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jeudi 28 juin 2018

Le temps de l'éternité (9)



Les autres convives approuvent eux aussi. Henri Sarlovèze intervient :

-          Mes amis, nous ne sommes pas en campagne, je ne vais pas vous faire un discours. Du fond du cœur, merci. Et merci à vous, mon cher Destel, je vous sais taquin mais sincère.
-          Je n’insiste pas plus, mon cher Henri, je ne veux pas mettre votre modestie à l’épreuve. Je reviens donc sur les raisons pour lesquelles nous vous convions ici ce soir, outre bien sûr le plaisir de nous retrouver ensemble. Notre décision est prise de vendre ce domaine de La Furetière qui nous est si cher. Mais cette décision est motivée par les nécessités de la santé de Diane, mon épouse. Nous comptons nous installer en bord de mer, si possible au pays basque. Cette soirée est sans aucun doute la dernière où nous nous retrouvons sous ce toit, dit le nommé Destel, le maître de maison.
-          Mais voyons, Etienne, tu sais qu’il te faut l’accord de ta grand-tante Emilienne pour vendre La Furetière, intervient un autre.
-          Cher Maître Bernard, vous êtes le notaire de la famille depuis bien longtemps et vous avez raison : l’accord d’Emilienne est nécessaire, la moitié du domaine lui appartient. Cet accord, je l’ai.
-          Etienne, tu es sérieux, elle t’a donné son accord ? dit Me Bernard.
-          Je ne plaisante pas, j’ai eu un long entretien avec elle, je suis allé la voir à Nantes. Je ne dis pas que cela a été facile, mais elle m’a donné son accord.
-          Elle signera les documents nécessaires ? Reprend Me Bernard.
-          Bien sûr, bien sûr. Je n’ai aucune inquiétude à ce sujet.
-          Mais elle est religieuse, me semble-t-il, demande la dame à la droite d’Etienne Destel. N’a-t-elle pas fait vœu de pauvreté ? N’est-ce pas son ordre, ou sa congrégation plutôt qui en est héritière ou propriétaire ?
-          Ma chère Angèle, elle fait partie de la compagnie des filles de la charité. Je ne vous ferai pas un cours à ce sujet, mais je sais que ces religieuses ne font pas les mêmes vœux que les autres. Ce qui explique aussi sa longue présence auprès de ma mère, répond Etienne en soupirant.
-          Vous êtes son seul héritier, je pense, mais elle est votre grand-tante. Que compte-t-elle faire, envisage-t-elle de prendre des dispositions testamentaires ? Intervient encore Me Bernard.
-          A franchement parler, je n’ai jamais eu aucune vue sur son héritage. Je suis allé la voir car il me fallait son accord. Ce n’est pas la première fois que j’essaye de la convaincre de vendre, vous le savez cher Maître Bernard. Mais cette fois-ci je l’ai prise totalement au dépourvu. Ce que je lui ai dit a totalement changé la donne. Car je connais maintenant le secret qui pèse sur elle.
-          Un secret ? Intervient Royer.
-          Oui, un secret qui avait été bien gardé. Emilienne est ma grand-mère…
(à suivre...)

dimanche 24 juin 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (39)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Il est revenu le temps des cerises et, avec lui, le temps des vide-greniers. Les samedis et dimanches, les organisateurs et les exposants guettent les moindres dires de la météo nationale et les employés municipaux affûtent leurs barrières Nadar, dites aussi barrières Vauban.
C’est ainsi que j’aime à me promener dans ces hauts lieux de la récupération, de la fouille, du bric-à-brac et de la chine et ce n’est pas le moindre des plaisirs que de négocier avec bagou quelque morceau de métal ou quelque plat en porcelaine et je me souviens avoir négocié un jour un lavabo dépourvu de robinet et de bonde en déclarant au vendeur qu’ « un truc pareil, ça s’vend comme les cercueils à deux places ! » Le vendeur, tout à son étonnement, accepta mes deux pièces de deux en paiement de son appareil sanitaire qu’il avait affiché au prix exorbitant de vingt euros. Mais je me suis quand même coltiné le lavabo sous le bras pendant deux kilomètres afin de le déposer dans mon véhicule. J’avais aussi négocié, au début des années 70, un casque de la première guerre pour le montant de vingt centimes car cela me permit de monter une collection avec celui de mon grand-père et un autre casque servant à la ferme pour protéger le crâne du gauleur de noix. Aussi, sur le même principe, je me trouvai en 2010 à la tête d’une collection d’une quarantaine de casques que je revendis à un amateur pour le prix qu’il m’en offrait, à savoir un petit prix. A petit placement, petite plus-value…
Mais le moindre des régals est aussi de voir les visiteurs s’extasier, tels que les décrivait Philippe Delerm, sorte de philosophe minimaliste et fonctionnaire, devant une paire de chandeliers en s’exclamant : « ma grand-mère avait les mêmes ! ». Bien sûr, dans toute cette brocante on retrouve les reliefs d’une société révolue qui auraient enchantés Roland Barthes ou Georges Pérec par les mythologies et les souvenirs véhiculés.
Mais dans toutes ces vieilleries, il n’y a pas que le bon goût qui prime, pour autant que le bon goût se laisse définir. De hideuses soupières en porcelaine posées sur un sous-plat du même métal et surmontées d’un couvercle lui aussi couronné de roses en forme d’artichaut côtoient des peintures et des reproductions insignifiantes mais ne sont-elles pas le repoussoir idéal pour les perles que l’on peut dénicher ? Je me souviens aussi qu’ayant une dilection particulière pour les disques 33 tours dits aussi « vinyles », je débusquai un jour un de ces disques de moyenne dimension en musique classique sur lequel, parmi plusieurs morceaux, il y avait une ouverture burlesque du musicien Méhul, pour deux mirlitons et orchestre. J’en fis l’acquisition pour la modeste somme d’un demi-euro et ce petit morceau de musique est resté dans mon cœur comme une merveille qui me réjouit à chaque fois que je l’écoute : il faut dire que le mirliton est le seul et unique instrument de musique dont j’ai réussi à jouer avec succès au cours de ma déjà longue existence. Merci à Méhul et à mon bénéfique vendeur.
On voit par-là que si ma grand-mère avait les deux mêmes, elle aurait bien pu aimer les oiseaux.

jeudi 21 juin 2018

Le temps de l'éternité (8)



Pijm va vers la maison, à la porte-fenêtre du fond du couloir. Le volet est resté déverrouillé. Il le tire. Il prend doucement la poignée de la porte, la tire vers lui puis l’abaisse. La gâche s’efface sans bruit. Il pousse alors la porte qui s’ouvre avec un très léger grincement et un frottement qui l’inquiètent un peu. Il entre et repousse la porte. Il avance dans le couloir sombre. D’un coup, la lumière de sa lampe baisse d’intensité. Cela n’était pas prévisible : la pile est neuve. Il secoue un peu la lampe, l’ouvre puis la referme, rien n’y fait.
Il éteint sa lampe, déçu. Va-t-il devoir repartir sans assouvir ce désir qu’il a de voir cette maison dans sa vie intime ?
Soudain, il se rend compte que certaines parties de la maison sont lumineuses, comme si elles l’appelaient. Il s’avance vers l’antichambre qui donne sur la terrasse, discrètement éclairée par un peu de lune. De là, il voit qu’il y a de la lumière dans la salle à manger. Il s’approche de la porte qui est entrebâillée et risque un œil. Il est saisi de stupeur.
La lumière vient de deux chandeliers sur une grande table couverte d’une nappe blanche. Le couvert est mis, il y a une coupe pleine de fruits au milieu de la table. Pijm voit maintenant des personnages fantomatiques entourer la table. Un homme assez jeune semble être le maître de maison et invite les autres à s’asseoir. Ils sont tous élégamment habillés, mais à une mode très ancienne qu’il ne pourrait définir. Le jeune homme s’assoit à un bout de la table et, à l’autre bout face à lui, une jeune femme au teint très pâle prend place. Les autres convives sont des dames et des messieurs dont le visage est un peu flou. La conversation semble languissante. Pijm ne sait plus où il se trouve, s’il rêve ou s’il est éveillé. La pièce est joliment meublée en style Louis-Philippe. Sur le dessus de la cheminée, la scène de chasse a fait place à un tableau champêtre. Une domestique entre par la porte venant de l’office et dépose un grand plat d’entrées devant la maîtresse de maison qui se sert et passe le plat au personnage qui se tient à sa droite. Le plat circule autour de la table et quand tous sont servis, la maîtresse de maison commence à manger, suivie de ses commensaux. « Monsieur Royer, nous sommes entre nous, auriez-vous l’amabilité de servir le vin de votre côté de la table, pendant que je sers mes voisins ? » dit le maître de maison au monsieur qui se trouve à la gauche de son épouse. Celui-ci acquiesce aimablement et s’empare d’une bouteille dont il verse le début à sa voisine de droite, qui le goûte et approuve. Puis le maître de maison prend la parole.

-          Chers amis, plusieurs raisons font que nous nous réunissons ici ce soir, dit-il. Mais je voudrais tout d’abord rendre hommage à notre cher Henri Sarlovèze nommé, pardon élu, au poste de sénateur.
-          Vous auriez presque la dent dure, mon cher, intervient le personnage à droite de la maîtresse de maison, nous savons bien que les sénateurs sont élus par les grands électeurs. Je vous remercie d’avoir corrigé par vous-même, ajoute-t-il en souriant.
-          Mon cher Henri, je vous taquine, nous sommes ici entre amis et gens de bonne compagnie. Je me suis permis de commencer en parlant de vous, mais je vous rends hommage en toute sincérité. Et je sais que nos amis ici présents se joignent à moi.
-          C’est pour ma part tout à fait exact, je ne peux que vous féliciter sincèrement pour votre accession à ce poste de sénateur de Lot-et-Garonne, intervient Royer à gauche de la maîtresse de maison.
(à suivre...)