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dimanche 28 février 2016

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (23)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. De nos jours, seul ce qui est authentique peut prétendre à l’authenticité. Cela peut paraître évident mais cela ne fait nul doute. Car, si au vingtième siècle l’on créait des choses admirables, au vingt-et-unième elles ne le sont pas moins et de surcroît elles peuvent être authentiques ou en tout cas qualifiées comme telles. Bien sûr, il n’est pas question en cela d’actes authentiques passés devant notaire mais de choses que l’on ne peut considérer comme apocryphes, qui ne peuvent être entendues que comme avérées, indiscutables et indéniables, ni altérées ni dénaturées. On nous propose de l’authentique à tour de bras, des mondes authentiques, des français authentiquement nationaux et même des crèches authentiques, certifiées pur dieu par les vrais rois mages.
Même un ex-président futur candidat, pris par l’impérieuse nécessité de publier un livre, se prête à un authentique inventaire de son passage en tant que locataire de l’Elysée. Et, comme le dit si bien le Figaro du 22 janvier à propos de ce livre : « il montre un homme déterminé à ne pas se laisser voler l’expression de son authenticité ». Voilà qui est splendide et ce journal reste ce qu’il est, on pourrait même lui proposer cette phrase en exergue : « Sans la liberté de blâmer les pauvres, il n’est point d’éloge flatteur pour les riches ». Cela ressemblerait à du Beaumarchais de comptoir.
En fait, cet homme se met à confesser ses erreurs et ce mea culpa fait tomber d’étonnement ses thuriféraires : c’est que ces derniers prenaient les dites erreurs pour l’expression d’un caractère pur, entier et pour tout dire authentique. Eh bien voilà que non, le petit homme a ouvert ses grandes esgourdes et capté la rumeur du peuple : le casse-toi et le yacht de Bolloré sont bien une bêtise pour l’un et une erreur de jugement pour l’autre. En effet, traiter quelqu’un de con c’est une insulte, le traiter de pauvre, c’est de la statistique. En conséquence, la prochaine fois, il montera sur le yacht de monsieur B. et le traitera de riche nigaud. Voilà qui a tout de même plus d’allure et qui est socialement plus acceptable.
Mais ce qui est plus intéressant c’est quand il dit que les socialistes veulent moins de riches et lui moins de pauvres et que ces deux logiques sont irréconciliables. En fait, les uns comme les autres ne cherchent ni à tuer les riches ni à exterminer les pauvres : ce qu’ils souhaitent c’est seulement qu’ils soient moins visibles. C’est bien là que se situait l’erreur de notre ex-futur candidat-président, il a désigné les pauvres en les traitants de cons et les riches en se faisant mener en bateau par son ami B. Mais qu’est-ce qu’un pauvre, en fait ? On peut difficilement reconnaître le pauvre au fait qu’il se plaint car le vrai pauvre, n’ayant rien ou pas grand-chose à perdre, se plaint toujours moins que le faux pauvre, celui qui a de l’argent et des biens et qui craint toujours qu’on les lui prenne. Peut-on se fier à notre ex-futur-président-candidat pour identifier d’authentiques pauvres ? Je crois qu’il s’y connaît plus en authentiques riches et il est hasardeux de penser que nos socialistes gouvernementaux soient plus compétents pour déceler les véritables pauvres. Donc, le plus simple serait encore de cacher les pauvres chez les riches et inversement. Comme il y a moins de riches que de pauvres, tout paraîtrait mieux mais cela manquerait un peu d’authenticité. On ne peut tout de même pas avoir le beurre, l’argent des riches et le sourire de madame Lagarde.
On voit par-là que l’authenticité ne va pas de soi.

jeudi 25 février 2016

Le cabot de Fortunio (86)



Nous rejoignons Arcueil où je me gare sans trop de problème dans une petite rue. Nous déambulons tranquillement vers l’impasse. Flèche est fort intéressée par l’angle de la première maison et je laisse libre cours à ses investigations pendant que René entre dans l’impasse. Il a à peine fait cinq mètres qu’il revient en arrière en me faisant signe de me taire. Il me pousse vers la gauche et me souffle à l’oreille : « Y’a du monde là-haut ». En effet, à notre poste d’observation, il y a un gonze avec des jumelles qui scrute apparemment la maison du dénommé Alouari, le numéro 18. Flèche me tire un peu dans l’impasse, je laisse faire tout en cherchant à jeter un coup d’œil discret. Cela me permet de constater que notre guetteur n’est pas seul, il a un collègue. Pas question d’attirer l’attention, nous reprenons notre marche sur l’avenue.
-          Dans le noir, c’est difficile à voir, dit René, mais il me semble bien que c’était un black, ce mec. Qu’est-ce t’en penses ?
-          Bof, ouais, c’est possible mais j’en jurerais pas…
-          En tout cas, ils nous ont piqué notre poste d’observation et il faudrait quand même savoir qui est sur la même piste que nous… enfin, si c’est la même piste ! Chut, attention, y’a deux gonzes qui viennent de sortir de l’impasse, ils partent de l’autre côté… on y va, doucement…
Nous revenons doucement sur nos pas. Ces gars sont baraqués comme des armoires à glace, ils avancent à vive allure et nous ne pouvons pas leur courir derrière. Pas question de voir leur couleur de peau non plus. Une cinquantaine de mètres plus loin, ils montent dans une grosse berline foncée garée à contresens sur l’avenue. On aura donc une petite chance de les apercevoir. La bagnole démarre en douceur et coupe l’avenue pour prendre la droite. Coup de chance, une voiture arrive en sens inverse et, dans la lueur des phares, on voit bien que ce sont deux blacks.
-          S’ils se barrent c’est soit qu’ils vont chercher du renfort soit qu’il n’y a rien à voir pour le moment. Je parierais plutôt sur la deuxième option. Et toi ?
-          Moi aussi. Cela dit, j’aimerais bien savoir qui sont ces deux malabars. Pour causer comme toi, soit c’est des Gondolais soit c’est des malfrats. Je ne crois pas que ce sont des flics français, ils n’envoient pas les noirs par paire dans la Police Nationale, à mon avis…
-          Alors, je dirais que soit le mystère s’épaissit soit on va y voir de plus en plus clair, rétorque René. Tu crois pas qu’on ferait bien d’aller se pieuter ?
Nous revenons à notre hôtel et regagnons nos chambres respectives en proclamant que la nuit porte conseil.
Le lendemain matin, nous obtenons de pouvoir nous installer en terrasse pour le petit déjeuner, ce qui permet de le prendre tranquillement avec le chien à nos pieds. Mon portable sonne, un appel masqué. Je n’aime pas trop mais je prends.
-          Jacques ? dit une voix que je ne reconnais pas.
-          Il n’y a pas de Jacques ici, réponds-je de façon peu amène.
-          Et connard, ça te dit rien, des fois ?
(à suivre...)

dimanche 21 février 2016

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (22)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « L’orthographe est la science des ânes ».
Ainsi parlait Sara Toussetra en me rendant quatre-vingt cents de monnaie tout en lorgnant sur le titre de mon quotidien régional. Comme il ne peut être question de mettre en doute une vérité assénée par cette judicieuse commerçante, j’opinai du chef et sortis en le couvrant de ma nouvelle casquette. Inutile de vous dire que cette déclaration m’avait laissé rêveur.
Pour moi qui n’avais pas plus la bosse des maths que je n’étais fort en thème, l’orthographe était un peu mon refuge, ma bouée de secours. Je dirais que, sans être toutefois un Mérimée ou un Pivot, je tirais honorablement mon épingle du jeu ; cela fut mon seul maigre titre de gloire au jour de la distribution des prix. C’est donc avec une tristesse non dissimulée que je vois disparaître certains gentils petits pièges de notre langue ainsi que cet ornement si gracieux appelé accent circonflexe, léger chapeau protégeant nos voyelles par temps de postillons.
Cette réforme ayant suscité une telle levée de boucliers, je n’ajouterai pas mon écu aux autres, les langues vivantes évoluent pour ne pas mourir. Ce qui est intéressant, c’est de voir que notre langue change sans se soucier des contraintes réglementaires et que ceux qui veulent la domestiquer sont toujours à la traîne ou à côté de la plaque. A ma droite, l’Académie qui freine des quatre fers, au centre le gouvernement qui légifère et à ma gauche les fabricants de dictionnaires, toujours avides de démagogie, qui glissent dans leurs colonnes quelques expressions de verlan des cités pour se faire bien voir des bobos et des zélateurs des banlieues. Finalement, ceux qui veulent nous imposer leur langue se considèrent comme des dominants, qu’ils soient en habit vert, écharpés de tricolore ou rappeurs casquettés à l’envers. La bataille pour l’orthographe est une partie de la bataille des idées. L’alliance entre ces trois groupes conduit à créer une culture hégémonique bâtarde issue de la bourgeoisie et mâtinée par la langue des cités. Le meilleur exemple de cette domination est bien l’entrée de l’expression « triple A », instrument de la dictature de la finance sur le monde d’une part, et celle de la « beuh » outil de l’empire de la drogue et de ses suppôts d’autre part.
 La langue parlée prend des libertés qui déteignent sur la langue écrite. L’argot et les jargons ont enrichi notre langue en dépit des censeurs et des puristes. Parce qu’ils apportaient une description de notre univers plus imagée ou plus précise. Mais le temps et l’usage font le tri mieux que les lexicographes. Au tribunal de la langue, on voit des légistes, des juristes, des procureurs et des avocats, on s’empoigne, on se fâche et on se perce ; on argumente, on tergiverse, on atermoie et on radote mais pendant ce temps-là, la langue court toujours, jamais vous ne la rattraperez. Continuez donc, vous autres, pendant vous pérorez les croquants se parlent et se comprennent. Comme le disait Claude Duneton, l’État français a tout fait pour tuer les langues des territoires tombés dans son giron et dans la foulée, il a châtré sa propre langue en la privant de sa sève, de ses racines populaires.
On voit par-là que le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres 

jeudi 18 février 2016

Le cabot de Fortunio (85)

Il faut reconnaitre que son whisky est fameux. Pendant que nous buvons, le violon continue à jouer. Elle nous explique que son mari fait une carrière internationale et il joue pratiquement tout le temps. Ils voulaient déménager pour aller habiter dans une maison isolée mais, contre toute attente, un collectif de l’immeuble a envoyé une délégation avec une pétition demandant qu’ils y restent car ils voulaient continuer à l’entendre jouer pendant ses séjours à Paris. Donc, ils sont toujours dans cet appartement, ce qui permet à Estelle d’être proche de son boulot à la rédaction du journal. Nous apprenons que son vrai nom est Josette Pertelfisse et qu’Estelle Guyaume est son nom de plume. En fait, elle voulait prendre ce prénom mais elle ne pouvait pas se faire appeler Estelle Pertelfisse. De même, dans ses débuts personne ne la prenait au sérieux jusqu’au jour où elle a pris ce nom de plume et une autre apparence plus que parisienne, extravagante, hyper maquillée avec des fringues excentriques. Avant, elle passait pour un bas bleu, après elle devint la coqueluche de la vie artistique parisienne. De pigiste, elle était devenue chroniqueuse pour les plus grands magazines français et étrangers. Une fois que nous savons tout cela, j’attaque un second whisky et les affaires sérieuses. Je lui explique que j’ai besoin de laisser ma valise chez une personne de confiance car elle contient des documents importants et je ne veux pas risquer de les perdre ou de me les faire voler. Cela la surprend un peu mais ça la flatte aussi que je ne connaisse qu’elle comme personne de confiance dans la capitale. Elle accepte donc et me montre son petit bureau où elle me propose de la déposer. Et elle me donne une clé de son appartement au cas où j’aurais besoin de la récupérer en son absence car il ne faut pas compter sur son mari, il n’ouvre jamais la porte même s’il entend la sonnette. Pour moi, c’est idéal, d’autant plus que René, en parfait gentleman, se propose d’aller chercher la valise dans la voiture, ce qui permet à Estelle de mettre cet interlude à profit pour me faire avaler le baiser de la mort[1]. Après le retour de René, nous terminons nos verres.
-          Messieurs, que toute cette histoire reste entre nous, vous êtes les seuls à connaître la vérité sur Dr Josette et Mrs Estelle. Mais en ce qui vous concerne, monsieur le plombier, je commence à penser que, vous aussi, vous avez des activités parallèles…
-          Si je peux me permettre, nous nous tenons par la barbichette, dis-je en lui tendant ma carte professionnelle.
-          Mmmouais, dit-elle avec une moue équivoque avant de nous faire signe de nous barrer.
Nous prenons l’ascenseur et rejoignons notre japonette dans laquelle nous attend une Flèche toujours patiente.
-          Voilà un personnage qui ne manque pas de piquant, me dit René. Toutefois, j’aurais aimé rencontrer son violoniste de mari.ne serait-ce que pour voir son front au Caucase pareil… au caucuse pareil…
-          Bon, c’était une fois en passant et je pense que je n’ai pas l’exclusivité des faveurs extra-conjugales de Madame Poulit’ Cométo !
-          Tu me fais un poulit’ connaud. J’espère qu’on peut lui faire confiance, à ton météorite sinon on va se trouver un peu démuni si la bise vient.
-          C’est tout ce que j’avais en magasin…
-          Changeons de sujet, je propose de faire un tour vers chez ton Latik avant de se pieuter, histoire de voir, comme ça… pour faire plus discret, tu prends ton clebs en laisse et on se promène comme deux pépés qui font pisser Mirza.
-          On verra pas bézef, tu sais car on ne va pas monter dans le chantier avec le chien, réponds-je.
-          No problème, Mister Fortunio, tu te balades avec Médor et moi je fais un saut vite fait au poste d’observation.
-          Si tu veux, allez on fait comme on a dit, conclus-je.




[1] 2 cl de rhum blanc, 2 cl de whisky, 2 cl de tequila, 2 cl de vodka, 2 cl de chartreuse verte, 2cl de cognac, 1 seul glaçon et 2 toasts à la purée de piment.
(à suivre...)

dimanche 14 février 2016

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (21)



Exegi monumentum aere perennius. Le poète Horace déclare au début d’une de ses odes qu’il a bâti un monument plus durable que l’airain… belle et juste image.
N’est pas Horace qui veut. De même, Victor Hugo voulait être Chateaubriand ou rien. Il a fait mieux, il est devenu Victor Hugo.
Mais pour le quidam ordinaire, comme vous et moi dirais-je, comment passer à la postérité ? Cela présente quelques difficultés car des quidams ordinaires, il y en a une multitude plus x, pour parler mathématiquement. Cela fait beaucoup de monde pour une postérité certes nombreuse mais qui devient de plus en plus oublieuse du passé, à juste raison. En effet, on aura tant parlé des leçons du passé et du devoir de mémoire  que, les vacances venues, nos descendants les mettront au feu avec les cahiers et le personnel enseignant.
Dans cet océan d’oubli, que nous reste-t-il donc pour laisser une trace de notre passage ? Nous négligerons les tags et les graffiti laissés çà et là, les parutions dans les journaux et magazines, éphémères et trop brefs messages pour nous satisfaire. Il y a mieux.
Quand il y a un problème, la poste a toujours une solution. Ne dit-on pas : «  passer comme une lettre à la poste ? ». Cette expression résume bien toute la capacité de cette administration à répondre à toutes nos questions.
C‘est par le plus heureux des hasards que j’ai découvert que la poste peut prendre soin de ceux qui veulent faire savoir à la postérité qu’ils n’ont rien à dire mais qui l’écrivent.
En effet, j’ai fait partir il y a quelques années un manuscrit que les éditeurs refusaient régulièrement de publier. J’expédiais mes feuillets dans des enveloppes dites prépayées et en envoi suivi. Tout allait bien, je constatais que mon courrier atteignait son destinataire et quelques mois après je recevais un refus bref mais courtois. Jusqu’au jour où, scrutant sur mon écran le suivi de mon dernier envoi chez un éditeur de renom, je ne vis pas que celui-ci ait été présenté. Je suis patient, vous l’avez certainement remarqué, et je continuai jour après jour à scruter mon écran tel Robinson l’horizon. Plus d’un mois se passe et je m’adresse par écrit à l’administration compétente qui, après bien des atermoiements, a envoyé un jeune agent à la recherche de mon envoi. Celui-ci a aussi disparu. Cela a fait sortir des délégués syndicaux de leur torpeur. Des comités techniques et des commissions spécialisées se sont réunies et sont programmées sur de nombreux semestres. Des experts ont été nommés, un médiateur sera désigné et des procès-verbaux seront affichés. A la poste, peu de choses se créent et peu se perdent. Encore moins un agent, surtout spécialisé. Celui-ci devrait réapparaître au bout du nombre de trimestres voulu pour qu’il puisse prétendre à une retraite au taux plein et, s’il émerge en portant mon enveloppe sous le bras, mon manuscrit aura déjà gagné près de quarante années sur ce que l’on appelle la postérité. S’il revient les mains vides, j’ai confiance, la poste enverra un autre de ses préposés et cela sera autant de gagné encore.
On voit par-là que passer à la postérité n’est qu’une question de temps.