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dimanche 29 décembre 2013

Chronique du temps exigu (92)

 « Le Veau d'Or est toujours debout !
On encense
Sa puissance,
D'un bout du monde à l'autre bout!
Pour fêter l'infâme idole
Roi et peuples confondus,
Au bruit sombre des écus,
Dansent une ronde folle
Autour de son piédestal!…
Et Satan conduit le bal! »[1]
Alors, demanderais-je, Satan conduit-il toujours le bal ? Ou quelqu’autre de ses suppôts affublé d’un faux nez le remplacerait-il ?
Eh bien oui, en effet. Lui qui, dans son jeune âge, se faisait fort d’être toujours sur la brèche, omniprésent lorsqu’il était question de tenter Saint Antoine par exemple ou quelques nonnettes et nonnains en désir de luxure, lui qui était toujours là où on ne l’attendait pas, lui qui se cachait dans les moindres détails délègue maintenant son autorité à conduire le bal.
Et qui donc a reçu ce noir privilège de représenter le malin auprès de nous autres frêles humains ? Qui donc est à même de tenir ce sombre rôle méphistophélique ? Un seul homme en est-il capable ? Un seul homme, non, en effet ! Mais un groupe, une caste, une secte diabolique ! Des extra-terrestres alors ? Des anges déchus tombés du ciel ? Que nenni ! Il s’agit seulement des épigones d’Adam Smith et de Ricardo, la secte des économistes.
On remarque que cette secte s’est véritablement constituée à l’époque où les monarchies absolues de droit divin tombèrent dans le déclin. Il y avait une place à prendre et le démon y a envoyé ses sbires afin de ne point permettre aux humains de se libérer du joug des puissants. Il fallait reprendre le flambeau de l’absolutisme et nul autre qu’un économiste ne pouvait être mieux placé pour faire tomber le peuple dans la résignation et la servitude volontaire.
Quand les rois disaient à leurs sujets : « Travaillez, payez la gabelle et taisez-vous ! », la cause était entendue, il fallait obéir. Aujourd’hui, les économistes nous disent : « Travaillez, travaillez, payez de la TVA et autres impôts, causez si vous voulez tu m’intéresses mais y’a plus rien en caisse ! »
Evidemment, il n’y a plus rien en caisse puisque les fameux économistes ont bien expliqué aux gros pleins de sous comment mettre le pognon à l’étranger. Car c’est cela, leur mondialisation : plus de frontières pour la grosse galette mais conservons les pays étrangers. Comme cela, les français mettent leurs sous en Belgique par exemple, les belges en Suisse, les allemands au Liechtenstein, les anglais aux îles Caïmans, les luxembourgeois…- tiens, ils mettent leur argent où ceux-là ? -, les suisses allemands chez les suisses francophones et ainsi de suite. Il y a donc toujours un pays étranger prêt à accueillir le pactole des autres pour peu qu’il puisse dire c’est pas moi c’est les autres, c’est le fric des autres mais nos caisses à nous sont vides !
On commence à voir par là pour quelles raisons nous tirons le diable par la queue.


[1] Faust, de Charles Gounod. Livret de Barbier et Carré, 1859.

dimanche 22 décembre 2013

Chronique du temps exigu (91)

« Il n’y rien de plus terrible qu’un feignant révolté ».
Et en effet on comprend qu’il est terrible pour tous les besogneux qui comptent leurs heures comme d’autres leurs sous, pour tous les traîne-savates qui vont au boulot en pensant que ça va comme un lundi et pour tous ces bosseurs à la petite semaine qui vont au labeur pour tromper leur ennui en attendant la retraite, il est terrible donc de voir le feignant se mettre à la tâche, faire en deux heures ce que d’autres ne feront jamais en vingt ans et fignoler l’ ouvrage en dépensant son temps sans compter les minutes, les semaines ou les années !
Car la conscience, disait Albert Camus, vient au jour avec la révolte et que peut-il y avoir de plus révoltant pour un feignant que de voir tous ces gâcheurs de métiers qui mâchonnent le travail comme une vache rumine son herbe, régurgitent ce qu’ils ne peuvent ingérer en éructations spumescentes et éjectent en bouses flatulentes le résultat de leur jobs merdiques. Que peut-il y avoir aussi de plus éprouvant que de voir le travail égrené à la seconde, à la minute, alors que la moindre des générosités est de s’y adonner avec fougue et sans calcul.
Etre feignant, c’est respecter la nature de l’homme qui n’est nullement fait pour s’évertuer à travailler alors que la vie est si belle lorsqu’on la regarde s’écouler en se laissant porter par son flot. Et s’il faut travailler, fichtre, que cela soit dans l’ardeur et l’enthousiasme !
Quand j’étais à l’école, j’eus l’heur de lire sur la couverture d’un cahier : «   Labor omnia vincit improbus » et la traduction que j’en fis me resta en mémoire : « le travail vainc les improbes ». Ignorant, car jeune encore, de ce que peuvent être les improbes, parfois moi-même traité de malprobe, je craignais donc à juste titre d’être vaincu par le labor en question et c’est là que ma vocation de feignant trouva sa source féconde puisqu’ensuite je poursuivis six ou sept années d’études en me gardant bien de les rattraper.
Cette phrase, je la connus il y a bien longtemps lorsque je me lançai dans le monde du travail. J’en ai presque fait ma devise et cette révolte m’a suivi tout au long de mon existence jusqu’à ce jour. Tel Saint-Georges terrassant le dragon, je me précipitai avec fougue sur le labeur afin de l’occire en combat singulier avant que ce ne soit lui qui m’abatte. Point de quartier avec cette hydre polycéphale !

On voit toutefois que si c’est une révolte, cela n’est pas une révolution.

dimanche 15 décembre 2013

Chronique du temps exigu (90)

« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
Lorsque Lamartine écrivait cela, il ne pensait pas que, plus de cent-cinquante années après, Nelson Mandela le démentirait.
En effet, il a suffi que sa disparition soit annoncée pour que l’on voie surgir de partout des personnages (que l’on avait parfois un peu oubliés) ayant leur mot à dire le concernant. Des présidents en exercice ou non, des ministres et des secrétaires d’Etat en activité ou potentiellement ministrables. On ne voit qu’eux sur les écrans et ils se précipitent vers l’Afrique du Sud pour se montrer dans le défilé des vertueux, des démocrates et des généreux.
Tous les pays n’ont pas la chance de faire mourir un grand homme régulièrement afin de créer cet unanimisme de façade qui fait tant plaisir à nos présentateurs de télévision. L’Afrique du Sud elle-même vient d’utiliser avec brio ce joker mais on peut penser que le successeur du grand homme reprendra ses activités conjugales, pharmaceutiques et politiques comme précédemment, dès que l’émotion collective sera retombée.
De nombreux pays de par le monde vivent en état de discorde récurrente. La Tunisie, l’Egypte, l’Ukraine par exemple mais aussi la France où, depuis l’instauration du quinquennat, la droite et la gauche se disputent le pouvoir, où la droite de la droite crie haro sur la droite quand elle est au pouvoir et aux chiottes la gauche quand elle est aux commandes, où la gauche de la gauche hurle à la mort sur la droite, sur la droite de la droite, sur la gauche, sur la gauche de la gauche de la gauche, que celles-ci soient ou non au pouvoir. Bien sûr, il n’y a pas partout des Mandela et, quoiqu'il en soit, ce dernier lui-même ne pouvait mourir qu’une seule fois mais tous ces pays pourraient étudier la possibilité de sacrifier de temps à autre un politicien sur l’autel de la réconciliation. Il ne manque pas de gens fort décriés dont on s’empresserait de faire, sinon des martyrs – gardons-nous de toute exagération –  tout au moins des héros antiques sitôt qu’ils seraient passés de vie à trépas. Et, en admettant qu’on craigne de se priver de l’élite pensante de la nation, on pourrait même proposer à l’un ou l’autre de faire comme l’un de nos anciens ministres de l’Intérieur qui, suivant un exemple célèbre, ressuscita et nous fit la surprise de revenir bon pour le service. On pourrait commencer par un essai, un ou une autre ancien(ne) ministre de l’Intérieur par exemple (suivez mon regard…) pour voir combien de temps peuvent durer les chœurs unanimes des chantres de la concorde post-mortem. En imaginant une durée de six mois (on chargerait les médias de diluer la sauce louangière), on pourrait s’accorder entre trois et six mois de latence pendant lesquels on reprendrait la discorde politique avant d’en immoler un ou une autre et de repartir pour six mois d’oraisons funèbres à la gloire du défunt.

On voit par là qu’accessoirement on résoudrait aussi et pour partie le problème du financement des retraites.

dimanche 8 décembre 2013

Chronique du temps exigu (89)

Le président-directeur-général d’une grande firme de construction automobile va partir à la retraite, plus ou moins poussé vers la sortie par les actionnaires. Néanmoins, il ne devait partir que les bras chargés de billets et surtout la tête couverte d’un chapeau doré. Cela est à la mode de nos jours, les riches dirigeants de grosses compagnies ne se déplacent plus sans retraite chapeau, sans parachute doré et sans toutes les précautions nécessaires à leur survie.
Comble de malchance pour ce pédégé, de sournois syndicalistes ont dénoncé ce personnage au moment où il pensait pouvoir passer la porte de l’entreprise nanti de son pactole couvre-chef. Il a donc déclaré qu’il acceptait de manger son chapeau et de sortir tête nue de l’entreprise. Gageons que les gestionnaires en place sauront l’aider à trouver les moyens de récupérer d’une main ce qu’il a repoussé de l’autre. Il ne manque pas d’artifices comptables permettant aux nantis de se promener les mains vides mais les poches pleines. A quoi bon avoir une comptabilité, si ce n’est pour qu’elle soit en partie double ?
Assez parlé des riches, parlons des autres. Quels autres ? Eh bien, ceux qui n’ont pas de chapeau, ceux qui partent avec une retraite slip, autrement appelée minimum vieillesse. En effet si les grossiums ont chaud à la tête, les minimums ont tendance à avoir froid aux fesses et le malheureux sous-vêtement qui leur est accordé par les caisses de retraite ne l’est pas dans un souci de protection ou de confort mais seulement de décence. Pour ne pas choquer les yeux de ceux qui ont tout, il faut cacher le cul de ceux qui ont peu. N’y a-t-il point de syndicalistes pour dénoncer cet état de fesses ? Car tout de même, si les pauvres montraient plus souvent leur cul, les riches en tomberaient sur le leur et cela ne serait pas rien.
Alors, tâchons de faire quelque chose pour les retraités modestes. L’autre jour, en remontant les Champs-Elysées en tandem avec l’amiral, je me suis surpris à faire du lèche-vitrine devant chez Zina, chapelier-fabricant bien connu. Il y avait des chapeaux de toutes sortes : des claques, des melons, des mous, des casquettes, des canotiers, des panamas, des képis, des calottes, des tricornes, des bicornes et autres sombreros. Mais mon attention fut attirée par un couvre-chef à la portée de toutes les bourses, une coiffure modeste, loin des orgueilleux couvre-chefs, bien nommés en cela. Non, cette coiffe discrète, quoique de bon goût, c’est le béret. Bon sang, mais c’est bien sûr, comment n’y avoir pas pensé plus tôt ? Le béret ne peut-il être le galurin du retraité modeste ? Il quitterait son entreprise nanti d’une retraite-béret, à chacun son couronnement ! Et c’est là que mon compère maritime intervint en faisant une proposition renversante : un vestiaire pourrait être installé à la frontière franco-helvétique, côté suisse bien sûr, et les retraités modestes seraient autorisés à s’en servir de temps à autre pour y mettre leur béret. Cela leur permettrait de dire qu’ils ont déposé leur retraite en Suisse. Cela serait valorisant pour eux et dans le vent.

On voit par là qu’il n’y aura pas de retraite sans Béret Zina.

dimanche 1 décembre 2013

Chronique du temps exigu (88)


« La fortune vient en dormant ».

Revenons encore sur l’époustouflante qualification de l’équipe de France pour le championnat qui aura lieu au Brésil. En effet, il s’est encore trouvé l’un ou l’autre expert pour prédire un effet favorable de cette prouesse sur notre économie nationale. Notons bien que si cela s’exprime par une hausse du produit intérieur brut (PIB), une catastrophe naturelle peut aussi avoir un impact positif sur ce même PIB dans la mesure où elle mobilisera des entreprises et générera des flux financiers. Le malheur des uns, en science économique bien comprise, fait le bonheur des autres.
Mais il faut bien dire que ce ne sont pas les vingt et quelques gugusses grassement payés pour jouer au ballon qui génèrent directement cette performance économique mais ce sont les milliers, les millions de travailleurs pantouflés accrochés à leur récepteur de télévision qui génèrent ce bonus. Tout cela par leur temps de cerveau disponible attribué à la chaîne number one de télédiffusion française, par leur disposition à ingurgiter des aliments et des boissons, par leur capacité à acheter, au comptant ou à crédit, des récepteurs et en fin de compte par leur intuition foudroyante qui leur permet de bousculer les lois de probabilités en faisant bondir les recettes des paris en ligne.
Ce sont donc bien nos sportifs en savates qui sont le fer de lance de notre économie, ce sont eux qui portent haut l’étendard de la croissance, délaissant le marteau et la faucille pour la canette et la pizza. Ce sont les ferments (burp !) de l’unité nationale et là où les politiques n’arrivent pas à marquer de la tête, là où les footballeurs n’arrivent pas à marquer du pied, les sportifs de canapé marquent des points avec leurs fesses. Cela est admirable et la réussite de notre pays est au fond des braies de nos gaulois en charentaises, toujours prêts à profiter des temps de publicité pour se rendre au petit coin : pour eux PIB ne signifie plus Produit Intérieur Brut mais seulement Pisser/Ingurgiter/Boire !
Gloire à ceux qui du fond de leurs divans et au fond de leurs cuvettes font ainsi prospérer notre économie !


On voit par là que la fortune vient aussi en foutant.