre petite santé dans votre coin, en essayant de vivre sainement en vous nourrissant d’aliments non traités, en buvant de l’eau de votre source. Je vous rappelle ce que disait le docteur Knock : « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ». Cela est vieux d’un siècle, et pourtant ! Maintenant notre santé est devenue une source d’enrichissement, surtout si elle est suffisamment précaire pour intéresser les grands de ce monde. Il n’est ainsi plus question de se souhaiter mutuellement une bonne santé, cela serait faire offense à ceux qui s’en chargent. D’ailleurs, je me rends de ce pas au ministère de la santé afin de porter assistance au ministre qui souffre d’une gastromacronite purulente,,,

  • Mais alors, professeur, le ministre aurait-il donc une santé à lui ?

  • Voyons, cher ami, me répondit-il, je suis son conseiller financier. Apprenez que la gastromacronite est une maladie du portefeuille que l’on ne peut soigner que par injection de liquidités. Au revoir, mon ami !

 

On voit par-là que l’argent n’a pas d’odeur, santé le bien !



jeudi 19 août 2021

Dernier tableau (39)

Sur ces entrefaites, le bus arrive à son terminus, la gare routière de Saint-Lambaire. Par chance, Zélie Lequeuvre part en sens inverse d’Hervé qui revient doucement chez lui. Il est fourbu, la journée a été pleine, riche en émotions, la marée puis la découverte de la chaumière, puis Eugène, Gégé, Dédé, Zézé…

Arrivé rue Équoignon, il fait le souhait de ne pas tomber sur Édith et est exaucé. Il monte chez lui, se déshabille, passe sous une douche chaude et, une fois séché, enfile un peignoir et se vautre dans un fauteuil où il ne tarde pas à s’endormir. Il est dix-sept heures. Il se réveille deux heures plus tard, avale un repas sommaire généreusement arrosé d’un gros rouge sans concessions et se couche pour de bon. Il replonge dans le sommeil sans aucune hésitation.

 

*

 

Vendredi matin, il se réveille assez tard. Il se sent un peu bizarre. Il s’en veut de s’être laissé prendre par la marée et se demande ce qu’il lui a pris de s’aventurer ainsi. à son âge, il a été ridicule. Mais par contre, force lui est de reconnaître que cela lui a permis de découvrir la chaumière et son ambiance si particulière.

Pour lui, ce qui ressort de ce qu’il lui est arrivé, c’est qu’il pourrait presque se croire manipulé par les objets et les évènements. C’est ce sacré petit tableau qui est derrière tout cela. Et Marondeau est bien content de s’en être débarrassé. Il avait gardé cet objet au chaud en attendant de trouver un cobaye. Oui, voilà, il est un cobaye, et comme chaque fois ce petit tableau exercera son maléfice sur celui qui l’a en sa possession. Puis il reviendra d’une manière ou d’une autre chez Marondeau.

Il a été prévenu, Raymond lui a raconté l’histoire du couteau, puis celle du tableau. Si lui, Hervé, avait été mis en possession du couteau, Dieu sait ce qu’il lui serait arrivé. Mais le tableau a déjà fait mourir le représentant, il a fait disparaître l’homme au yacht… allons bon, voilà que je me mets à délirer, à donner du crédit aux insinuations loufoques de Raymond, se dit-il. Maintenant, je suis trop engagé dans l’aventure de ce tableau, mais je ne veux plus me laisser dériver au gré des évènements. Donc, primo : ce tableau est à moi, mais ils sont deux et ces deux tableaux seront accrochés chez moi. Secundo : il y a un mystère au sujet de ces tableaux et dans ce mystère il y a trois protagonistes, Leyden, la jeune fille et la chaumière. Tertio, il y a encore une personne qui les a connus et qui a peut-être la clé de l’énigme. Donc moi, Hervé, je vais aller voir si je peux le faire parler. Cela ne m’apportera rien de savoir tout cela, mais je suis à la retraite et je décide d’en faire une de mes occupations. Avant tout, je vais aller voir Marondeau, car ce rigolo s’amuse à tirer les ficelles puis, quand cela ne l’amuse plus, il me renvoie comme un chien mouillé. Je vais lui dire deux mots à celui-là. Ensuite, pour bien marquer mon indépendance, je vais aller voir l’atelier de Sara. Et après, j’irai quand cela me chantera, pas quand j’y serai poussé par Dieu sait quelle destinée, rencontrer le fameux Achille. à dater de maintenant et de tout de suite, c’est moi qui décide où je vais et quand j’y vais.

Nanti de ces fortes résolutions, il s’habille, descend faire un tour et cherche un plat du jour appétissant dans un petit restaurant du quartier. Le temps est doux et agréable, il trouve une tête de veau sauce gribiche tout à fait à son goût puis il part faire un tour sur les remparts jusqu’après quinze heures.

Au retour, il passe donc à la première phase de son plan et se dirige vers la boutique de Marondeau. Il pousse la porte et entre, il tend le cou en s’avançant vers le fond du magasin, mais n’aperçoit qu’une dame fort âgée qui tricote, assise sur le fauteuil en face de celui de Raymond. Il s’approche et la dame sursaute en se rendant compte de sa présence.

 

– Ah ! Vous m’avez fait peur, je ne vous avais pas entendu arriver. Mais j’entends mal, vous savez…

– Bonjour Madame, monsieur Marondeau est-il là, s’il vous plait ?

– Oh non, je suis ici parce que Raymond est bien malade, je suis sa cousine Que désiriez vous savoir ?

– Raymond, malade ? Ce n’est pas trop grave, j’espère ?

– Je ne crois pas, vous savez il n’est pas souvent malade mais quand cela lui arrive, il n’aime pas tenir son magasin. Mais il ne supporte pas non plus l’idée que les clients trouvent porte close plusieurs jours de suite. Alors je viens et j’ouvre le magasin. Je me contente de recevoir les clients, je ne connais rien aux antiquités, mais j’assure une présence. Raymond sera bientôt rétabli, je peux lui dire que vous êtes passé si vous le voulez.

– Ce serait gentil de votre part de lui dire que je souhaite qu’il soit sur pied le plus rapidement possible. Je m’appelle Hervé Magre.

(à suivre...)

dimanche 15 août 2021

Pépé J en vacances (06)

Lectrices et lecteurs attentives, bonjour. Aujourd’hui, jour de fête religieuse, je vous livre une lettre de Guy de Maupassant.

À Catulle Mendès

Ministère de la Marine
et des Colonies

 

Paris [1876].

Voici, mon cher ami, les raisons qui me font renoncer à devenir franc-maçon : 1° Du moment qu’on entre dans une société quelconque, surtout dans une de celles qui ont des prétentions, bien inoffensives du reste, à être sociétés secrètes, on est astreint à certaines règles, on promet certaines choses, on se met un joug sur le cou, et, quelque léger qu’il soit, c’est désagréable. J’aime mieux payer mon bottier qu’être son égal ; 2° Si la chose était sue, — et elle le serait fatalement — car il ne me conviendrait pas d’entrer dans une réunion d’honnêtes gens pour m’en cacher comme d’une chose honteuse, je me trouverais d’un seul coup, à peu près mis à l’index par la plus grande partie de ma famille, ce qui serait au moins fort inutile, si ce n’était en outre, fort préjudiciable à mes intérêts. Par égoïsme, méchanceté ou éclectisme, je veux n’être jamais lié à aucun parti politique, quel qu’il soit, à aucune religion, à aucune secte, à aucune école ; ne jamais entrer dans aucune association professant certaines doctrines, ne m’incliner devant aucun dogme, devant aucune prime et aucun principe, et cela uniquement pour conserver le droit d’en dire du mal. Je veux qu’il me soit permis d’attaquer tous les bons Dieux, et bataillons carrés sans qu’on puisse me reprocher d’avoir encensé les uns ou manié la pique dans les autres, ce qui me donne également le droit de me battre pour tous mes amis, quel que soit le drapeau qui les couvre.

Vous me direz que c’est prévoir bien loin, mais j’ai peur de la plus petite chaîne qu’elle vienne d’une idée ou d’une femme.

Les fils se transforment tout doucement en câbles, et un jour qu’on se croit encore libre, on veut dire ou faire certaines choses ou passer la nuit dehors, et on s’aperçoit qu’on ne peut plus. J’ai peur de vous paraître prêcheur en cette énumération de causes et de motifs.

Tout cela a l’air plus sérieux que cela n’est, soyez-en persuadé. Et puis... J’ai gardé la bonne raison pour la dernière, et la voici :

Je ne suis pas encore assez grave et assez maître de moi pour m’engager à faire sans rire un signe maçonnique à un frère (voire à mon garçon de restaurant) — il l’est et me l’a dit — (ou même à mon vénérable) et ma gaieté d’augure pourrait m’attirer des vengeances, peut-être me faire « sabler » par le marchand d’anguilles qui passe rue Clauzel où j’habite.

Surtout, ne vous fâchez pas contre moi. Je vous ai dit oui trop vite, l’autre soir, devant une consommation que vous m’offriez ! ! ! Mais, plutôt que de vous blesser en quelque chose, je serais prêt à me faire maçon, mormon, mahométan, mathématicien, matérialiste en littérature, ou même admirateur de Rome vaincue...

Tout à vous,

Guy de Maupassant


 

 

jeudi 12 août 2021

Dernier tableau (38)

Hervé tend un billet de dix euros au nommé Dédé qui semble le prendre à regret. Il sort un ticket et rend la monnaie.

 

– Vous savez, les amis de Tonton sont mes amis, dit Dédé.

– Je ne sais pas si je suis son ami, mais…

– C’est qu’y connaît aussi Gégé, c’est Gégé qui l’a amené en moto à l’arrêt du bus, coupe la mamie.

– Alors, vous êtes le bienvenu à bord, allez, on y va, c’est pas tout ça, mais faut qu’j’amène ces messieurs dames à Saint-Lambaire. Et on est pas en avance, on y va !

 

Hervé s’assied vers le milieu du bus à bord duquel se trouve une dizaine de personnes. Il s’installe seul sur une banquette mais la mamie vient le rejoindre et reprend sans façons la conversation.

 

– Ainsi, vous êtes ici, vous connaissez tout le monde et y’a qu’moi qui sais pas qui vous êtes !

– Excusez-moi, madame, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter. Hervé Magre, j’habite à Saint-Lambaire…

– Moi c’est Zélie, Zélie Lequeuvre de La Brémarde. Je serais comme qui dirait une cousine à Dédé…

– Et donc aussi à Eugène ?

– Oh, çui-là, j’le laisse là où il est. Vous savez, moi j’suis veuve et l’Gégène y’s’gène pas pour m’mettre la main aux fesses. Y chercherait bien à m’sauter, le vieux saligaud, à son âge ! Qu’il a sa femme encore mais qu’ça lui suffit pas…

– Je ne savais pas, je suis désolé. Mais en tout cas, Eugène m’a bien dépanné, j’étais perdu et il m’a remis sur la route.

– Oh pour ça c’est pas le mauvais bougre. Mais vous v’niez d’où pour être perdu ?

– Du Bussiau, c’est toute une histoire…

– Du Bussiau ! Mais y’a rien là-bas, si vous voulez louer la maison, je vous préviens, y’a pas l’électricité. Et puis cette maison, je voudrais pas dire, mais plus personne peut y rester depuis qu’les Veudenne sont partis. C’étaient les derniers fermiers, ils ont connu le malheur et puis tout est parti à vau-l’eau, vous savez.

– Ils ont perdu leur fille ?

– Oui, mais y’a toute une histoire derrière ça, j’étais jeunette à l’époque, on nous disait rien. Les gendarmes ont pas cherché trop loin. Y’en a un qui savait, mais qui c’est qu’écouterait un gamin de douze ans ? Un gamin de l’assistance avec pas trop d’instruction. Ah, il m’en a un peu parlé, il en savait des choses, mais on l’a pas écouté.

– De qui parlez-vous ? demande Hervé.

– Achille, oui le vieil Achille. On l’aurait cru un peu simplet, mais il s’en est pas mal sorti le p’tit Achille Trouvé.

– Achille Trouvé ? s’étonne Hervé.

– Oui, Trouvé il s’appelait. Enfin, il s’appelle toujours comme ça, il est toujours vivant. C’était pas un enfant perdu, son vrai nom c’était bien Trouvé.

– Mais alors, s’il est toujours en vie, il habite où ?

– Il est en maison de retraite, à Lamallieu. Oh, une bonne maison de retraite, il s’en est sorti j’vous dis le p’tit Achille. Les Veudenne, ils pouvaient plus l’garder quand y z’ont quitté Le Bussiau. Le père Veudenne, j’crois qu’y s’appelait comme vous tiens, Hervé, est parti de son côté et sa femme a eu des problèmes, j’sais pas trop, elle a été enfermée, elle savait plus c’qu’elle disait…

– Et Achille, on peut le voir si on va à Lamallieu ?

– Oh oui, bon moi j’y vais pas, c’est lui qui vient des fois dans l’coin, il a encore sa tête mais il a décidé qu’c’était mieux pour lui de s’mettre là. Vous savez, s’il avait voulu, j’l’aurais bien pris chez moi, mais allez, il a toujours été spécial lui, il voulait point d’femme, il est toujours resté seul, le pauvre. Il est pas si vieux qu’ça si on r’garde bien, il a qu’soixante-dix ans et d’nos jours, qu’est-ce que c’est qu’soixante-dix ans ? Bon, lui il a trimé, surtout petit et même après, mais il est encore bien vous savez.

– Et c’est facile à trouver, cette maison de retraite à Lamallieu ?

– Ah bais oui, c’est juste à l’entrée du bourg en v’nant de Saint-Lambaire, y’a pas à s’tromper. Et vous d’mandez Achille Trouvé, y doivent tous le connaître là-bas.

(à suivre...)