En vedette !

dimanche 27 avril 2014

Chronique du temps exigu (103)

Chronique du temps exigu (103)
« Philosopher, c’est apprendre à mourir » écrivait Montaigne. A son époque, c’était autre chose de philosopher que cela ne l’est aujourd’hui. De nos jours, les philosophes sont pour la plupart fonctionnaires et il s’en trouve même un qui vient d’être élu à l’Académie Française, en remplacement de Félicien Marceau. Ce fauteuil sentait quelque peu le soufre, qui mieux qu’un philosophe pourrait lui redonner un parfum de sagesse ?
Si hier encore philosopher était apprendre à mourir, il semble que notre moderne philosophe ne voie plus la chose ainsi puisqu’il a postulé pour entrer au nombre des immortels et pour lui la logique est maintenant d’apprendre à ne plus mourir ! Pour ce qui est d’y arriver, il est à craindre que le résultat soit fort douteux. Et le port de l’habit vert pourrait n’être qu’un entraînement à se faire ronger des vers.
Ah ! Il est loin le temps où Socrate buvait stoïquement la ciguë, Sénèque s’ouvrait les veines et  Empédocle[1] se jetait dans la lave bouillante de l’Etna. Et même celui où Sartre prêchait perché sur un fût de lubrifiant.  Aujourd’hui, le philosophe est prébendé par l’Etat, sa retraite est garantie par la Fonction Publique et les ors des palais de la République éclairent sa pensée triomphante. L’Audiovisuel Public n’est pas le moindre de ses fleurons. Diogène, sa lanterne et son tonneau peuvent bien aller se rhabiller, ce n’est pas notre brillant penseur qui intimerait à Poutine l’ordre de s’ôter de son soleil. La modernité donne à nos plus beaux esprits une épée d’académicien pour défendre la langue, la morale et la bienséance de l’identité française.
On voit par là que la modernité est grande et que ses prophètes siègent sous la Coupole.



[1] Quoique puisse avoir dit Strabon !

dimanche 20 avril 2014

Chronique du temps exigu (102)

« Qu’est-ce que c’est trente Euros de nos jours ?  Aujourd’hui, pour trente Euros, t’as plus rien…» Ainsi parlait Sara Toussetra, buraliste et marchande de journaux. Cette déclaration me surprenant, je me hasardai à intervenir dans la conversation qu’elle tenait avec Madame Grelot.
-          Pardon, dis-je, mais vous pensez qu’auparavant on pouvait acheter rien avec trente Euros ?
-          Mais, mon pauvre Monsieur, avant, avec trente francs, on faisait un caddie plein plus un paquet de clopes. Alors que de nos jours… mais vous vouliez le Canard ? Il n’est pas encore arrivé, Monsieur Forelle !
A son ton condescendant, je compris qu’il était inutile d’insister et je plantai là ces dames ainsi qu’un monsieur qui venait de se faire plumer d’un billet de vingt à l’EuroCouillons.
Rien n’est jamais acquis, paraît-il. Et pourtant, la vie est bizarrement simple. En effet si je n’ai rien, je suis sûr que cela m’est acquis. Le rien est ce que tout le monde vous accordera non sans scrupule mais avec générosité. Nul ne vous disputera le rien. Toutefois, le moins que rien n’est pas à la portée de tous, c’est une affaire de riche. Si vous n’avez rien, il ne vous est pas possible d’en avoir moins. Mais si l’on en a suffisamment plus, il est possible d’envisager le moins que rien. Voyez Monsieur Tapie : on lui a en a pris tant et plus, tant et si bien qu’avec moins que rien il en a davantage que s’il n’avait absolument rien. C’est en outre là qu’intervient l’impôt négatif, épigone du généreux avoir fiscal. Le fisc vénère les riches, méprise les pauvres et choie ceux qui, ayant tout perdu et même plus, on tout à gagner et moins que rien à perdre. Voyez Monsieur Cahuzac : avec trois fois rien il faisait pousser des poils sur les œufs et ces trois poils se sont retrouvés sur un compte dans une banque alpestre. Rien à déclarer ? Non, moins que rien, trois fois rien, monsieur le gabelou…
On peut donc en conclure que ne rien avoir – strictement rien et ni plus ni moins – est la seule situation stable de nos jours : le rien ne craint ni inflation ni déflation, il n’est nullement partie prenante dans la croissance, il n’est pas encore taxable même s’il ne rapporte guère.

On voit par là que le rien fait partie de ce je-ne-sais-quoi que nul ne peut ignorer.