Un gigantesque plat de
spaghetti à la bolognaise plus tard, toutefois accompagné de deux bouteilles
d’un excellent Volnay, nos deux compères s’installent au salon, devant la
télévision. Auparavant, René avait demandé à Albert de lui confier le pistolet
dont il lui avait parlé. Albert, ne connaissant rien au maniement des armes,
avait accédé à sa demande sans difficulté et René, après examen, l’avait
empochée.
Ils avaient installé le paravent de telle
sorte que, de l’extérieur, on ne puisse pas, le cas échéant, apercevoir qui se
trouvera dans le fauteuil de Daniel. Ils se mettent d’accord pour le programme
le plus sot possible afin de n’être pas déçus par l’interruption attendue. Ce
ne fut pas simple, les chaînes de télévision se faisant une concurrence
effrénée dans la sottise et la nullité.
Dès neuf heures et quart,
René se glisse hors du salon puis, par l’arrière, il sort pour rejoindre son
poste d’observation extérieur. Le temps couvert, pas de lune, on ne pourrait
rêver mieux dans ces circonstances, d’autant que René jouit d’une vision
scotopique performante. Au bout de dix minutes, il se sent à l’aise, à l’abri
d’un gros platane à côté duquel il y a aussi un buisson pas trop touffu, il lui
semble que le poste d’observation est idéal.
Dix minutes de plus,
toujours rien, il commence à se demander si sa présence aurait perturbé l’apparition.
Il commence à s’impatienter lorsqu’il lui semble entendre un craquement léger.
Il écarte doucement les branches mais ne voit rien.
Pendant ce temps Albert,
dans son fauteuil, se tord le cou à essayer de voir quelque chose. Aurait-il,
par quelque erreur, mis la puce à l’oreille des malfaisants qui tracassent
Daniel ? Car il en est presque certain, ce sont les jardiniers qui, eux
seuls, avaient accès à la bibliothèque du château et qui faisaient la lecture
au vieux. Et par-dessus le marché, une machine des Carpathes qui aurait dû être
dans la collection de curiosités, qui n’y est pas mais qui y a sûrement
été ! Ce n’est pas n’importe qui qui s’en est emparé et, dans le livre de
Jules Verne, il y a une telle machine qui « provoque » des
apparitions. Cette machine, dans le roman, est censée disparaître mais notre
Jules avait une imagination fertile quoique toujours fondée sur des
possibilités techniques. Supposons qu’il ait eu vent de l’existence d’une telle
machine ou, plus simplement, qu’un de ses ingénieux lecteurs ait eu l’idée de
la réaliser et ensuite cette machine, peu utile dans la vie de tous les jours,
serait tombée dans les mains du propriétaire du château, un peu antiquaire et
beaucoup amateur de curiosités… rares. Il met cette machine sur une étagère
mais, bien des années après, le livre et la machine sont redécouverts par nos
malfaisants en mal de captation d’héritage… l’idée géniale pour rendre
véritablement fou, cette fois, l’héritier légitime du vieux Rambaud.
Albert est brutalement
interrompu dans sa réflexion ! Cette fois, ça y est, le retour de la dame
blanche, cette vision lui fait encore dresser les cheveux sur la tête bien
qu’il s’y fut attendu. La nuit parfaitement noire rend encore la chose plus
impressionnante, la forme évanescente en paraît presque vivante, comme si elle
allait parler.
Cette fois, c’est d’abord
à René de jouer, pourvu qu’il soit en bonne place ! L’apparition dure près
de deux minutes puis tout s’évanouit. Albert monte directement par l’escalier
jusqu’à la porte du grenier, restant en embuscade derrière la porte qu’il a
tout juste ouverte. Il ne sait pas ce qu’il va trouver et il sent qu’il a la
chair de poule. Quelques minutes d’attente, un grincement très léger suivi d’un
frottement puis quelques pas. Albert retient son souffle, le moindre bruit
pourrait alerter les canailles. Il entend une respiration un peu haletante,
puis quelques pas… toc… toc…toc… un miaulement, vlan ! Albert, d’un grand
coup, ouvre la porte, allume la lumière du grenier et braque sa lampe de poche
sur une femme grande et maigre qui tient un lourd bâton ferré dans la main
droite et un ridicule petit jouet miauleur à tourner. Elle lâche ce dernier et
s’avance, menaçante, vers Albert qui s’empare d’une petite chaise paillée et la
lui envoie dans les jambes. Elle perd l’équilibre, pousse un juron, lâche le
bâton et fonce vers le bout du grenier, vers le pigeonnier. Albert la suit, il
la voit monter l’échelle de meunier. Elle veut soulever la trappe et pousse une
bordée de jurons. Apparemment, la trappe s’est bloquée.
-
Maintenant, chère madame, vous seriez
aimable de me suivre dans le salon en vue de quelques explications, lui dit
Albert d’un ton goguenard.
-
Jamais, JAMAIS ! hurle la femme qui
descend quelques marches et saute en direction d’Albert, telle une chatte,
toutes griffes en avant.
Albert fait un pas de
côté mais elle le bouscule quand même et le fait tomber à genoux. Elle s’étale
de tout son long sur le plancher en soulevant un nuage de poussière qui la fait
tousser. Albert met à profit un court temps de latence pour lui attraper les
deux mains qu’il réunit dans le dos de la malheureuse qui n’en finit pas de
tousser. Il lui serre les poignets de la main gauche et, avisant une ficelle de
sisal qui pend d’une poutre, il les lie à l’aide de sa main droite. Il se
relève et, d’un coup de couteau, coupe le bout de la ficelle attaché à la
poutre. La femme se débat comme une possédée, il l’oblige à se relever. Il la
tient au col, par derrière, et elle essaye encore de lui ruer dans les parties.
-
Mais tu vas arrêter, bon dieu de saloperie
de mégère, lui hurle-t-il dans les oreilles en la secouant comme un prunier.
(à suivre...)
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