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jeudi 23 avril 2020

Appelez-moi Fortunio (63)


-          Maintenant, passons à mon plan opérationnel, si j’ose parler ainsi, déclare Albert. On est obligés d’attendre le soir pour agir. La dame blanche est apparue les deux fois entre neuf et demie et dix. L’apparition ne dure, à bisto de nas, pas plus de deux à trois minutes. Il faut qu’un de nous deux arrive à se glisser dans les bois, discrètement cela va sans dire, un peu avant l’heure prévisible. Uniquement pour voir cela de plus près, pas question de s’approcher.
-          Ce qui voudrait dire qu’il y a un trucage ?
-          Alors, voici ce que j’ai découvert : tu n’as pas encore vu la bibliothèque, c’est un vrai cabinet de curiosités. Avec une quantité d’objets bizarroïdes mais pour la plupart étiquetés ! La première chose qui m’a frappé, tu sais que je m’intéresse aux bouquins, c’est quand j’ai jeté un coup d’œil sur les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Quand il raconte l’histoire du fantôme à la jambe de bois du château de Combourg.
-          C’est quoi, cette histoire ?
-          Tu liras, cela manque à ta culture, mon pote.
-          Bofff, pour moi le Chateaubriand c’est un steak…
-          Et toi une patate ! Je continue, monsieur de la Béotie, il se fait donc que je jette un coup d’œil en diagonale sur les bouquins, il y a beaucoup d’ésotérisme ou apparentés. Cela ne me dit rien. Mais il y a un rayonnage sur le côté avec de la littérature. Pour m’occuper, vu que ça manque un peu de polars, je feuillette et je tombe sur l’endroit où il parle du fantôme à la jambe de bois du château de Combourg et de son chat ! Je ne tombe pas dessus par hasard, il y a un signet, une note d’épicier d’il y a huit mois. Donc, quelqu’un a lu cette histoire il y a peu ! Et ça, c’est le coup de marteau de trop, comme on dit dans le bâtiment. Faut savoir taper sur un clou juste ce qu’il faut, si on tape trop, on marque le bois ou on éclate la pierre et pour un rien, on a tout faux. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Il y a ce couple de jardiniers qui lorgnent l’héritage, donc à qui le crime profite-t-il ? A eux, bien sûr, s’ils arrivent à rendre Daniel fou. Ils ont réussi une fois à le faire encabaner, pourquoi pas une seconde… Alors, je continue. Je t’avouerai que s’il n’y avait pas eu cette histoire de jambe de bois, je croirais encore à la dame blanche.
-          Ton côté romantique, ton côté Fortunio… qui j’ose aimer…
-          Ouais, quand tu la verras, tu comprendras, mon vieux la-Science ! Donc, venons-en à l’apparition : je m’ennuyais ferme l’autre soir et j’ai été jeter un œil à la bibliothèque…
-          Tu avais déjà fini les Mémoires de Chateaubriand ? Ricane René.
-          A franchement parler, je préfère quelque chose de plus palpitant. Je vois un Jules Verne, pourquoi pas, ça va me rappeler ma jeunesse…
-          Ah ! L’île mystérieuse, Vingt-mille lieues sous les mers…
-          Justement ni l’un ni l’autre mais un que je ne connaissais pas, pas trop long en plus, je me le chope. Cela s’appelle Le Château des Carpathes. Tu connaissais ?
-          Inconnu !
-          Eh bien, je vais te dire, c’est assez passionnant, cela reste du Jules Verne, avec de la belle érudition mais aussi des personnages forts. Et… je te le donne en mille : une histoire d’ectoplasme, une machine qui fabrique des visions, en quelque sorte. Je me dis que c’est incroyable, ces gens auraient été puiser dans la bibliothèque pour trouver leurs idées ! Et, ce qui m’intrigue un peu, c’est qu’il n’y a que ce Jules Verne en tout et pour tout. J’avais le temps de gamberger, je refais un inventaire des bouquins, pas un autre. Bon, pourquoi pas ? Le propriétaire de la bibliothèque n’était pas forcément un passionné du Jules. Cela me trotte que trotte par la tête et les neurones mais j’en avais un peu marre de me creuser la cervelle et je me détends en regardant les curiosités. Il va falloir que tu voies cela, ça vaut le coup. Ainsi, je flâne un peu, je regarde les étiquettes d’un œil distrait lorsque, dans un coin sombre sur la tranche d’une étagère, je vois un petit cartel indiquant « Machine des Carpathes ». Sauf qu’à sa place supposée, il y a divers bibelots. Holà, me dis-je, y’a un truc ! Je monte sur un petit escabeau et, à l’aide de ma poquette lampe, j’examine l’endroit. Si on a enlevé quelque chose sur cette étagère, on n’a pas pris soin de faire la poussière. Les quelques bibelots font illusion mais il y a nettement un carré moins poussiéreux, comme si on avait enlevé une sorte de caisse carrée. Et, si c’est la machine des Carpathes, je comprends mieux pourquoi il y a ce bouquin. Bon, on est là sur des suppositions, mais je crois quand même que je vois clair dans cette histoire. Bon, le tout n’est pas de découvrir le pot-aux-roses, ce qui compte c’est aussi de coincer ceux qui en sont les instigateurs. De les coincer officiellement, si je puis dire. Pour les décrédibiliser et surtout pour les empêcher de continuer à nuire à Daniel. J’ai accepté le boulot à titre provisoire et je ne me vois pas revenir ici tous les six mois, tu comprends ?
(à suivre...)

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