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dimanche 30 octobre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II (6)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Un train peut en cacher un autre… cette phrase lapidaire a fait rêver bien des gens arrêtés à un passage à niveau. En effet, un train normalement en retard sur l’horaire peut en cacher un autre qui arriverait sournoisement à l’heure. Le piéton (ou le cycliste) qui traverse le passage à niveau n’imagine pas qu’un train puisse arriver à l’heure, ce dernier étant de plus obligé de se cacher derrière un autre pour ne pas se faire voir.
Le retard des trains est une source inépuisable de découvertes culturelles pour qui a la chance de s’y pencher. Comme dans le film de Kieslowski « Le hasard », on sait très bien qu’une vie peut totalement être changée pour un simple train en retard, en réalité différemment la même mais là est toute la magie ferroviaire de faire croire que tout peut changer là où tout se suit et se ressemble, là où il faut que tout change pour que rien ne change. Un train qui arrive à l’heure, c’est tout le rêve de tous les possibles qui s’écroule ; un train qui arrive à l’heure, c’est la routine de la vie qui nous reprend à la gorge ; un train qui arrive à l’heure et c’est le retour à la grisaille du quotidien. Et nous ne parlerons pas des grèves car on sait bien que la grève est à notre compagnie ferroviaire ce que l’or est à la finance, une valeur refuge. C’est l’étalon selon lequel on mesure la valeur du service rendu.
Vous est-il arrivé d'être dans un train quand tout à coup des haut-parleurs situés on ne sait où dans le wagon se mettent à éructer une annonce bruyante et incompréhensible ? Après un coup d’œil à votre montre, vous supposez que l’on vous apprend que votre train aura du retard sur l’horaire annoncé, que le président de la société ferroviaire viendra en personne vous tenir la main pour prendre votre correspondance et qu’une agréable collation sera servie en compensation du préjudice subi. Légère déception, seule la première de ces suppositions se révèlera exacte.
J’ai eu la chance dernièrement de voyager au côté d’un sémiologue érudit qui a longuement analysé ces éructations ferroviaires et qui a fait une découverte étonnante. Ces messages que nous entendons dans les trains ne sont nullement en langue française ni en une autre langue en usage dans nos pays occidentaux. Il s’agit en fait d’une langue hiéroglyphique non écrite et uniquement émise par ce que l’on appellera une voix. Cette langue n’est pratiquée que par des locuteurs ignorant la signification de ce qu’ils disent mais ayant bien la sensation d’avoir une parole imagée autant que sensée.
On voit par-là que les agents du chemin de fer ne diffèrent guère, sur ce point précis, du commun des mortels.

jeudi 27 octobre 2016

René-la-Science (21)



Le bois de Montieu est un endroit charmant, au pied d’une colline qu’il escalade vers le château du même nom. Il y a des chênes, des chênes verts, des buissons de toutes sortes, des clairières et des roches erratiques. Le tout dominé par le joli petit château datant des XIIIème et XVIIème siècles. D’après ce que me dit Michel, le site était déjà un site celte puis gallo-romain. Lorsqu’on arrive, on comprend mieux les craintes du propriétaire du château : les Hupart père et fils ont mis en chantier une bergerie et un logement connexe, mais les travaux étant plus ou moins au point mort depuis la mort du Gaby, l’ensemble tient plus du bidonville que du lotissement résidentiel. Et le bois est fermé par une solide clôture ornée de panneaux interdisant l’entrée et le passage. Il avait du bosser le Gaby pour entourer ses quinze hectares d’une clôture de près de deux mètres de haut. En arrivant, Michel descendit de sa voiture et ouvrit une grille fermée d’un gros cadenas, il remonta dans la voiture, avança et redescendit pour refermer et remettre le cadenas.
— La confiance règne dans le coin, dis-je.
— Justement non, je ferme et de toute façon, il y a les brebis, je ne vais pas les laisser échapper.
— Oui, mais une brebis n’a jamais ouvert un cadenas, que je sache…50
— Prudence, méfiance et discrétion sont les trois mamelles du bois de Montieu, retiens cela, me répondit Michel en redémarrant.
Un chemin serpentait dans le bois, divaguant apparemment d’une clairière à l’autre, nous croisâmes une douzaine de brebis suivies de quelques agneaux, puis Michel s’arrêta devant un pailler appuyé contre le coteau.
— C’est sous la paille, me dit-il.
— On ne va tout de même pas déplacer tout ce tas de paille, dis-je.
— Pas de problème, tout est organisé, tu vas voir, il suffit de déplacer quelques bottes.
Nous descendîmes de voiture et il écarta quelques bottes de paille, dégageant en effet l’entrée d’un tunnel. Il y avait des étançons un peu partout et on n’y voyait rien, mais Michel avait une torche et il éclaira l’intérieur. Il entra et je le suivis. Il fallait se tenir courbé et éviter les planches et les étrésillons qui traversaient en tous sens. L’ensemble de l’étayage avait souffert du temps et il était évident qu’un renforcement serait nécessaire, ainsi qu’une organisation qui permettrait un passage plus aisé. Après plus de trente mètres, nous tombons sur un éboulis mélangé de terre et de grosses pierres.
— Si je comprends bien, les travaux se sont arrêtés là. Il en reste encore beaucoup, à ton avis ? Demandé-je.
— Impossible à savoir, j’ai essayé de savoir en travaillant au pendule au-dessus, sur la colline, mais je n’ai rien de précis. D’après moi, il y en a encore au moins autant à creuser, répondit Michel.
— Alors là, c’est sans moi, lui dis-je sans ménagement. Je ne suis pas une taupe.
— D’accord avec toi, je voulais te faire voir, que tu saches. Mais j’ai une autre idée et c’est là que tu interviens. 
(à suivre...)

dimanche 23 octobre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II (5)

( remerciements à Nathalie Barth )
Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. J’ai fait un rêve absurde… je vivais dans une ville, une ville agréable avec de grandes et belles avenues, de vastes places agrémentées de parcs, de jolies rues avec des maisons pimpantes, des venelles typiques et des passages mystérieux. Puis, autour de la ville, il y avait des faubourgs et des banlieues laborieuses qui donnaient sur une campagne riante avec des chemins de traverse.
Cette ville avec son arrière-pays, c’était ma langue française, la nôtre, avec sa grande syntaxe, sa grammaire touffue, ses mots pittoresques et son orthographe complexe. Puis, dans les alentours, le jargon de nos métiers et l’argot populaire. Enfin, les patois des pays et, plus loin encore, les travers bénins de notre parler quotidien. J’étais dans la patrie d’Albert Camus, notre langue française. Et dans le pays de Claude Duneton, l’homme du parler croquant mais du parler juste et fleuri.
Et, toujours dans le même rêve, je vis alors arriver le cauchemar. Je vis venir la langue de la toile, cette langue tapée sur des claviers borgnes et sans âme. Je me voyais parcourir les mêmes avenues défoncées d’une syntaxe fracassée,  dans de vastes places remplies d’immondices de la grammaire oubliée, dans des rues aux façades douteuses de mots incompris et dans des passages souillés des déchets d’une orthographe perdue. Autour de la ville nulle ordure n’était plus ramassée et un sabir douteux souillait le pavé luisant de graisse. Des hordes barbares avaient-elles soudain envahi ma patrie ?
Non, les barbares étaient de notre race, se croyaient de notre patrie et de notre langue…Je me sentais devenu un étranger dans ma patrie.
Vous voyez bien, c’était vraiment un rêve absurde.
Et en me réveillant, je me posai alors une question : l’humour a-t-il un prix ? Réponse : plus aucun maintenant que les émoticônes sont gratuites.
Dans un roman de Huxley, il y a un personnage qui se ferait pendre plutôt que de se priver d’un bon mot. C’était une autre époque, celle où vous pouviez vous faire virer du collège pour mauvais esprit… et ceci est un simple exemple.
Imaginons une conversation. Vous êtes gourmandé par un gendarme sous l’œil d’un passant :
-      Monsieur, dit le pandore, vous avez commis une infraction, je vais vous enlever un point.
-      Quoi, répondez-vous, vous voulez prendre mon point ?
-      Monsieur, vous dit-il en retour, vous me menacez ?
Vous pensez avoir fait de l’humour. Le passant, observateur plus ou moins neutre, y a vu de l’ironie. Quant au représentant de l’ordre, il y verra dans le meilleur des cas du persiflage et dans le pire, une menace. Vous avez courageusement bravé l’autorité en risquant de vous faire accuser de rébellion.
Aujourd’hui, vous ne risquez plus rien. Allez donc voir sur le vèbe. D’après l’Institut Périamétri, plus de soixante-dix pour cent des phrases échangées dans les forums de discussion finissent par ce bizarre assemblage appelé émoticône formé du deux points – tiret sous le six – fermeture de parenthèse, aussi appelé « smiley ».  D’après Médiapétri, on passerait même les quatre-vingt pour cent ! De fait, bien des émetteurs de messages qui ne comprennent pas leur propre message, se satisfont de ce petit drapeau pour dire : «  c’était pour rire ». Et bien d’autres agitent ce drapeau au cas où il y aurait de l’humour dans ce qu’ils ont écrit. Et je n’ai pas encore parlé de l’expression « Lol », d’origine douteuse quoiqu’anglo-saxonne (à moins que cela ne soit le contraire ?) que d’aucuns traduisent par « mort de rire ». De nos jours, il y a plus de gens qui ressuscitent après ce genre de décès que d’individus qui trépassent. L’humour, comme le crime, ne paie plus.
On voit par-là que quand l’humour n’a pas de prix, il est aussi sans valeur.