En vedette !

jeudi 6 décembre 2018

Le temps de l'éternité (31)


Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses
Guillaume Apollinaire  (Alcools).


III.

Un temps, Pijm a pensé faire venir une grosse pelle, ou un bulldozer pour faire aplanir cette ruine et effacer les traces de ces bâtiments. Mais effacer n’est pas oublier. Il se souvient de ce qu’a écrit Füllen : « par ces pierres, le château a été largement imprégné de toute cette histoire ». Il sait que jamais il ne se défera de La Furetière, elle lui colle à la peau.
Alors, il se perd dans la dépression, dans les ténèbres de l’inaction, dans une vie au jour le jour, sans but et sans personne à qui parler.
Puis il décide de se relever. Il doit bouger, agir, rencontrer du monde et aller vers les autres.
Il commence par trouver un accord avec Tomi et avec Galipette pour la mise en valeur de ses terres. Il achète des outils, fait venir du monde pour couper du bois, arrange quelques pièces dans la maison. Il propose à Christian de travailler pour lui en échange de la location de la maison du gardien. La vie reprend à La Furetière, Pijm a des projets pour aménager le bâtiment, il pourrait créer des gîtes, des locations saisonnières. Il fait des démarches pour obtenir des prêts, des subventions et des aides.
Il écrit à ses filles et à sa femme pour les inviter à venir l’été suivant : il arrangera des chambres, il a déjà mis en état la cuisine et créé une salle de bains. Lisa réserve encore sa réponse mais les filles sont enchantées de la proposition.
Toutefois, au fond de lui, il y a cette sensation récurrente qu’il est là pour découvrir le secret de La Furetière et de son église. Et cela revient comme une ritournelle lancinante. Il la chasse, elle revient au galop.
C’est pour cela qu’il s’agite, pour occulter ce murmure au fond de lui. Il se sent mieux, il dort bien, il fait à manger non seulement pour lui mais il invite parfois l’un ou l’autre, il participe à la vie du village et se fait des amis. Enfin, des connaissances, car s’il avait un vrai ami il pourrait lui en parler…
En parler, voilà ce qu’il lui manque. Mais qui donc l’entendrait ? Qui comprendrait ce qu’il a vu, vécu et entendu ? Et, d’abord, comment le dire ?
Il continue, coupe du bois, nettoie, range, arrange. Pour arranger, il faut des meubles. Et des meubles, il y en a dans le grenier, la caverne d’Ali-Baba. Et pour ce qui est de ranger, il y a de quoi faire.
Vider un grenier, cela n’est rien si on agit vite et sans préjugés. Mais vider un grenier qui contient peut-être des bribes d’histoire, des lambeaux de vécu, c’est autre chose…
Il passe de longues journées dans ce grenier. Oh, il travaille, il nettoie, il range, il évacue. Il est pris dans une ambiance, l’ambiance d’un passé enfoui dans la poussière.
Et il n’y a pas que le grenier, il y a aussi la tour avec sa bibliothèque. Il n’y a pas grand-chose là-dedans. Puis il y a encore l’étage supérieur, ces petites chambres où il n’aime pas aller. De plus, il y a un grenier au-dessus des chambres. Il n’y est jamais allé et il serait bon de voir l’état de la toiture. Un jour en fin d’après-midi, il prend une échelle et soulève la trappe. 
(à suivre...)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire