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dimanche 28 janvier 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (19)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. La lecture de la presse quotidienne régionale, dite en abrégé PQR, est souvent étonnamment instructive et, pour ce qui est de notre région, je suis tombé, dans l’édition du 21 novembre 2017 du journal Sud-Ouest, sur un article relatant une polémique au sujet de la proposition du maire d’une commune de baptiser une rue de sa belle cité du nom du représentant du régime de Vichy pour cette ville durant la dernière guerre. J’éviterai de donner le nom de cette bourgade pour ne pas en rajouter sur cette controverse. En effet, suite à un vote du conseil municipal, la proposition du maire avait été entérinée et cette décision a soulevé une tempête de protestations, faisant sortir du bois un député, un ex-député ex-ministre et d’autres personnalités qui se sont élevées contre l’idée de baptiser une rue du nom de quelqu’un qui avait fait allégeance au maréchal Pétain qui, lui-même, était, depuis l’entrevue de Montoire, l’affidé d’Hitler.
Dans cet article, il est fait état de la volonté du maire actuel d’honorer la mémoire d’un homme qui était le grand-oncle du premier adjoint. On est, il faut le reconnaître, rarement mieux servi que par soi-même ou par les siens mais je pense que si j’avais eu un tonton qui avait tant soi peu fricoté avec l’occupant – même avec les meilleures intentions du monde - j’aurais préféré demander à ce qu’on laisse ses cendres en paix. Il m’aurait paru inutile de charger encore plus la mule et quand on remue la boue on risque toujours de s’éclabousser.
Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que de part et d’autre on s’accuse de vouloir réinterpréter l’histoire, cela est toujours tentant bien sûr. Mais le maire en question pousse le bouchon assez loin en déclarant, toujours selon le journal : « Tout le monde, à cette époque était pro-Pétain ». Voilà une fulgurante interprétation et même réinterprétation de l’histoire que de proclamer un tel unanimisme dans la population. Il est bien possible qu’à cette époque, dans les familles de ces élus et dans leur entourage, tous furent pro-Pétain. Pour bien des notables de l’époque et pour nombre de grands bourgeois, habitués à se mettre du bon côté du manche, le confort voulait qu’on se soumît et même qu’on s’associât au pouvoir en place avec les avantages financiers qui en découlaient quitte à retourner sa chaude veste à la libération. Mais prendre son entourage pour « tout le monde », voilà qui procède d’une assimilation hasardeuse.
Ce qui est tout aussi passionnant, c’est aussi que certains, pour défendre la mémoire du tonton pro vichyste, supposent qu’il aurait évité un bain de sang en 1944 lors de la venue des allemands. Voilà une proposition judicieuse car on pourrait ainsi honorer bien des mémoires d’illustres inconnus (ou non) en leur attribuant des hauts faits négatifs à savoir en les glorifiant de ce qu’ils n’ont pas fait ou de ce qui ne s’est pas passé mais aurait pu se passer s’il n’avaient point été à tel endroit à tel moment et, en réalité, à ne faire qu’être là. En quelque sorte, bien que le pire ne soit jamais sûr, ils l’auraient tout de même évité. Imaginons le nombre de notables qui auraient pu faire pire que ce qu’ils ont fait et imaginons le nombre de rues que l’on pourrait ainsi baptiser de leurs patronymes.
On voit par-là que si mon oncle en avait ma tante aurait des dents.

jeudi 25 janvier 2018

René-la-Science (86)



VII. Mousquetaires contre pieds nickelés
Bien des semaines passèrent, la sortie de Michel avait été reportée et Hoblette nous fit un peu lanterner. Mais un soir, René m’appela. La transaction pouvait se faire, il suffisait de fixer un jour. René me proposa un mercredi matin et nous arrêtâmes ce jour-là. Il rappellerait Hoblette puis me confirmerait. Après avoir raccroché, j’appelai Magali pour savoir si je pouvais encore utiliser la maison de Michel comme point de chute. Cela ne posa pas de problème. Magali passait son permis dans deux jours et je lui dis que je croisais les doigts pour elle.
Les choses avancent, me dis-je une fois de plus.
La veille du jour J, René me confirma le rendez-vous pour le mercredi matin très tôt : Hoblette viendra à quatre heures. René avait choisi le mercredi car Colette était en déplacement à Paris pour quelques jours. Je fis la route dans l’après-midi et nous nous retrouvâmes en fin de journée avec René qui vint me chercher. Je passerai la nuit au Blédard chez René, mais il estime qu’il vaut mieux que mon fourgon reste devant chez Michel. En effet, René avait eu l’impression que la maison et le bois de Montieu faisaient l’objet d’une certaine surveillance. Toujours la voiture bleue entre autres. Il valait donc mieux qu’on ait l’impression que je passais la nuit chez Michel, René me ramènera le lendemain après la transaction.
Nous allâmes jusqu’au bois de Montieu et nous passâmes la grille en voiture. Je descendis de la voiture pour nourrir les moutons pendant que René s’avançait jusqu’à l’entrée du tunnel. Les cantines étaient toujours bien en place et nous les mîmes dans la voiture de René. Nous repartîmes et, une fois arrivés au Blédard, René rentra sa voiture dans la grange, puis ferma les portes, en sorte que nous puissions prendre les cantines et les poser dans la maison sans être vus du dehors. Nous posâmes les cantines dans une pièce aux volets fermés, le contenu, une fois vérifié, était toujours le même. René repartit dans la grange et ressortit sa voiture, qu’il gara comme d’habitude, devant la maison. Puis il revint dans la cuisine.
— Mon cher Fortunio, nous allons maintenant nous en boire un petit « seco » si tu veux bien, me déclara-t-il.
— Je n’en attendais pas moins de toi, mon René, je prépare de la glace pilée ?
— Oui, et fissa, j’amène la boutanche.
Deux anis après, nous nous mîmes à table pour dévorer entre autres une splendide bavette à l’échalote, un morceau de viande que j’avais acheté, en partant de chez moi, chez mon boucher. En dessert, René avait préparé un apple-pie à sa façon, excellent :
— Tout chaud, tout fumant, sortant du cul du marchand, tu n’en trouveras de meilleur à la table de l’empereur ! Dit-il en portant le plat couvert d’une croûte dorée.
— Oh oh ! Dis-je, le cul du marchand était à au moins 180 degrés ?
— Méfie-toi du marchand quand il se tourne à 180 degrés, tu pourrais te faire pointer à l’équerre, mon pote.
— Là, tu m’inquiètes, quand je pense que je vais passer la nuit ici ! Le canapé est libre j’espère ?
(à suivre...)

dimanche 21 janvier 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (18)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Deux célébrités sont passées de vie à trépas au mois de décembre et ces décès ont déchaîné une telle rafale d’apologies et d’éloges funèbres que je m’en voudrais d’ajouter une fausse note dans le chœur des pleureuses. On a pu, à ces sujets, lire d’anciens présidents mais aussi lire et entendre l’actuel. Ce qu’ils ont pu dire ou écrire ne dépare pas dans la liturgie ambiante. Ce qui m’a paru surprenant de la part de ces gens qui furent ou sont élus à la majorité mais sans unanimité, c’est qu’ils utilisent des expressions comme « tout le monde l’aimait » ou « personne ne l’oubliera » alors que bon nombre de gens s’en tamponnent hardiment le coquillard. Étrange démocratie où vivent ces gens coupés du monde parce que  plongés dans leur microcosme…
Je ne dirai donc rien au sujet du chanteur américanomorphe et exilofiscaliste mais, sans toutefois me joindre à ce si bel unisson, me permettrai de dire quelques mots sur M. Jean d’Ormesson que je m’étais autorisé à critiquer dans ma chronique du 4 juin 2013. Quatre ans, cela fait bien loin, laissons les morts et les présidents enterrer les morts mais j’ai toujours eu pour Monsieur Jean une dilection, non tant pour sa haute taille et sa grande bravoure que pour la qualité de son verbe et sa capacité à assumer ce qu’il était et ce qu’il vivait. Homme de droite, heureux de l’être et le proclamant, il fut néanmoins toujours prêt à reconnaître et à apprécier les qualités de ses adversaires, pour peu qu’ils en eussent, des qualités. Je crois qu’il n’affichait ni l’arrogance des nantis ni le mépris des intellectuels mais qu’il possédait cette affabilité naturelle et ce respect de l’autre dus à une vraie éducation.
Pour commenter son œuvre, il faudrait avoir lu plus de trois de ses ouvrages, chiffre où je me suis arrêté non parce que je ne voulais plus en lire mais que cela nécessite de la disponibilité et une dépense. Jean d’Ormesson fut un raconteur épatant et son gros livre « Au plaisir de Dieu » est écrit dans une langue si belle, si claire et si fluide que le lecteur en sort imprégné. C’est une vraie leçon de langue. Lire avec Jean d’Ormesson, c’est apprendre à parler et apprendre à bien parler, c’est commencer par comprendre soi-même ce que l’on dit afin  d’être bien compris par son interlocuteur. Le grand mérite de Monsieur Jean fut bien de nous faire ce cadeau à nous et aux générations futures.
Esprit brillant, trop peut-être, Jean d’Ormesson fut aussi attiré par la lumière des médias au point parfois de tomber dans certaines futilités. Produit parfait et lisse, il jouait parfois « aux caprices des dieux », produit de tête de gondole avec ses yeux bleus, sa diction surannée, sa lippe gourmande et son sourire exquis. Dans « Mythologies », Roland Barthes parle de la figure de l’écrivain en vacances vue par Le Figaro et de l’alliance spectaculaire de tant de noblesse et de tant de futilité qui signifie que l’on croit encore à la contradiction miraculeuse de la sacralité et de la banalité. D’aucuns ont même pu dire de lui qu’il était un fake, une sorte d’imposture ou de trucage, mais dans le cas d’un normalien, le seul mot qu’il conviendrait d’utiliser serait canular, si prisé dans le milieu de la rue d’Ulm.
Hédoniste malicieux, il était l’héritier d’un savoir-vivre à la française et qu’il nous lègue en partant, à chacun de savoir s’il accepte cette succession sans bénéfice d’inventaire. Charles de Gaulle disait que son seul rival international était Tintin, on peut dire que le seul rival franco-français de Jean d’Ormesson était Johnny et la dernière ruse de ce malicieux agnostique fut de mourir vingt-quatre heures plus tôt, lui damant ainsi le pion. Juste pour nous montrer qu’au-delà du savoir vivre, il y a le savoir-mourir.
On voit par-là que tout le bonheur du monde est dans l'inattendu. (Jean d’Ormesson)