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jeudi 30 mars 2017

René-la-Science (43)



— Il n’est pas encore arrivé et à mon avis, il ne viendra pas, il est tellement sûr d’avoir le chantier qu’il se considère comme exempté de présence.
— Justement, quand il va savoir…
— Dis-toi bien une chose, dit-il de sa voix rocailleuse. Dis-toi bien cela : sur les chantiers, c’est toujours le premier qui bande qui encule l’autre. T’es là le premier, c’est toi qui vois…
— Excusez-moi, madame dit-il en apercevant Magali, je n’avais pas vu que vous étiez là…
— Ce n’est pas grave, monsieur, j’en ai entendu d’autres, répondit-elle.
— Je me gare, dis-je au plombier dont j’ai noté mentalement le nom, Dussaut.
— Attends-moi là, je vais voir, avec un peu de chance, j’arriverai peut-être à aller récupérer la clé dans la cave. Mais déjà je vais voir ce qui se passe là-dedans.
— T’es un peu gonflé quand même, me répondit Magali.
Je sortis du fourgon et entrai à pied dans le parc avec le plombier. Il m’expliqua que c’était une réunion préliminaire, d’importants travaux de restauration étaient projetés en vue de transformer le château en hostellerie. Il y avait les entreprises concernées, mais aussi et surtout l’architecte du client, celui des bâtiments de France, un maître d’œuvre et un coordonnateur de chantier. Je me dis que j’allais faire tache dans le tableau, mais je ne risquais que de me faire jeter. Et c’est ce qui sembla devoir m’arriver quand nous arrivâmes au pied du perron. Un monsieur en costard sortit du château et nous vit arriver. Il salua mon collègue :
— Bonjour monsieur Dussaut, comment allez-vous ? Lui dit-il en lui tendant la main.
— Bien, monsieur Henri, répondit Dussaut, un peu emprunté. Je vous présente un collègue maçon.
— Monsieur ? Me dit le monsieur en fronçant le sourcil.
— Forelle, Albert Forelle, je suis maçon en effet.
— Et vous avez été convoqué par l’architecte ?
— Non, mais je pourrais peut-être répondre à un appel d’offres…
— Monsieur, je suis désolé, mais vous n’avez pas été convoqué, me répondit-il sèchement. Tiens, bonjour Mademoiselle Desclain, que me vaut le plaisir ? Dit-il en parlant à quelqu’un qui était derrière moi. Je me retournai et vis Magali qui, apparemment, nous avait suivis. Elle semblait bien connaître le monsieur :
— Bonjour, monsieur de Montieu, j’accompagne monsieur Forelle qui va commencer un chantier pour moi et, quand j’ai vu que vous étiez là, je me suis permis d’entrer pour vous saluer.
— Ah, mademoiselle Desclain, permettez que je vous appelle Magali, je regrette bien que vous n’exerciez plus, vous avez réellement un don, un don extraordinaire. Vous m’aviez si bien soigné quand j’ai été bloqué, je m’en souviens comme si c’était hier. Et vous avez arrêté, quel dommage ! Dit-il en levant les bras au ciel. Si vous saviez, monsieur Dussaut, quelle bonne kiné est mademoiselle Desclain !
— Vous êtes vraiment trop gentil, monsieur Henri, lui dit Magali.
(à suivre...)

dimanche 26 mars 2017

Chronique de Serres et d’ailleurs II 28



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. De nos jours, tout se perd, tout se délocalise et les repères disparaissent. Il n’y a même plus de signes extérieurs de richesse. Maintenant n’importe qui peut arborer une opulence de contrefaçon et un apparat de deuxième démarque. Les gens vraiment fortunés tentent de passer pour presqu’impécunieux, les ministres étalent leur indigence au grand jour, les PDG rouleront bientôt en Solex® et les indigents arboreront des Rolex®.
Comment, dans ces conditions, reconnaître un riche ? Il ne reste plus qu’un seul signe extérieur et bien visible de richesse mais celui-ci est quasiment infaillible : le riche se plaint. Il se plaint un peu plus lorsque le gouvernement est malencontreusement de type social-démocrate et un peu moins lorsque les gouvernants ont un penchant avoué pour le capitalisme libéral. Mais la plainte est un privilège des nantis et les larmes de crocodile font pousser le capital plus surement  que les intérêts composés. Le riche préfère de loin se faire filouter par son banquier plutôt que de payer des impôts pour la collectivité.
Dans ce tableau édifiant, il y a bien un personnage qui mérite d’être pris en considération, un certain monsieur Tapie. En effet, celui-ci est riche par nécessité et pauvre par vocation, un peu comme un homme qui, sur le tard, serait devenu simple prêtre en sentant l’appel de la spiritualité et aurait ensuite, par dévouement, embrassé une carrière épiscopale sinon cardinalice. Apôtre des pauvres et hiérophante des mystères de la finance, cet homme est le levain qui fait monter la pâte de la réconciliation entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien.
Regardez deux hommes assis sur un banc : l’un est riche et l’autre est pauvre. Comment les reconnaître ? Regardez mieux : il y a en a un dont on voit bien qu’il se repose utilement et on voit tout aussi clairement que l’autre est la paresse même. Le premier prend un repos intelligent pendant que l’autre se laisse aller à une inactivité sans but valable. Le riche se détend et fait relâche pendant que son argent travaille ; même le loisir accroit son trésor et la fortune lui vient en dormant. Tandis que le pauvre, perdu dans son oisiveté, gaspille son temps et ne gagne donc pas son pain, comme il se devrait, à la sueur de son front.
On voit par-là que si l’oisiveté est la mère de tous les vices, le repos n’est pas sans intérêts.

jeudi 23 mars 2017

René-la-Science (42)



— L’idée serait de rentrer de nuit par la fenêtre que nous avons laissée ouverte, de redescendre dans le souterrain, de récupérer ce qu’il y a d’intéressant et de ressortir par la fenêtre. Cela éviterait de creuser et d’étayer.
— A mon avis ce n’est pas une bonne idée, tant que tu creuses et que tu étayes, si j’ai bien compris, tu es toujours sur la propriété de Michel. Cela éviterait les embrouilles et les ennuis.
— Tu n’as pas tort, mais j’aimerais bien savoir s’il y a quelqu’un en ce moment au château parce que le bruit de la pelle ne passe pas inaperçu, je saurais au moins s’il faut travailler discrètement car il y a de la pierre à déblayer, cela fait beaucoup plus de bruit que la terre.
— Va voir au château si tu penses que c’est nécessaire. Tu veux que je t’accompagne ?
— Tu aurais le temps ? Ça serait plus simple en effet, si tu connais la route pour y aller, tu m’indiqueras. Mais, est-ce bien prudent de laisser Michel tout seul ici ?
— Tu veux qu’on embauche une baby-sitter ? On dirait que tu le couves comme un gosse depuis le début…
Là, elle me scia, Magali, et elle avait assez raison. Si je m’étais mis dans cette merde, c’était bien parce que j’avais accepté de le prendre en charge. Il était temps de se ressaisir.
— Ok, tu as encore une fois raison. On va voir là-haut, au château, dis-je en finissant une tasse de café. Tiens, où sont mes clés ?
— Tu les as laissées là sur le buffet hier soir, me dit Magali.
— Je ne devais pas être trop clair alors, pour laisser traîner mes clés. Bon, on y va.
Nous montâmes dans le fourgon. Magali avait passé un ensemble assez seyant, veste rouge, chemisier et pantalon gris qui faisait contraste avec son calicot du premier jour.
Pour monter jusqu’au château de Montieu-Sciérac par la route, il fallait faire un tour assez long, la route serpentait en montant la colline. Le château avait un aspect un peu sévère avec ses tourelles en ardoise et ses façades noircies par le temps. Mais l’ensemble était assez harmonieux. Nous arrivâmes en longeant le mur d’enceinte qui entourait un parc planté de cèdres et de chênes pluri centenaires. Devant l’entrée, il y avait sept ou huit véhicules garés, des voitures et des fourgons, je ralentis. Un gars descendit d’un fourgon, un plombier-zingueur d’après ce que je pus lire sur sa plaque professionnelle. Je m’arrêtai à sa hauteur et baissai la fenêtre :
— Bonjour, c’est une réunion de chantier ?
— Oui, t’es convoqué toi aussi ?
— Non, je suis maçon, je fais un petit chantier dans le coin et je me renseigne.
— Tu devrais venir avec moi, ça foutrait un peu le bordel parce qu’ici sur le coin c’est Vitteaux qui prend tout ce qu’il peut, quitte à marcher sur les pieds des collègues. Gare-toi et suis-moi, je vais essayer de te faire entrer dans l’appel d’offres. T’as une carte professionnelle ?
— Attends, ce Vitteaux, comment il va le prendre ?
(à suivre...)